Cinq ans après sa création en 2014, Meero bouclait une levée de fonds de 205 millions d’euros qui aurait pu la faire entrer dans la catégorie des licornes (après des levées de 15 et 45 millions en 2017 et 2018). L’effet fut immédiat. Cette startup, principalement restée sous le radar de l’écosystème jusque là, devenait le grand sujet de conversation. Admirée par certains, détestée par d’autres, on lui a rapidement reproché de venir ubériser le métier de photographe. Maddyness a souhaité prendre le pouls de cette startup auprès de Gaétan Rougevin-Baville, COO de Meero, qui retrace ces dernières années telles qu’elles ont été vécues de l’intérieur.

Les effets d’une levée record

Dans le domaine BtoB depuis sa création, la startup propose une place de marché pour mettre en relation des photographes professionnels avec des entreprises qui ont des besoins de contenus. À côté de cette plateforme, Meero a toujours eu des ambitions sur la dimension logicielle puisqu’elle a très tôt mis en exergue la particularité d’utiliser l’intelligence artificielle pour traiter et améliorer automatiquement les images.

Aujourd’hui, la startup a investi considérablement dans la création d’un logiciel en SaaS qui va permettre aux acteurs e-commerce de créer, gérer et améliorer l’ensemble de leurs médias via des workflows automatisés et des algorithmes.

De par son métier et son focus BtoB, le nom Meero n’était connu que des initiés avant sa levée de fonds record. Celle-ci allait pourtant tout changer… pour le meilleur et pour le pire : " L’une des conséquences positives, c’est que cela nous a apporté une vraie reconnaissance sur le marché qui nous a aidés à recruter. Ensuite, cela nous a permis de signer des clients. Quand tu es une boîte BtoB française et que tu veux signer une boîte internationale comme Booking.com aux Pays-Bas, le fait d’avoir fait une grosse levée et d’avoir fait parler de soi, ça nous a énormément aidés. Et on ne va pas se mentir, cela a aussi donné de la motivation à toute l’équipe ".

Le feu des projecteurs est pourtant rapidement à double tranchant. Le schéma est bien connu dans le monde des startups : vous attirez l’admiration quand vous êtes petit et innovant… mais l’avis général peut vite basculer quand vous donnez le sentiment de grandir trop vite. " On se faisait juger un peu par tout le monde à l’époque, explique Gaétan. On a fait l’objet d’articles plus ou moins sympathiques, mais j’imagine que c’est un effet logique de l’attention ".

La question est longtemps débattue entre Gaétan Rougevin-Baville et Thomas Rebaud, CEO de Meero : faut-il répondre à ceux qui veulent créer la polémique ? Le choix sera celui de la discrétion. " Tout le bruit autour de la levée de fonds était nécessaire, je ne le regrette pas du tout, au contraire. Mais on a vite choisi de revenir à cette stratégie de rester sous les radars. Cette levée fait figure d’exception pour nous. Et puis c’est un combat perdu d’avance. Parce que tu auras beau expliquer que, pour toi, ce n’est pas du tout de l’ubérisation, que c’est déjà un métier qui se fait de base en mode mission, se justifier sur la place publique ne fera que donner plus d’importance au débat. Il faut s’en affranchir, il faut l’accepter ".

Craignant un effet Streisand, ils font le choix de ne pas répondre… sauf en interne, où ils vont faire un travail de communication auprès de leurs équipes et des photographes de la plateforme. L’autre effet négatif de cette levée est à chercher du côté de l’équipe qui a peut-être grandi trop vite. Certains collaborateurs des débuts étaient très contents d’évoluer dans une entreprise d’une cinquantaine de personnes et ont mal vécu de se retrouver soudainement dans une entreprise de 600 personnes. " Ce sont les différentes phases d’une boîte et il faut savoir s’y adapter, c’est normal. On a donc accompagné ces collaborateurs pour trouver une place en interne qui leur conviendrait mieux ou de les aider à trouver une entreprise qui conviendrait mieux à leurs attentes ".

Dans l’ensemble, Gaétan Rougevin-Baville ne garde pas un mauvais souvenir de la période. Au-delà des bruits de couloir et du travail RH, la période post-levée était une période dorée où tout semblait possible…

Puis la pandémie est arrivée six mois plus tard.

Une nouvelle étape pour Meero

Au moment de la levée, les équipes de la startup communiquaient sur les plans d’atteindre 1.200 collaborateurs à la fin 2019. La vérité fut plus dure. Après six mois de chômage partiel, Meero commence à mettre en place des ruptures conventionnelles collectives avant de finalement organiser un plan social qui verra partir 82 collaborateurs, même si ce serait 350 collaborateurs qui auraient finalement quitté l’entreprise à cette période. Encore une fois, Gaétan ne regrette rien : " Je pense que c'est le plus gros défaut des entrepreneurs : penser que les décisions difficiles peuvent être repoussées. On est aujourd’hui en bonne santé financière parce que l’on a fait ces choix au bon moment. Je pense que c’est l'une de nos forces d’avoir su s'adapter rapidement, non seulement en développant fortement un nouveau business model, mais en plus en restructurant l’entreprise. Même si c'est un choix difficile. Il fallait faire ces choix rapidement et sans hésiter pour ne pas nous mettre dans une posture compliquée ".

Le nouveau business en question, c’est la dimension logicielle qui est rapidement devenue la priorité de l’entreprise à un moment où les shootings photo étaient tout simplement impossibles à réaliser.

En parallèle des développements internes, Meero a d’ailleurs réalisé l’acquisition de deux entreprises en Autriche et en Allemagne.

La première, Car Cutter, leur apporte une brique qui leur permet d’ouvrir une nouvelle verticale sur la photographie automobile. Et le second, Auto Retouch, leur permet d’aller plus loin dans le domaine de la mode avec son outil de retouches par IA.

L’entreprise a donc rapidement su prendre une nouvelle direction au vu des circonstances. " Au moment de la levée, on pensait vraiment qu'on serait 1.200. La pandémie nous a gentiment rappelé que ce marché-là ne faisait plus la même taille après la COVID. On a alors changé notre fusil d'épaule. Et on réinvestit dans un autre projet un peu différent, qui est dans la continuité de l’autre. On réaccélère tout en gardant le premier business. Cela n’a jamais été une finalité d’être 1.200. Je suis très content d'être le nombre que l'on est aujourd’hui, avec des collaborateurs de qualité qui sont heureux de venir bosser tous les jours. Et puis Meero a des bases solides sur les plans humain, IT, et financier pour poursuivre son développement. Nous anticipons une croissance importante portée par nos investissements sur la partie logicielle qui devrait nous permettre de décupler notre CA à horizon 3 ans ".