Militante écologiste de la première heure, Greta Thunberg est devenue en cinquante ans le porte-voix d’une génération soucieuse de trouver des réponses à l’urgence de la crise climatique. De passage aux États-Unis, la Suédoise est venue célébrer le 40ème anniversaire de sa plus grande victoire : la reconnaissance de l’écocide comme crime international.
Le Lincoln Center est plein à craquer. Il faut dire qu’en ce 18 octobre 2070, le public n’est pas venu pour écouter l'Orchestre philharmonique de New York. Mais pour écouter Greta Thunberg, 67 ans, dont les rares apparitions suscitent la frénésie. La preuve : les 2 738 places que compte le David Geffen Hall se sont écoulées en à peine deux minutes. Soudain, avec une heure de retard, la lumière s’éteint. Du haut de son mètre cinquante, l’écologiste suédoise entre en scène. Quelque peu indécise, elle ne sait visiblement pas si elle doit s’asseoir ou rester debout derrière le pupitre. Elle choisit la première option, moins solennelle, plus conviviale. " Pardon pour mon retard, mon voilier a mis un peu plus de temps que prévu " , plaisante celle qui n’aura jamais dérogé à sa propre règle, celle de renoncer à voyager en avion. Rires de la foule venue ce soir d’automne célébrer le 40ème anniversaire de l’une des plus grandes victoires de Greta Thunberg : la reconnaissance de l’écocide comme crime international par la Cour pénale internationale (CPI). " Je m’en souviens comme si c’était hier, commence timidement l’activiste. Je me rappelle avoir reçu un coup de fil de ma soeur Beata : la CPI venait d’inscrire l’écocide dans la liste des crimes internationaux. Après des années à batailler, nous avions gagné. La planète tenait enfin sa revanche. "
Comme un instinct de survie, Greta Thunberg a fait de la lutte contre le dérèglement climatique son cheval de bataille. Son arme ? Sa capacité à mobiliser les plus jeunes. Elle n’est âgée que de 15 ans lorsqu'elle commence, en 2018, la " grève des écoles pour le climat " (" Skolstrejk för klimatet "). Assise devant le Parlement suédois, l’écolière en ciré jaune est bientôt rejointe par d’autres. Au fur et à mesure que le mouvement se développe, les discours de cette jeune ado trouvent un écho. À tel point que des millions d’élèves, étudiants et étudiantes se rallient à sa cause. " À cette époque, l’environnement est un sujet de préoccupation majeur mais souvent relégué au second plan, après les questions purement économiques. Les partis écologistes gagnent un peu en influence dans la sphère politique mais aucune figure n’émerge vraiment… jusqu’à Greta Thunberg " , décrypte l’écologue Camille Bernery.
De l'école buissonnière aux Nations unies
Malgré son jeune âge, la militante de la première heure - ses proches disent même qu’elle est née " engagée " - n’hésite pas à dire tout haut ce que les autres pensent tout bas. Car Greta Thunberg le sait : son combat est le bon. Quand à neuf ans, elle entend parler du problème du dérèglement climatique et comprend que les dirigeants ne font pas grand-chose pour y remédier, elle décide d’arrêter de manger de la viande. Parce que son geste n’a que peu d’impact sur les émissions de CO2, elle raconte être tombée dans la dépression. La petite Greta se referme, cesse de parler et même de s’alimenter. L’année de ses onze ans, elle perd dix kilos, est déscolarisée et frôle l’hospitalisation. Le diagnostic tombe. Greta Thunberg est, comme sa soeur Beata, autiste d’Asperger avec un trouble obsessionnel compulsif doublé d’un mutisme sélectif. Qu’importe, elle entend sauver la planète. Ben Cooke, journaliste au Times, obtiendra d’elle cette confidence : " Je suis sortie de cette dépression en me disant que j’avais beaucoup de choses à accomplir dans ma vie, que j’allais essayer de faire bouger les lignes. " Et l’ado a raison d'y croire.
À 15 ans, Greta Thunberg remporte un concours d’essai sur le climat organisé par le quotidien Svenska Dagbladet. La genèse de sa carrière d’activiste. Son plan : protester contre l’inaction du gouvernement suédois en séchant l’école jusqu’aux élections générales de septembre. Le 20 août de la même année, elle poste une photo d’elle sur Instagram - alors l’un des réseaux sociaux les plus influents - assise devant le Parlement suédois, le Riksdag. Son message est clair : " Nous, les enfants, ne faisons pas généralement pas ce que vous nous dîtes de faire, vous les adultes. Nous faisons comme vous. Et puisque vous n’en avez rien à foutre de mon avenir, je m’en fous aussi. " C’est le début de la grève de l’école pour le climat. Le mouvement gagne du terrain. Paris, Moscou, New Delhi, Hongkong… La jeunesse du monde entier manifeste chaque vendredi en faveur de l’action contre le réchauffement climatique.
Derrière ces " Fridays for Future ", la volonté de de faire prendre des mesures pour la protection du climat et d'exiger le respect de l'Accord de Paris sur le climat. Décembre 2018 : à la tribune de la Cop 24, Greta Thunberg scotche tout le monde. Devant un parterre d'adultes, et puissants décideurs, l’écolière livre un discours puissant qui fait mouche. " Vous dites que vous aimez vos enfants plus que tout mais vous détruisez leur futur devant leurs yeux " , soupire-t-elle, fusillant l’assemblée de son regard bleu délavé. " En 2078, je célébrerai mon 75ème anniversaire, et si j'ai des enfants, ils fêteront peut-être ce jour avec moi. Peut-être qu'ils me parleront de vous, qu'ils me demanderont pourquoi vous n'avez rien fait quand il était encore possible d’agir. "
Lauréate du premier prix Nobel de l’environnement
Cinquante ans après ses premiers pas d'activiste, Greta Thunberg peut se targuer d’avoir fait avancer la cause environnementale. Via sa fondation éponyme, qui existe depuis 2020, elle a mis en place de nombreux programmes destinés à compenser les émissions de gaz à effet de serre et financé de nombreux projets sur les énergies renouvelables, l'efficacité énergétique et la lutte contre la déforestation. Via son ONG For the Climate, elle n’a jamais cessé de sensibiliser la population à agir. " Notre organisation est née d’un constat simple : les gouvernements n’étaient pas à la hauteur de l’enjeu climatique. Après la pandémie de coronavirus, la priorité était donnée à l’économie et non pas à l’environnement. Alors, pour relancer la mobilisation citoyenne, on a imaginé avec Greta la création de For the Climate, raconte l’Allemande Anuna de Wever, secrétaire générale de l’ONG écologiste. En plus de structurer les actions, cela nous a permis d’être le porte-voix d’une génération soucieuse de trouver des réponses à l’urgence de la crise climatique, d’alerter les médias et l’opinion publique, et de formuler des recommandations. " Pari réussi. En 2028, For the Climate obtient un statut consultatif auprès des Nations unies. Ceci a l’avantage de permettre à la jeune Suédoise, fraîchement diplômée d’un cursus en philosophie, politique et économie à Oxford, de faire pression sur les États signataires de l’Accord de Paris, qui impose entre autres la neutralité carbone en 2050.
Greta Thunberg, c’est aussi le premier prix Nobel de l’environnement (2031), le célèbre best-seller How dare you again (2050) et des opérations coup de poing comme son sit-in géant devant le siège de la Fifa, à Zurich, à l’ouverture de la Coupe du monde de football de 2022. L’objectif est clair : dénoncer le " désastre " environnemental - et humain - de la compétition organisée, cette année-là, au Qatar. Visiblement, le message a été entendu. Sur le terrain, bon nombre de footballeurs et d’arbitres ont arboré un brassard vert en guise de soutien à l’activiste. Le Croate Luka Andrijašević a même été encore plus loin en faisant don de sa prime à des associations engagées dans la protection de l’environnement. " Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité " , lira-t-on en une des journaux.
" Elle a vraiment changé la mentalité des gens "
Le leadership à la sauce Thunberg est pourtant loin de faire l’unanimité. Ses détracteurs lui reprochent d’être trop " réac ", trop " alarmiste ". Elle, n’en a que faire. Elle jure que tout ce qu’elle dit s’appuie sur la science qui exige de tout changer, sans plus attendre. " Ce qui plaît surtout chez Greta, c’est son sens de la formule et son goût de la punchline. Elle n’a jamais eu peur de remettre les plus hauts dirigeants à leur place. C’est une femme très forte " , analyse Camille Etienne, députée écologiste au Parlement européen, souvent décrite comme " la Greta Thunberg française ".
Déterminée, Greta Thunberg est tout autant indépendante. Pour garder son esprit critique, elle s’est d’ailleurs toujours refusé à accepter un poste au gouvernement. " Encore beaucoup de personnes minimisent l’action de Greta sur la préservation de la planète ou considèrent qu’elle n’a rien fait. À tort. Nos recherches montrent qu’elle a bel et bien eu un impact. Elle a vraiment changé la mentalité des gens et c’est ce dont a besoin une société pour se transformer " , observe Anandita Sabherwal, chercheuse à la London School of Economics et autrice de The Greta Thunberg Effect.
Sur la scène du Lincoln Center, Greta Thunberg semble enfin prendre le pouls de son influence. " Voilà maintenant plus de cinquante ans que je me suis assise devant le Riksdag. Aussi surprenant que cela puisse être, je crois bien avoir relevé le défi : faire de l’enjeu climatique la priorité numéro 1 ", tranche-t-elle. " Et notre combat a payé. Les émissions de CO2 ont drastiquement baissé, la planète a enfin cessé de se réchauffer, la mobilité verte a fait sa révolution, les investissements dans les énergies renouvelables n’ont jamais été aussi importants qu’aujourd’hui… On peut se réjouir que ça aille dans le bon sens. " Fin du discours. Greta Thunberg s’éclipse. Son train de nuit l’attend déjà. Direction : Los Angeles.