Republication d'un article du 12 octobre 2020

Dans le business, les opportunités se jouent parfois à peu de choses. Lorsqu'il reçoit un mail lui proposant une collaboration il y a quelques semaines, Cyril Kabbara, le co-fondateur de Shark Robotics, "manque de le mettre à la corbeille avant de regarder la signature" , reconnaît l'intéressé auprès de Maddyness. Contre toute attente, il s'agit d'une prise de contact de Boston Dynamics, l'entreprise américaine qui a réalisé Spot, un robot chien aux capacités aussi impressionnantes que critiquées. Quelques semaines plus tard, cette prise de contact a finalement donné naissance à un robot nettoyeur qui cherche désormais des acheteurs. Retour sur cette collaboration franco-américaine poussée par le Covid-19.

L'intervention sur l'incendie de Notre-Dame comme carte de visite

Lancée en 2016, la technologie de Shark Robotics s'est illustrée lors de l'incendie qui a frappé la cathédrale Notre-Dame de Paris en avril 2019. Son robot pompier Colossus avait alors aidé à combattre un feu difficilement maîtrisable dans un environnement particulièrement instable et dangereux pour les pompiers. Cet épisode n'est pas passé inaperçu aux yeux de Boston Dynamics, ni à ceux de l'ASME (American Society of Mechanical Engineers). Cette dernière a, en effet, remis un trophée à Cyril Kabbara et son associé, Jean-Jacques Topalian, "ce qui leur a permis de se faire connaître Outre-Atlantique" . 

Déjà dans le radar du créateur de Spot, la PME française lui a définitivement tapé dans l'oeil en sortant, en février dernier, Rhyno Protect Décontamination, un robot de décontamination hyper robuste. Le géant américain, financé à coup de millions de dollars depuis son lancement, contacte par mail Cyril Kabbara pour lui proposer un entretien en vision conférence. Mais avant de se lancer à corps perdus dans ce projet, l'équipe française s'interroge sur l'image qui colle à la peau de Boston Dynamics. Rappelons qu'après avoir acheté la société américaine, Google l'a revendue 4 ans plus tard à Soft Bank, qui la détient toujours, par peur des retombée médiatiques que ses robots pourraient susciter. Dans l'imaginaire collectif, certaines technologies suscitent encore de nombreuses craintes.

"Nous travaillons pour une robotique qui éloigne l'Homme du risque, nous ne sommes pas là pour enrichir les fantasmes liés aux robots-tueurs" , consent Cyril Kabbara. Et ce dernier assure que malgré son image, "Boston Dynamics se détache de ce dernier aspect et les rejoint sur leurs idéaux et leur volonté d'apporter des solutions positives".

Carte blanche

Le brief des Américains est clair sur ce qu'ils souhaitent : une solution modulable sur leur robot Spot pour pouvoir désinfecter et décontaminer les bibliothèques, les universités ou encore les salles de cinéma. Et pour y arriver, Boston Dymanics est prête à "laisser carte blanche aux Français". Même si la proposition est alléchante et l'envie de travailler sur Spot est excitante, les deux associés s'interrogent sur le risque de concurrence engendré par un tel projet.  "Nous nous sommes rendus compte que les deux solutions pouvaient être complémentaires. Notre robot est un engin assez imposant qui pèse 200 kilos (contre 15 pour Spot) et roule sur chenille, ce qui peut déchirer la moquette. Il nécessite un grand espace pour circuler et ne possède pas la même flexibilité" que son homologue américain. Pourquoi ne pas faire un coup double en vendant deux solutions adaptées à deux problématique différentes ?

La société française se lance intensivement sur le projet et sort en quelques semaines un premier kit de décontamination adapté à Spot. "Ils nous ont alors envoyé un robot Spot afin que nous puissions faire nos premiers essais. Dès la validation de notre coté, nous leur avons fourni un kit pour qu'ils puissent le tester à leur tour" . Les essais sont concluants. En moins d'un mois, Shark Robotics réussit ainsi à développer un kit de décontamination, composé de 12 buses de micropulvérisation de produits et d'un réservoir de 5 litres, capable de décontaminer jusqu'à 2 000 m2 en un quart d'heure.

Cet exploit a été rendu possible par "la souplesse dont a fait preuve la PME, très éloignée des process assez lourds d'une grande boîte américaine" .

Mettre un pied aux Etats-Unis pour Shark Robotics

Boston Dynamics n'a uniquement fait appel à Shark Robotics pour ses compétences technologiques. Malgré les millions qui y ont été injectés depuis ses débuts pour développer un robot super performant et super réaliste, elle peine encore à lui "trouver des applications concrètes et des débouchés commerciaux. Le combat contre le Covid-19 figure parmi les enjeux auxquels l'Américain veut prendre par d'un point de vue éthique et commercial " , révèle Cyril Kabbara.

Là encore, Shark Robotics possède un autre atout : son expérience. La société vend "des robots en Europe depuis 4 ans et demi et bénéficie d'une position de leadership dans la sécurité incendie et du réseau qui va avec". C'est pourquoi, à l'heure de la commercialisation, les deux entreprises vont se partager les marchés à conquérir. "Nous allons faire des démonstrations et pousser nos deux robots au niveau européen tandis que Boston Dymanics se concentrera sur les États-Unis" .

La PME française y voit également l'occasion de mettre un pied sur le marché américain qu'il lorgne depuis un an maintenant sans trouver le bon levier pour actionner cette stratégie. "Nous cherchions un bon partenaire sur le sol américain qui dispose d'un réseau sur tout le territoire et des certifications nécessaires" . C'est apparemment chose faite. Et si Cyril Kabbara botte en touche à l'évocation de futures collaborations avec Boston Dynamics, l'idée n'est pas totalement à exclure.