Tribunes par Makesense
16 juin 2020
16 juin 2020
Temps de lecture : 9 minutes
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Comment (ré)engager en interne autour d’un programme d’intrapreneuriat en contexte de crise ?

Comment convaincre aujourd'hui Comex, salarié·e·s et fonctions RH de l'utilité des programmes d'intrapreneuriat, alors que les budgets sont revus à la baisse et que l’incertitude est encore forte sur les plans de relance et les priorités d’innovation ?
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Avant la crise, lancer un programme d’intrapreneuriat était déjà un parcours du combattant : convaincre le COMEX, négocier la mise à disposition des collaborateurs avec les RH, lever et les freins et motiver les salariés à postuler.  Comment convaincre ces parties prenantes aujourd’hui alors que les budgets sont revus à la baisse et que l’incertitude est encore forte sur les plans de relance et les priorités d’innovation ?

Lola Virolle, responsable des programmes d’intrapreneuriat chez makesense, Marjorie Pouzadoux Bokobza, fondatrice de la communauté les Intrapreneuses et directrice de projet innovation chez Prisma Media, et Raphaël Thobie, ex-intrapreneur chez Thales et fondateur de Grug, partagent leurs conseils sur le sujet.

(Ré)engager le COMEX 

Pour rappel, le rôle d’un COMEX est d’abord d’être responsable de la stratégie, de prendre des décisions en fonction de celle-ci et de la piloter afin qu’elle soit appliquée à tous les niveaux. Aujourd’hui, ils doivent évoluer dans une forte incertitude et une certaine urgence financière. Ils naviguent à vue et manquent eux-même parfois d’informations claires sur la suite.

Face à cette incertitude, le COMEX est dans un moment clé pour écouter. Pour les convaincre, il est primordial de comprendre leurs enjeux business et marché mais également les nouvelles attentes de leurs parties prenantes. Avec la crise, les attentes des collaborateurs mais aussi des actionnaires ont fortement évolué, notamment sur les sujets de la responsabilité et d’impact.

Nous observons que même les organisations qui de base n’avaient pas d’aspiration à être responsables (par exemple Black Rock) s’intéressent davantage à d’autres indicateurs que le produit et le résultat financier et intègrent même des indicateurs d’impact. Il faut donc montrer au COMEX que l’on comprend leur position et leur permettre de briller devant leurs actionnaires en mettant en avant les bénéfices directs de l’intrapreneuriat (frugalité, réactivité, innovation, engagement des collaborateurs).

C’est aussi l’occasion de se positionner sur les pistes d’innovation et de relance, en étant force de proposition et en nourrissant leurs réflexions. Notamment, cela peut être votre rôle d’apporter des chiffres et informations fiables du terrain. Avec le télétravail, obligatoire pendant le confinement mais qui continue pour beaucoup, le COMEX a d’autant plus de mal à se connecter à la réalité des collaborateurs. Vous pouvez être cette courroie de transmission et profiter de ces temps d’écoute pour acquérir une légitimité et engager autour de l’intrapreneuriat.

C’est également un moment clé pour identifier et mettre en avant l’esprit intrapreneurial qui s’est révélé avec la crise. Le COMEX n’a pas pu prendre des décisions sur tous les aspects stratégiques, car ils se sont concentrés sur les plus urgentes. Pendant le confinement, le manque de visibilité sur la suite et la relance a permis à certains collaborateurs de prendre des décisions rapidement sans demander de validation pour gérer au mieux les clients, les employés etc. car ils étaient les plus proches du terrain et donc les plus à mêmes de décider.

La situation de crise leur a donné plus de pouvoir et d’autonomie. Ils ont pu ont dû tester des choses et aller vite, ce sont justement des valeurs intrapreneuriales. Il faut le réaliser, identifier ceux qui ont su réagir vite et les mettre avant ! Ces exemples vont permettre de prouver la valeur de l’esprit intrapreneurial et d’aider à convaincre le COMEX. Cette période est l’occasion de leur faire réaliser qu’en contexte d’incertitude forte, il est nécessaire de valoriser la prise d’initiative et l’esprit intrapreneurial car cela devient primordial pour réagir de manière plus rapide, agile et connecté avec les besoins terrains.

Nous avons aussi le sentiment que cette crise va voir la fin des programmes bullshit et des programmes saisonniers. L’intrapreneuriat, pour sortir son épingle du jeu, doit se concentrer sur les objectifs business et de relance. Cette démarche peut permettre de générer et développer très rapidement des projets face aux nouveaux enjeux. C’est aussi une occasion unique d’impliquer les salariés dans la relance, en leur laissant la main pour proposer des opportunités et des solutions.

Un programme d’intrapreneuriat saisonnier sera toujours en retard ou en décalage avec les retours de confinement ou les rebonds de la crise que nous risquons de vivre. Celles et ceux qui avaient par exemple sélectionné des projets juste avant le Covid se trouvent bloqués avec des projets qui ne sont très certainement plus pertinents. Il donc faut avoir une approche d’identification des projets au fil de l’eau, les faire remonter au COMEX et les faire financer et accompagner. Il va falloir faire confiance et donner le pouvoir aux collaborateurs de mener des projets en dehors d’un programme bien défini. Ce changement de mode de management aura des impacts à long terme en permettant d’être plus résilient et réactif pour les prochaines crises ou grandes transformations.

Décathlon est l’exemple type de l’entreprise qui a su mettre en place cet esprit intrapreneurial et le diffuser dans tout le groupe, ils en récoltent maintenant les fruits. Le masque Easybreath par exemple, qui a été une révolution dans le snorkelling, a été inventé par un intrapreneur. Aujourd’hui ce produit permet à Décathlon d’être extrêmement visible car il a été adapté par un maker pour servir aux soignants. Un collaborateur a identifié l’idée, s’en ai saisi et l’a généralisé pour en faire une réponse positive à la crise, c'est l’expression de l'ADN de Decathlon de raisonner comme cela : “t'as une idée de produit ? vas-y, prototype et test”.

(Ré)engager les collaborateurs et collaboratrices

On observe généralement deux catégories de population en entreprise et cette situation s’est encore accentuée par la crise. Il y a tout d’abord celles et ceux qui étaient déjà très engagés avant la crise et qui y trouvaient du sens dans leur travail, ils sont encore plus engagés, ont l’envie de trouver des solutions et/ou de continuer leur projet d’intrapreneuriat s’ils en ont déjà un. Ensuite, il y a celles et ceux qui ne trouvaient plus de motivation dans leur poste, dont le projet intrapreneurial était la “bouffée d’air” à côté d’un job moins passionnant. Ici, ile risque de démotivation est fort, il va falloir aller les chercher tant ils ont besoin d’empathie de la part de leur entreprise.

Pour la majorité des salarié·e·s cette période a été épuisante. On s’est tous demandés comment aider, et certains d’entre nous se sont engagés pour les premières lignes. Dans le même temps, on s’est retrouvé à être à la fois salarié·e en télétravail, professeur·e, soutien à distance pour nos proches âgés. La question de l’équilibre vie pro/vie perso avec la crise revient très souvent dans les communautés d'intrapreneur·e·s.

Avec le déconfinement, il va falloir reprendre l'activité de plus belle, et le risque est de ne pas prendre en compte le fait que la majorité des collaborateurs sont épuisés, et ont beaucoup de choses à raconter du fait de leur engagement ou de situations personnelles.  Les entreprises qui vont s’en sortir et vont réussir à ré-engager leurs collaborateurs sont celles qui prendront le temps d'écouter les salarié·e·s durant cette reprise au lieu de redémarrer sur les chapeaux de roue comme si rien ne s'était passé.

Pour ré-engager, il va falloir laisser parler les collaborateurs, les laisser partager sur leur expérience, et se réunir en communautés. De ces communautés naissent les idées, des envies, des rapprochements… Et de tout ça naît l'intrapreneuriat.  Il est donc primordial de se positionner pour proposer ou organiser des sessions d’écoute pour comprendre les nouveaux besoins et enjeux des collaborateurs, et de voir comment l’intrapreneuriat peut leur permettre de se réengager et de répondre à leurs attentes. 

Enfin, ce dont beaucoup d’organisations et d’individus se sont rendus compte, c’est que la croissance, un travail stable en CDI etc. ne sont pas forcément des acquis. Il y a une prise de conscience de cette illusion de la sécurité avec des secteurs entiers qui risquent de licencier fortement. La crise remet en question beaucoup de choses que l’on prenait pour acquis. Ceux qui s’en sortiront sont ceux qui osent et qui se forment en permanence pour être capables de prendre les nouveaux sujets qui vont émerger des changements inévitables de stratégie.

Devenir intrapreneur·e en temps de crise, ou en tout cas développer cette posture, donne plus de chance de garder son emploi ou de rebondir ailleurs car cela développe des compétences qui seront de plus en plus recherchées et nécessaires.

Deux exemples d’adaptation de projets d’intrapreneurs chez Prisma Media illustrent cet esprit intrapreneurial :

Sophie Janvier, intrapreneure du startup studio “Demain” de Prisma Media, a lancé son application de coaching alimentaire pour les malades chroniques. Elle a su l’adapter rapidement au contexte de pandémie et propose des régimes alimentaires pour booster le système immunitaire.

Sybille Joubert, intrapreneure de la communauté “Maison Eureka” de Prisma Media, a profité du confinement pour développer son idée de projet : Kitchen Voices (un concept business entre Top chef et The Voice, un guide de recettes chantées). Elle s’est lancée en faisant des vidéos dans sa cuisine pour commencer à monter une communauté et partager de l'énergie positive en plein confinement !

(Ré)engager les RH 

Dans le contexte actuel, les RH ont pris un rôle central en organisant le travail à distance, le déconfinement etc. Depuis la crise, ils siègent au comité de sécurité et au COMEX pour ceux qui n’y étaient pas. Leur pouvoir s’est fortement agrandi.

En parallèle, ce sont eux qui ont le plus compris ce que l’intrapreneuriat peut apporter (pour le développement professionnel des collaborateurs, mais aussi pour des questions d’image et de recrutement). Ce qui manque aux RH, c’est un budget. Comme tous les budgets vont diminuer avec la crise, il faut réutiliser les arguments de frugalité (mentionné dans la partie COMEX) pour les convaincre d’y aller.

C’est aussi un levier motivationnel fort qu’ils vont pouvoir utiliser. Alors que des études disent que la majorité des salariés n’ont pas envie de retourner au travail., l’intrapreneuriat vient comme une réponse aux nouvelles attentes des salariés en terme d’engagement au travail et un moyen de les remotiver. Dans l’étude Future of work de Mazars (2019), les trois premiers critères d’engagement salarié sont : la rémunération, la convivialité et l’intérêt du poste. Les deux derniers sont ceux sur lesquels les RH peuvent jouer le plus facilement en ces temps de crise. Et encore une fois, mettre en place des communautés d’écoute qui deviennent ensuite des communautés d’innovation et d’intrapreneuriat est une manière d’actionner ces deux derniers critères.

Enfin, il est important que les RH reconnaissent le statut d’intrapreneur·e, notamment ceux qui ont agit pendant la crise (sans forcément de valeur juridique ou monétaire), pour les valoriser et pour inciter d’autres à se lancer.

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