Son regard déterminé en dit long sur sa personnalité : Eva Sadoun a une âme de militante, liée à une volonté d'agir qu'elle a dans la peau depuis sa jeunesse. " Très tôt, j'ai su que je voulais proposer autre chose que l'économie et la finance classiques dont je déplore le système et les mécanismes " , avoue cette entrepreneuse qui avait adoré ses deux années de philosophie avant d'enchaîner sur un  master à l'Essec.

" Je ne peux être que dans l'alternative "

Je n'ai pas les codes de la finance traditionnelle. Alors je ne peux être que dans l'alternative. Le modèle que je propose est une façon de dire que par mon innocence je peux créer quelque chose d'innovant. ". Eva Sadoun est cash. Et puise dans sa non conformité son ressort pour créer une finance " adaptée à sa vision, qui est celle du durable ". En 2014, à 24 ans, elle co-fonde Lita.co. Cette plateforme qui permet aux citoyens d’investir directement dans des projets à impact social et environnemental, finance la transition des entreprises. Aujourd'hui, " Lita est groupe européen pionnier de la finance écologique et sociale, employant une cinquantaine de personnes " relève fièrement la startuppeuse dont les débuts n'ont pourtant pas été faciles. " Personne ne croyait au projet ! " se souvient-elle.

Forte de son succès, la plateforme lance l'appli Rift en 2020, le " Yuka de l'épargne " . Dès sa sortie, elle défie le milieu bancaire. Son objectif ? Mesurer l'empreinte globale des placements en  les rendant publics et opérer des transitons d'un portefeuille d'actions vers un autre plus vertueux. Un modèle qui fait ses preuves puisque deux ans après le lancement de Rift, Lita.co lève 100 millions d'euros pour financer 70 entreprises. Et sa fondatrice va même procéder à un nouveau round de financement, en série B cette fois !

Ses combats, Eva Sadoun les porte aussi en s’engageant dans plusieurs mouvements d’entrepreneurs sociaux dont Impact France qu'elle co-préside depuis 2020 avec Jean Moreau, fondateur de Phenix. Ensemble, ils s'attellent à porter au niveau national la voix des entreprises engagées pour la transition écologique et sociale afin de créer une alternative au MEDEF. Avec quelques 200 candidatures par mois,  l'organisation  regroupe plus de 1200 entreprises en cours de transition ou déjà responsables. Un chiffre qui a quasi doublé en un an car comme le souligne sa co-présidente, " Nous ne sommes pas en opposition avec l'organisation patronale. Une entreprise peut très bien avoir la casquette Medef d'un côté et Impact France de l'autre. Ce n'est pas contradictoire ".

" Seulement 2% d'équipes féminines lèvent des fonds "

Une économie responsable d'un coté, et plus féminine de l'autre : c'est ce que cette " techno-militante " nomme " l'éco-féminisme ". " L'économie féministe se base sur le principe que la Femme ayant subi une domination masculine, est capable de comprendre comment créer des modèles de " vivre avec ". Un leadership éco-féministe est un leadership qui renverse ce rapport de domination, et si on renverse ce rapport dans la finance on a alors une finance " au service de " ". Fil conducteur de son approche : une économie au service des gens et non au service de la richesse de quelques uns, que les femmes seraient particulièrement aptes à porter.

Elles qui sont sous-représentées dans le secteur financier (moins de 15% dans les équipes d'investissement, moins de 5% dans les équipes de direction des fonds d'investissement, et aucune femme dirigeante d'une grande banque) comme dans la Tech.  " La Tech est loin d'être un milieu inclusif et progressiste. C'est hélas tout l'inverse ! Quand on voit les licornes françaises qui ont été financées, il n'y a d'ailleurs pas une seule femme fondatrice " déplore Eva, qui parfois, a eu envie de tout lâcher " tant c'est éprouvant dans ce milieu d'être une femme. Il faut toujours prouver plus qu'un homme ".

" Il y a d'autres formes de leadership à faire émerger dans la tech "

Pour faire bouger les lignes, elle propose plus de femmes dans les joint-venture capital " car cela permettrait d'avoir des femmes qui financent, investissent et développent des projets ", des crédits d'impôts-recherche comme les aides à l'innovation " qui soient conditionnés à des critères en matière de parité dans les comités de direction et les équipes ". Et pourquoi pas, " des systèmes de bonus pour encourager les entreprises à avoir plus de femmes dans les équipes de direction ".

Car in fine, s'il y avait plus de femmes dans la Tech, ce secteur permettrait de " mieux partager la valeur " ne cesse de marteler Eva Sadoun, convaincue qu'il faudrait " que les business puissent mieux s'adresser aux femmes, et dans des modèles de croissance différents de ceux conçus par les hommes ". En somme : " il y a d'autres formes de leadership à faire émerger dans la tech ".