Se développant dans tous les territoires, ces entreprises font appel à des technologies de rupture (souvent issues de la recherche) pour offrir des produits et services s’inscrivant dans une transition durable des filières agroalimentaires soumises à une mutation profonde : la nécessité de produire plus, mieux, avec moins. Elles regroupent toutes les technologies d’origine végétale, marine ou microbienne pour une application au sein des filières agricoles et alimentaires.

Plusieurs startups françaises se sont déjà hissées au rang de champions mondiaux : Ÿnsect, la plus connue, qui produit des protéines à base de farine de larves d’insectes pour la nutrition animale et humaine ; Afyren, déjà cotée en Bourse, et ses conservateurs naturels en alternative aux acides pétro-sourcés ; ou Micropep, développant des herbicides naturels sur une technologie d’interférence ARN permettant de remplacer les pesticides chimiques, pour ne citer qu’elles.

De quoi dynamiser une filière agroalimentaire, qui, avec 70 milliards d’euros d’exportations en 2021, est la première industrie contributrice à la balance commerciale française, loin devant l’automobile et l’aéronautique, et l’aider à répondre aux grands défis économiques, sociétaux et environnementaux.

L’innovation au cœur des territoires

Dijon, Lille, Lyon, Montpellier, Saint-Brieuc ou encore Toulouse : voici les nouvelles capitales de cette filière d’avenir. Contrairement aux licornes digitales très largement implantées en Ile-de-France, nos 1 500 startups DeepTech tous secteurs confondus, qui représentent près de 10 % du total des startups en France, rayonnent sur tous les territoires et irriguent de nombreux écosystèmes. C’est encore plus vrai pour les BioTech agricoles et agroalimentaires. Grâce au maillage des instituts de recherche, particulièrement efficaces et reconnus mondialement comme l’INRAE, le CNRS ou le CEA, elles créent de l’emploi qualifié, peu délocalisable, dans des régions mises au défi de réoxygéner certaines filières par des politiques locales de soutien à l’innovation.

Première puissance agricole en Europe, la France dispose de solides atouts pour faire éclore les grands champions de demain. Mais leur mise sur orbite dépend de deux verrous qu’il convient de lever en urgence.

Capitaux et réglementation : le couple gagnant

Au-delà de quelques financiers précurseurs comme Bpifrance ou le Crédit Agricole, peu nombreux sont les investisseurs à s’intéresser à ce secteur en développement ou à savoir accompagner ces entreprises. Cette prudence s’explique par plusieurs facteurs : les cycles de développement sont longs et particulièrement capitalistiques, la compréhension des technologies demande une réelle expertise scientifique et sectorielle, et le pilotage des phases d’industrialisation ne peut pas s’improviser. Résultat : lever des capitaux pour financer leur développement et leur croissance est difficile, la France manque de fonds d’investissement spécialisés, et les entrepreneurs font appel à des capitaux étrangers, notamment américains, induisant un risque de délocalisation.

La règlementation, comme dans la santé, est là aussi critique. Le temps moyen en Europe pour une autorisation de mise sur le marché d’un produit de biocontrôle visant à protéger les cultures est de 5 à 7 ans, contre seulement 2 à 3 ans aux Etats-Unis. L’autorité américaine de régulation des phytosanitaires a, par exemple, mis en place un programme ad hoc pour les solutions naturelles. La lourdeur des dossiers d’homologation et le manque de visibilité sur le calendrier sont des freins à l’adoption de ces solutions innovantes qui offrent pourtant de réels gains en matière d’impacts environnementaux. Ce différentiel réglementaire a créé un véritable appel d’air pour ces BioTech aux Etats-Unis, désormais considéré comme le marché prioritaire.

Il est temps de réagir !

Il y a quelques années, la France était une nation pionnière dans la recherche variétale pour la production de semences agricoles. Elle a par la suite totalement manqué le virage révolutionnaire initié par la technologie d’édition génomique CRISPR-Cas9, pourtant co-inventée par la prix Nobel française Emmanuelle Charpentier. L’Europe et a fortiori la France sont encore dans la course, mais elles doivent dès aujourd’hui prendre la mesure de ce qui se joue : les " AgriTech " conditionnent une bonne partie des Transitions de notre siècle, agricole et alimentaire évidemment, mais aussi énergétique et écologique.

Au fond, faire sauter ces verrous et s’engager pour leur développement, c’est une question de progrès technologique (solutions durables, responsables, efficaces), de rattrapage industriel, de souveraineté et donc de prospérité future. Jacques Duhamel, ancien ministre de l’Agriculture ayant fait autorité dans tout l’écosystème, avait déclaré en 1970 que si nous ne sommes pas capables de renouveler nos connaissances et d’appliquer nos découvertes, nous perdrons toute capacité d’indépendance et de compétition. Des propos, qui, cinquante ans plus tard, n’ont pas perdu leur pertinence, et ce, dans un contexte pourtant totalement renouvelé par l’émergence de technologies et la nécessaire transition de l’industrie agro-alimentaire. Alors donnons-nous les moyens de semer toujours plus de jeunes pousses et d’en récolter les fruits !

Vincent Usache est CEO de Microphyt et Romain Sautrau est investisseur chez Supernova Invest et administrateur de startup BioTech