Vous venez de décrocher une offre d'emploi de la startup X. Tout d'abord, félicitations ! Mais la joie initiale cède rapidement la place à un léger sentiment d’angoisse : dois-je accepter cette offre ou continuer à chercher ? J'ai aussi ce process en cours avec la startup Y, dois-je attendre ? Pas une semaine ne passe sans que quelqu'un me demande conseil sur des variations autour de cette épineuse question.

Cette angoisse est normale. Elle découle du fait que la plupart des gens ont un sens inné du coût d'opportunité. Comme le dit Auren Hoffman : "La chose la plus difficile à faire pour réussir, c'est d'éviter les bonnes opportunités afin d'avoir suffisamment de temps à consacrer aux opportunités extraordinaires" .

En tant que potentiel employé, le plus important pour vous doit être de rejoindre une startup en forte croissance, car ce sont elles qui attirent les meilleurs talents, ce qui vous permettra de travailler avec des gens d’excellent niveau, et si une startup a une croissance forte, alors les opportunités de développement pour vous sont également illimitées. La forte croissance découle de la capacité de la startup à trouver son "Product-Market fit", et à créer un produit de grande qualité.

Le problème, c'est que votre capacité à comparer et à évaluer avec précision le potentiel intrinsèque des startups que vous rencontrez est très limitée :

  • Vous allez rencontrer un nombre très limité de startups ;
  • Vous ne parlerez qu'à un petit nombre de personnes sur place ;
  • Vous aurez un accès très partiel (comprendre : aucun) à des informations financières/business détaillées ;
  • Enfin, dans la plupart des cas, l'information publique sur cette startup est, elle aussi, très limitée.

Dans ce contexte, voici le détail du framework que j’utilise quand on me demande de l'aide pour évaluer des offres d’emploi dans des startups. Bien entendu, partons du principe que vous avez déjà validé votre fit personnel avec l'équipe et votre alignement avec la mission de la société. Ce framework est très simple - vous devez faire deux choses : suivre la "Smart Money" et ensuite comprendre le stade de développement de la startup. Voyons ce que cela signifie.

Suivre la Smart Money

La bonne nouvelle pour vous est qu'il existe un moyen indirect mais très puissant pour évaluer le potentiel d’une startup : en suivant la "Smart Money", c'est-à-dire en évaluant la qualité et l'état d'esprit des investisseurs et investisseuses qui la soutiennent. La raison est simple : les meilleurs VCs chassent les mêmes startups que celles que vous visez, car leur business model est de financer des équipes qui font preuve d'une combinaison exceptionnelle d'ambition, de vision et d'exécution pour créer des sociétés massives.

Pour y parvenir, les VCs rencontrent des centaines d'équipes chaque année pour n'investir que dans quelques-unes, sachant que malgré ces précautions, il leur arrive de faire des erreurs, donc imaginez ce qui peut se passer avec encore moins d'expérience… Oui, les VCs travaillent à votre place ! Donc si la startup que vous envisagez de rejoindre a déjà réussi à passer ce test très sélectif et a attiré un investisseur renommé, c'est l'un des meilleurs éléments de validation externe que vous pourrez recueillir pour vous aider à évaluer le potentiel de la startup que vous envisagez de rejoindre.

Une fois qu’on a dit ça, comment faire pour évaluer l'investisseur ? C'est en réalité beaucoup plus simple, car les VCs ont tendance à laisser beaucoup plus d'empreintes.

Voici les principaux éléments à étudier en détail :

  • Renseignez-vous sur les associés et les principals de l'équipe, et lisez leur Medium/Twitter/Linkedin/blog posts/podcasts, pour avoir une transcription fidèle de leur état d'esprit et de leur stratégie d'investissement ;
  • Examinez leur portefeuille existant : ont-ils investi dans d'autres startups de premier plan ou de renom ? Le portefeuille d'un investisseur est la meilleure représentation de son ADN, et vous donne également une bonne vue du "peer group" que vous allez rejoindre et auquel vous aurez accès ; ce qui est un point très important pour votre courbe d'apprentissage et votre réseau personnel ;
  • Analysez l'historique de financement de la startup pour comprendre quand s'est déroulé le dernier tour de financement. Un tour récent (< 3 mois) signifie que la startup dispose de beaucoup de temps pour atteindre les objectifs fixés lors de la levée. Au contraire, si le tour est survenu il y a 12 à 18 mois, cela signifie que la startup aura probablement besoin de faire une nouvelle levée sous peu. Cela peut être à la fois une opportunité (nouveaux projets, opportunités de promotion pour les meilleurs employés) et un risque (les projets peuvent être mis en pause et les embauches suspendues/annulées si la levée prend plus de temps que prévu). Dans tous les cas, c'est un excellent sujet de discussion à avoir avec votre futur employeur.

Abordons brièvement ici le sujet des startups "boostrapées", qui font le choix de ne pas lever de fonds et d'autofinancer leur croissance. Bien évidemment c'est également une excellente façon de développer une startup. Mais cela vous obligera simplement à faire un peu plus de travail par vous-même afin de comprendre :

  • Pourquoi les fondateurs ont-ils décidé de financer leur entreprise de cette façon ?
  • Comment cela influence-t-il la façon dont ils veulent construire et développer leur entreprise ?
  • Qu'est-ce que cela signifie en termes de possibilités d'évolution de carrière ?

Comprendre le stade de développement de la startup

Les startups early-stage ne sont pas des modèles réduits de grandes entreprises. Les tâches à réaliser et le mode d’organisation de l’équipe changent radicalement à chaque étape de développement de la société. Par conséquent, une fois que vous avez suivi la "Smart Money", il est crucial de comprendre quel est le stade de développement de la startup, ce qui vous donnera une bonne idée des types de postes disponibles à l’instant T, de ce à quoi vous pouvez vous attendre pour la suite, et déterminer si tout cela peut vous convenir.

Pré-seed/seed - Trouver le Product-Market fit

  • Produit : La société n’a pas encore de produit, mais normalement l'équipe est à 150% dédiée à itérer entre le développement du produit et les interviews utilisateurs ;
  • Chiffre d’affaires : Non ;
  • Round type : 0,5 - 2 millions d'euros ;
  • Taille de l'équipe : Très petite et principalement composée d'ingénieurs, avec un nombre très limité de places pour les profils business, qui seront plus pertinents 6 à 9 mois après le début du seed ;
  • Style de management : C'est une phase durant laquelle les fondateurs ne peuvent pas se permettre de consacrer du temps à "manager" l’équipe, et où les priorités peuvent changer plusieurs fois au cours d'une semaine (pour ne pas dire au cours d'une journée). Par conséquent, les personnes qu'ils embauchent doivent être le plus "couteau-suisse" possible, être à l'aise dans les situations chaotiques / instables et être capables de travailler en autonomie avec un état d'esprit "get-things-done" ;
  • Titres : aucun titre n'est nécessaire.

Série A - Accélération commerciale

  • Produit : La startup a trouvé son "Product-Market fit" initial et commence à avoir une belle liste de clients/utilisateurs;
  • Chiffre d’affaires : Environ 1 million d'euros, en croissance rapide (7%+ de croissance mensuelle);
  • Round type : 5 à 15 millions d'euros;
  • Taille de l'équipe : Au cours de la Série A, l'équipe va passer d'environ 10 à à 60 personnes et se doter de profils plus variés et spécialisés, en particulier au sein des équipes Sales, Marketing et Customer Success. C'est aussi souvent à ce moment-là que l'équipe produit va s’étoffer, pour apporter plus de process et de productivité dans le cycle de développement du produit;
  • Style de management : On commence à voir apparaître des couches de management assez simples et étroites, la plupart du temps tournant autour de 2 à 4 direct reports. Au sein des équipes Produit/Engineering vont se constituer des squads pluri- disciplinaires, ayant chacune sa mission et objectifs / résultats spécifiques;
  • Titres : Ne vous attendez pas à obtenir des titres "C-level". La majorité des titres sont plutôt du niveau "Head of X", reflétant le fait que la plupart des rôles de management sont encore très étroits. Quelques postes de niveau "VP" un peu plus expérimentés peuvent également être pourvus, notamment sur certaines fonctions clés.

Série B (et suivantes) – Consolidation et internationalisation

  • Produit : À ce stade, la startup devrait avoir consolidé son "Product-Market fit" et commencé à élargir et approfondir le produit. Elle devrait également être présente à l’international (ou sur le point de l'être), intégrant ainsi de nouvelles contraintes d'échelle, de sécurité et de commercialisation du produit;
  • Chiffre d’affaires : environ 3 à 5 millions d'euros ;
  • Round type : 20 à 40 millions d'euros ;
  • Taille de l'équipe : de 60 à 150 personnes au cours de la Série B, et jusqu'à quelques centaines par la suite ;
  • Style de management : La Série B coïncide avec le moment où une startup doit prouver qu'elle a réussi à attirer et à développer les meilleurs talents et que les postes de direction sont occupés par des profils expérimentés et capables d’accompagner une croissance de l’ordre de 10 à 20% de la société. Vous devez donc vous attendre à voir une culture forte et une équipe de direction très efficace et complémentaire, avec plusieurs VPs impliqués dans le pilotage opérationnel, et plusieurs couches de management en-dessous d’eux. Il est probable que des équipes centrales aient également avoir été constituées (finances, RH, opérations...), apportant plus de process et de structure au pilotage de l'entreprise ;
  • Titres : À ce stade on retrouve toute la palette de titres - C-levels, VPs/Senior VPs, "Head of" et bien d'autres.

Ce qui est fantastique avec les startups en forte croissance, c'est que dans le cas où tout se passe comme prévu, elles créent tellement d'opportunités. Littéralement, une startup peut créer plus de 150 emplois en 3 à 5 ans  et votre parcours personnel n’aura aucune limite.

Votre principal challenge est donc de choisir la bonne startup, y faire un travail de grande qualité, et savoir saisir les opportunités qui ne manqueront pas de s’offrir à vous au fil de l’eau.

Bruno Raillard est co-fondateur et partner chez Frst