Il y a dix ans, Jean-David Chamboredon était interviewé par nos confrères de La Tribune à propos du projet de loi de finances 2013, dont l’ambition était de taxer à plus de 60%, les plus-values de cession. Pour lui, cela signifiait l’arrêt de mort d’un écosystème encore naissant : " Une fois taxé à plus de 60%, il n’y aurait plus un seul business angels pour investir en direct ", explique-t-il.

Lors de cette interview, Jean-David Chamboredon explique alors le fait que deux typologies d’actionnaires existent : " Il y a l’actionnaire-rentier qui touche des dividendes d’un grand groupe et il y a le business angel qui, un jour, fait une plus-value parce qu’il a investi il y a dix ans dans une startup où il aurait pu tout perdre ". 

Pour aller plus loin sur le sujet, et pour dépasser la contre-argumentation de la journaliste chargée de l’interview, Jean-David Chamboredon propose alors à la direction de La Tribune " Si vous voulez, j’écris une tribune pour expliquer ce que je pense ". Il passe alors la soirée devant son ordinateur à poser les mots qui allaient devenir les fondations du mouvement des Pigeons. 

" Ça a marché parce que c’était complètement inopiné, commente-t-il aujourd’hui. Ce n’était pas du tout fomenté ou travaillé… Cela a fait mouche parce que ça venait du cœur. C’était vraiment un cri d’alarme sur un écosystème que je connais très bien ".

Une fois publié, le texte écrit en une soirée fait écho au sein de la communauté des entrepreneurs et business angels, partout dans le pays. Les Pigeons, c’est donc l’un des premiers mouvements de ras-le-bol fiscal en France qui va apporter son lot de révélations. 

" Tout d’abord, cela a prouvé aux pouvoirs publics qu’un écosystème d’entreprises existait et qu’il était différent de l’économie traditionnelle, lâche Jean-David Chamboredon. Qu’il ne se finançait pas avec de la dette, mais avec du capital ". 

Ce moment signe l’acte de naissance de la French Tech sous l’impulsion d’une Fleur Pellerin qui voit l’essor de ce mouvement.

10 ans plus tard

Il est presque difficile de croire combien l’écosystème startup a évolué ces dix dernières années. Jean-David Chamboredon se rappelle pourtant très bien du contexte de l'époque. 

" En 2013 la France n’est pas sur la carte du monde de la tech… ou en est une sous-préfecture, mais certainement pas une capitale. Je me rappelle de mes camarades américains qui venaient en Europe : ils allaient à Londres évidemment, à Berlin, à Stockholm. Mais ils ne venaient pas en France. Ils considéraient Paris comme une ville communiste où tout est taxé à 75%, et où il n’y a aucune belle entreprise mise à part BusinessObjects at Dassault Systèmes dans les années 1990 ". Il aura fallu dix années pour définitivement effacer cette image de notre écosystème. 

Jean-David Chamboredon pointe du doigt plusieurs évènements qui nous ont fait basculer vers cette nouvelle ère. Le premier se nomme Criteo et s’est fait remarquer avec son IPO et le deuxième Blablacar, qui a réalisé trois levées de fonds successives avec de grands fonds anglo-saxons.

Pour le CEO d’ISAI, il s’agit là des deux premières vraies licornes françaises, les précédentes n’ayant pas réalisé d’augmentation de capital pour arriver au 1 milliard d’euros. Ces évènements auraient ainsi aiguisé les appétits des Anglo-saxons pour la France qui y voyait, enfin, un marché où il était possible de gagner de l’argent. En 2022, la France recense 26 licornes. 

" Aujourd’hui, on a un écosystème sur un format similaire à nos compétiteurs… on ressemble à un petit New York, un petit Londres ou un gros Berlin ".

Vers de nouveaux challenges pour cet écosystème

Mais cette nouvelle étape ne se fait pas sans son lot de nouveaux défis à relever.

" Autant on a longtemps manqué de capital, martèle Jean-David Chamboredon. Autant aujourd’hui on manque de talents avec de l’expérience. Par définition, les gens qui étaient là il y a dix ans ne sont pas nombreux. On a donc un écosystème encore extrêmement jeune, avec beaucoup de créativité, d’énergie, d’ambition, mais aussi parfois un manque d’expérience qui peut conduire des entreprises à avoir du mal à passer des plafonds de verre. Amener une entreprise de 1 à 10 millions, ce n’est pas la même chose que de 10 à 100 millions et ce ne sont pas forcément les mêmes talents et les mêmes compétences ". 

L’autre nouveauté, c’est le retournement du marché qui vient mettre fin à l’exubérance qui pouvait prévaloir chez certains entrepreneurs. " Cela remet tous les entrepreneurs sur une piste un peu plus saine de croissance maîtrisée, de croissance qui peut conduire à des schémas de profitabilité à maturité. Parce que les belles entreprises ne sont pas celles qui font de la croissance et des pertes à tout jamais, ce sont des entreprises qui font des pertes pour atteindre une certaine taille,  et un jour se pérennise avec des modèles économiques profitables. Tous les entrepreneurs français sont donc sur une revue de leur modèle économique et une revue du coût de leur croissance pour essayer d'optimiser justement leur modèle pour que la croissance leur coûte un peu moins cher en capital. Parce que le capital coûte beaucoup plus cher depuis quelques mois. "

Jean-David Chamboredon opte pour la dimension positive qui va ressortir de la période actuelle, où les entrepreneurs vont se concentrer sur leur rentabilité.

" Beaucoup de gens dans cet écosystème n’avaient connu que ce cycle haussier (ndlr : marché dont la tendance va vers le haut). Or, ce n'est pas la vraie vie. La vraie vie économique, c'est qu'il y a des hauts et des bas. Il y a des cycles, il y a des crises. Il y a des moments avec le vent dans le dos. Et puis il y a le vent de face. Et donc là, toute une génération d’entrepreneurs, mais aussi d'investisseurs, et est en train d'apprendre ce que c'est que de naviguer quand on a le vent de face. Et pour être un bon marin, il faut savoir naviguer quand on a le vent de face ". 

Les belles histoires mettent du temps

Si la période va s’avérer peut-être plus rude pour les entrepreneurs, elle saura peut-être mieux les préparer et accueillir les futurs beaux jours. 

Jean-David Chamboredon présente la situation différemment :  " Si on donne 1 000 euros à un enfant de huit ans, il y a de fortes chances que cet enfant soit gâté et pas forcément bon gestionnaire. S’il reçoit 20 euros, il y a des chances qu’il devienne meilleur gestionnaire. Les startups c'est pareil, il est nécessaire de démarrer avec peu d'argent pour qu'elles soient intelligentes dans la façon dont elles investissent leurs euros et elles trouvent des trucs astucieux pour se différencier ".

C’est de cette manière qu’a pu se construire un Airbnb, avec de longues années compliquées. De la même manière pour Blablacar entre 2006 et 2009 : 

" Pendant cette période, Fred (NDA : Mazzella) mange des pâtes… et sans parmesan. Mais quand vous êtes sur quelque chose de vraiment nouveau, cette exigence d’hypercroissance n’est pas forcément initialement indispensable. C’est seulement une fois l’idée démontrée et que vous voulez conquérir le monde vite que le capital risque est la seule façon ". 

Jean-David Chamboredon défend un modèle de démarrage lent, avec le modèle qu’une idée vraiment originale ne va jamais décoller à toute vitesse. 

" Les belles histoires mettent du temps ", rappelle-t-il.