On ne compte plus les écrits sur les vertus de l’échec entrepreneurial ni les posts LinkedIn « inspirants », compil des meilleures citations de l’intégrale de Lao Tseu ; « L’échec est le fondement de la réussite ». Pas sûre qu’un entrepreneur au lendemain d’un crash professionnel en fasse tout de suite son mantra. Surtout qu’un ratage confère encore le statut de looser aux yeux de bien des gens voire des institutions (banques, assurances, etc.)
Même si en France, dédramatiser l’échec relève encore de la révolution culturelle, les lignes commencent sérieusement à bouger. Depuis quelques années, les langues se délient et les entrepreneurs qui ont été dans la tourmente sont de plus en plus nombreux à témoigner sous l’impulsion d’associations comme 60 000 rebonds, Les Rebondisseurs français, Re-créer ou encore Second souffle.
Le sujet est désormais passé à la loupe par des observatoires dédiés comme celui du Rebond ou encore Amarock. Thèses et ouvrages scientifiques se multiplient. « Libérer la parole et dédramatiser sont les premiers jalons pour sortir de la stigmatisation de l’entrepreneur qui échoue », estime Isabelle Saladin, serial entrepreneure et cofondatrice de l’association Les Rebondisseurs français. À la notion d’échec, elle préfère celle de rebond. « Un rebond qu’il faudrait commencer à considérer comme une valeur économique, comme une étape normale du cycle entrepreneurial », défend-elle.
Kangourou vs autruche
« Selon que vous soyez un quinquagénaire, père de famille qui monte une boulangerie ou une jeune diplômée évoluant dans un écosystème startup très disruptif, l’échec ne sera pas du tout vécu de la même façon », tient à rappeler Francis Lelong, CEO d’Alegria.tech. L’entrepreneur a lui-même connu quelques revers notamment celui d’avoir été débarqué par ses investisseurs de l’entreprise qu’il avait fondée – Sarenza. Mais si tous les échecs ne se valent pas, les rebonds – quels qu’ils soient – valent la peine d’être engagés.
Face à la difficulté, l’entrepreneur explore une large palette d’émotions. Colère, tristesse, peur… déni. L’égo en prend forcément un sacré coup. « Nous sommes certains d’avoir développé le meilleur service. Sans cela, comment convaincre client, investisseurs », explique Albert Szulman. Il a presque 50 ans lorsqu’il lance Be Bound, une startup qui devait permettre aux coins les plus reculés du monde de se connecter à Internet. Un projet qui ne franchira jamais les portes du succès qui commençaient alors à s’ouvrir. Tout s’écroule en quelques heures. L’entrepreneur se souvient être rentré chez lui complètement sonné. « Mon épouse m’a conduit aux urgences psychiatriques, raconte-t il sans détour. J’avais donné plusieurs années de ma vie dans ce projet. La chute est vertigineuse. »
Santé, équilibre somato-psychique, image de soi, ressources économiques… les impacts sont multiples. « Mais l’essentiel est de parvenir à accepter la réalité des choses et de ne pas se raconter une autre histoire, souligne Francis Lelong. Cela nécessite d’en faire une analyse précise pour en comprendre les ressorts. A priori, on ne fait pas trois fois la même erreur. Si l’on peut tirer bénéfice d’un échec, c’est bien celui-là… ».
Et Isabelle Saladin d’ajouter : « Il ne faut pas rester là où on est tombé. Le statisme est un ennemi redoutable. Pour le combattre, il faut être accompagné. »