Quel regard portez-vous sur l’attitude des entreprises face à la double crise sanitaire et économique que nous avons vécue ? 

Il est encore tôt pour tirer un véritable bilan de cette année car nous sommes encore en pleine crise : il faudra attendre que les choses se décantent pour en sortir de véritables enseignements. J’observe néanmoins que les entreprises ont fait preuve de résilience et de solidarité dans des conditions extrêmes et inimaginables. D’une manière générale, les startups ont été très agiles, elles ont su se réinventer, pivoter, développer de nouvelles offres et faire évoluer leur business model en très peu de temps. De leur côté, les grands groupes ont su repenser leur chaîne de production pour la mettre au service du collectif, parfois en interfaçant leurs solutions avec des startups pour avancer plus vite. Si cette crise est complexe et difficile, elle porte aussi un message d’espoir.

La crise a été un révélateur d'innovations déjà existantes mais peu visibles ou audibles jusqu’ici. Moderna, par exemple, existe et effectue des recherches depuis de nombreuses années. Dans les grandes entreprises, nous avons pu observer le déploiement fulgurant de nouvelles solutions grâce à des processus d’innovation déjà en place.  Nos équipes internes ont développé une solution pour réguler l’accès à nos bureaux : aujourd’hui encore, l’application permet aux collaborateurs de s’inscrire préalablement à leur venue, dans la limite des places disponibles. L’industrialisation et déploiement de cet outil à l’échelle internationale a été rendue possible en seulement quelques jours, car nous avions déjà mis en place un réseau de diffusion avant la crise ; cela n’aurait pas été possible dans le cas contraire.

Habituellement, la mise en œuvre et l’adoption des nouvelles technologies sont lentes et il faut des années pour en mesurer réellement les bénéfices promis, comme modélisé par le cycle du hype. Ce changement d’échelle est une étape souvent difficile à réaliser en innovation. Mais en 2020, la crise a été un catalyseur. C’est bien l’adoption massive et synchrone des outils numériques à travers le monde qui a permis une adaptation réelle et rapide à la crise. Là, nous en avons vu les bénéfices immédiatement. Cependant, le numérique et la technologie ne font pas tout et la crise a démontré que les interactions humaines réelles restent essentielles. L’avenir du travail sera très probablement hybride, entre présentiel et de télétravail. 

Par ailleurs, les frontières ont disparu : les collègues ou clients basés à l’étranger se sont retrouvés aussi proches de nous que les collègues de proximité avec qui nous travaillons habituellement. Car la crise a aussi permis de repenser l’intelligence collective et les modes de collaboration. 

L’intelligence humaine semble également avoir été mise en valeur par cette crise ? 

On parle beaucoup d’intelligence artificielle mais je préfère parler d'intelligence augmentée. La technologie doit être mise au service de l’humain pour lui permettre de faire plus. Durant cette crise, la donnée et les robots ont été mis au service des hommes et des femmes pour les aider à traverser cette période.

La plupart des entreprises ont recouru à des outils similaires (Zoom, Teams, Skype…), alors qu’ils n’étaient utilisés qu’occasionnellement et qu’au sein d’une même organisation auparavant. C’est très positif pour ce qui est de la coopération internationale. Durant cette crise, la technologie aura permis aux organisations et à leurs talents d’élargir le champ des possibles et de faire des pas de géant en termes de collaboration et d’intelligence collective.

Les manières de travailler, mais aussi de manager ont été profondément bouleversées l’année dernière. Pour le meilleur ?

Certaines entreprises ont pu faire preuve de défiance et douter de la productivité de leurs salarié·e·s en télétravail par le passé. Mais les dirigeants et managers ont fini par constater que ce mode de travail fonctionnait en fait très bien et que les collaborateurs étaient responsables. Le télétravail a même eu un impact positif sur le management, en renforçant la confiance et l’autonomie. Cependant, les organisations sont toujours sur l’inertie de dizaines d’années de travail en présentiel : pour s’adapter au travail à distance, qui devrait se pérenniser, la transformation culturelle des entreprises sera inéluctable.

La transformation numérique des entreprises a pris un virage avec le confinement. Cette accélération va-t-elle se poursuivre ? Si oui, comment ?

Il y a certes eu un virage mais c’est un sujet dont les entreprises s’étaient déjà emparées avant la crise et sur lequel elles avaient déjà commencé à investir massivement. L’année 2020 nous a obligés à passer au 100% numérique pour continuer à travailler et conserver un lien avec notre écosystème : clients, collègues, prestataires… En réalité, la crise sanitaire a surtout permis l’adoption massive de ces outils, les organisations peuvent donc désormais passer à l’étape suivante. 

Quant aux investissements, ils ne seront plus dédiés aux bureaux et à l’achat de mètres carrés. La rationalisation des coûts devrait s’accentuer et la priorité être mise sur la formation des salarié·e·s, le traitement et la transparence des données. Un autre axe fort de cette transformation numérique à poursuivre sera la préservation de notre planète. En effet, les innovations devront dorénavant être vertueuses. Elles ne seront plus conçues dans le simple but d’innover et devront nécessairement avoir un impact positif sur le monde qui nous entoure. Les millenials portent ce combat avec conviction et prouvent, par leurs actions, que cela peut fonctionner.

La technologie s’est révélée salvatrice en 2020 dans le secteur de la santé et le monde du travail, notamment. Quelle place aura-t-elle dans nos vies à l’avenir ? Et comment la conjuguer avec la notion de responsabilité écologique ?

La technologie est notre futur car beaucoup de choses en dépendent aujourd’hui et en dépendront encore plus demain. À l’avenir, les entreprises continueront de mettre l’accent sur les brevets et rien ne reposera plus uniquement sur la force brute des machines, très polluantes, mais sur des infrastructures modernes dont nous devrons nous doter pour rendre possible l’usage, le déploiement et l’appropriation des technologies et innovations vertueuses.

Concernant la question environnementale, à ce jour trop peu d'études calculent clairement l’impact d’un appel téléphonique ou d’un mail en termes de pollution, par exemple. Faute de données, il n’est pas aisé de prendre des décisions, d’autant plus que cela concerne la chaîne de production dans son ensemble. Même à l’échelle individuelle, cette équation est difficile à résoudre. Il ne faut donc pas chercher la cohérence à tout prix, mais plutôt à être le plus responsable possible, en tant qu’individus mais aussi en tant qu’entreprises.

De nombreux événements initialement prévus en présentiel ont évolué pour être organisés à distance. Ce type de format peut-il être pérenne ? 

Cette solution a l’avantage de faire tomber la barrière de la nécessaire présence physique et d’élargir ainsi l’accès à ces événements au-delà des frontières. C’est un atout indéniable pour le grand public mais les experts ont encore besoin d’échanges de proximité pour débattre de points techniques, car le lien humain, réel, ne pourra être véritablement remplacé. Il nous faudrait des jumeaux numériques pour que ce soit probant : il manque encore quelque chose dans la visioconférence que la réalité virtuelle et augmentée pourraient combler. Au cours des dernières années, ces technologies ont déjà fait de gros progrès mais restent extrêmement coûteuses. Si nous parvenons à massifier le nombre d'utilisateurs·rices, leur développement pourrait s’avérer plus rentable. 

À l’avenir, les salons, événements et formations en présentiel reprendront vie mais auront certainement un caractère hybride – à l’instar du travail – et leur accès se sera démocratisé grâce au numérique. Ce modèle sera particulièrement intéressant pour les personnes souhaitant se former, toutefois cette évolution pourrait bien être à l’origine d’un flot d’informations et d’offres dont les sources seront difficilement vérifiables. Il sera complexe de s’y retrouver, notamment pour le grand public. La transparence et l’éthique seront des sujets intournables des prochaines années. 

L’État a apporté son soutien financier aux entreprises et les investisseurs ont répondu présents. Que doit-on attendre pour 2021 ? 

Les startups ont bien été accompagnées. Celles qui étaient en croissance avant la crise et qui n’ont pas été affectées négativement ont pu continuer à lever des fonds dans des conditions favorables. Néanmoins, certaines d’entre elles ont pâti de ce contexte : en temps de crise, les portefeuilles peu diversifiés se révèlent à double tranchant puisqu’ils favorisent ou pénalisent fortement l’activité. Bien que déjà observée, la résilience passera par une diversification du portfolio et le développement de l’intelligence augmentée. 

Aujourd’hui, grâce au numérique, les données peuvent être récoltées massivement. En 2021 les entreprises devront miser plus que jamais sur la formation pour faciliter l'interprétation de ces données au plus grand nombre. L’intelligence augmentée doit être mise au service de l’humain dans tous les domaines car le champ des possibles est infini, notamment dans la santé. 

Maddyness partenaire média de Mazars