Difficile exercice que celui de considérer avec la distance requise un changement certainement plus profond que ce que nous pouvons imaginer aujourd’hui. Qui avait prédit l’impact structurel de l’arrivée d’Internet dès le milieu des années 90 ? Qui pouvait anticiper dès la fin du XIXᵉ siècle les bouleversements induits par l’extraction du pétrole ? Pour plusieurs experts et expertes du sujet, l’industrie 4.0 est de ces séismes sociétaux.
De l’industrie 4.0 à la 4ᵉ révolution industrielle
L’industrie 4.0 serait donc une lame de fond destinée à emmener dans son sillon l’ensemble d’une économie toujours plus mondialisée. C’est d’ailleurs l’avis de Yannick Mahé, directeur de L’Usinerie, pôle régional dédié à la transition digitale des entreprises industrielles : « Il y avait un monde avant Internet, et un monde après. L’Intelligence artificielle, la robotique, les innovations de rupture qui émergent pour former l’industrie 4.0 représentent un changement de paradigme aussi fort. »
Mais au fait, l’industrie 4.0, concrètement, qu’est-ce que c’est ? Parfois juxtaposée à la 4ᵉ révolution industrielle, elle se caractérise par l’application au processus de production de l’ensemble des innovations de rupture permises par les avancées de la technologie. Yannick Mahé explique : « L’industrie 4.0 organise des nouveaux schémas de production induits par le recours à des innovations technologiques telles que la cybersécurité, la domotique, l’Internet des Objets, mais encore la robotique, la cobotique [ndlr : interface machine-humain], ou l’intelligence artificielle. » L’ensemble de ces innovations prennent peu à peu leur place sur les chaînes de production traditionnelles, en facilitant la maintenance et les prédictions, en concentrant la ressource humaine sur des tâches à forte valeur ajoutée, par le biais notamment de l’automatisation et du machine learning.
« L’humain est d’ailleurs au cœur de l’implémentation et du potentiel succès de l’industrie 4.0 » , précise Yannick Mahé. Le progrès technologique implique souvent de l’appréhension pour la place de l’humain. Or, craindre l’impact du progrès technologique sur sa place, c’est peut-être aussi sous-estimer notre résilience. Premièrement parce que les innovations servent à accélérer et à améliorer le processus de production, apportant donc plus de valeur à la production elle-même et moins de pénibilité pour les ouvriers.. Deuxièmement parce que de nouveaux métiers encore trop peu connus arrivent en masse sur le marché du travail. Avec la prépondérance de la donnée, tous les métiers qui y sont liés (Data scientist, data analyst, data architect, data protection officer, etc.) ont par exemple le vent en poupe.
De l’impact sur le processus de production à son influence sur l’organisation du travail, l’ensemble de l’écosystème économique est ainsi transformé par l’industrie 4.0. « Nous n’en sommes qu’aux prémices de l’implémentation de ces nouvelles technologies, acquiesce Yannick Mahé. Or, on mesure déjà l’étendue des changements. C’est son implémentation massive qui dessinera les contours de la quatrième révolution industrielle à venir. »
L’ambition d’une souveraineté technologique européenne
Comme dans tous les cycles économiques, les cartes sont donc redistribuées aux différents acteurs économiques. Si on peut attribuer à l’Allemagne les premières mentions de l’Industrie 4.0, en 2011 au Forum mondial de l’Industrie d’Hanovre, les technologies qui s’y rapportent ont été depuis très largement développées en dehors du territoire économique européen. La Chine et les États-Unis ont ainsi pris de l’avance sur la transformation numérique et l’intelligence artificielle.
La maturité technologique des industries européennes est en deçà de celles des industries asiatiques ou américaines. Un rapide coup d’œil aux chiffres de l’International Federation of Robotics confirme ce constat : en 2019, la France dénombrait 117 robots pour 10 000 employés et employées du secteur industriel. Plus que la moyenne européenne (114), mais moins que nos voisins d’outre-Rhin (346), et très loin derrière les industries coréennes (855) ou singapourienne (918).
Une situation qui n’inquiète pas pour autant le directeur de l’Usinerie : « Le niveau de maturité technologique des industries européennes est plus faible que celui des industries asiatiques ou des États-Unis, mais depuis la dernière révolution industrielle, les perspectives n’ont jamais été aussi bonnes à condition de prendre massivement le virage de l’industrie 4.0. »