L’erreur était facile à commettre, Timothée Rambaud lui-même mentionne le fait que Legalstart a réalisé " une levée de fonds record " sur son profil LinkedIn. Un choix de mot qui avait pour vocation de simplifier l’annonce d’une opération financière encore peu connue par l’écosystème.

La vérité est que Legalstart a réalisé plusieurs LBO, un montage financier qui permet le rachat avec effet de levier d’une société. Retour sur ce parcours avec le cofondateur de cette startup en croissance.

Ouvrir des portes

Timothée Rambaud ne considère pas son parcours comme étant très original. Diplômé d’une grande école d’ingénieurs (Les Mines Paris) en 2003, il n’a eu de cesse que de faire les choix qui lui fermaient le moins de portes possible. Il a pris soin de garder tous les horizons ouverts. C’est ce qui l’amène à faire une prépa scientifique, celle-ci lui permettait de prétendre aussi aux métiers liés à une prépa commerciale. Il réalise ensuite une école d’ingénieur avec une spécialisation en finance : " C’était à la fois un petit peu de hasard et peut-être aussi lié à mon environnement familial ", explique Timothée Rambaud à Maddyness.

Il part ensuite faire une expérience de Volontariat international en entreprise (VIE) chez BNP Paribas à New York avant de rejoindre Goldman Sachs, plongeant dans l’univers des fusions-acquisitions à Paris et à Londres.

Le parcours de Timothée Rambaud aurait pu prendre ici une toute autre tournure s’il avait choisi de rester dans la fusée qui le faisait grimper toujours plus haut. À cette époque, les appels de chasseurs de tête ne manquent pas pour chercher à le recruter. Il comprend chez Goldman Sachs que la dimension financière et structurelle n’est pas celle où il s’amuse le plus : il préfère largement être dans l’opérationnel des questions stratégiques et business.

" L’entrepreneuriat commençait à me titiller, reconnaît-il. Mais je ne me sentais pas prêt ". Il fait donc le choix de rejoindre H.I.G. Capital, un fonds moins prestigieux, mais qui lui permettait d’être proche des questions de terrain : être entrepreneur par procuration dans une certaine mesure. Il développera le bureau français pendant presque six ans avant de finalement sauter le pas : " Cette expérience m’a confirmé mon envie de me lancer : j’avais envie de prendre mes murs par moi-même, d’avoir mes propres succès ".

Pendant les dernières années d’H.I.G. Capital, l’idée germait, sans jamais trouver la bonne. Jusqu’au jour où il croise le chemin de Pierre Aïdan, un avocat d’affaires qu’il avait rencontré à New York des années plus tôt. " Qu’est-ce que l’on pourrait faire ensemble ? ", se demandent-ils.

Plusieurs acteurs web commençaient à émerger sur le marché juridique aux États-Unis, mais il n’y avait rien en France malgré des attentes et une insatisfaction similaires. " Les acteurs traditionnels n’ont pas évolué en même temps que les attentes de leur marché, explique Timothée. Il y avait un vrai besoin de la part des entrepreneurs pour des solutions juridiques et administratives simples et pas chères ".

Timothée n’est pourtant pas du genre à se jeter à l’eau sans vérifier la température au préalable. Ils passent ainsi une année entière avec Pierre pour réaliser une étude de marché poussée. " J’ai soulevé un peu toutes les pierres, fait des business plans, interrogé la terre entière… et puis on s’est convaincu que ça allait le faire et on s’est lancé ". Presque dix ans plus tard, les deux hommes continuent de tracer le sillon qu’ils ont choisi ce jour-là.

Ne surtout pas lever de fonds

Au risque de sembler contradictoire, et alors qu’il vient de passer la décennie précédente dans la Finance, Timothée Rambaud s’est lancé avec la certitude qu’il ne voulait pas lever de fonds. " On voulait vraiment faire le maximum pour ne pas lever de fonds, lâche-t-il avec conviction. Et ce n’est pas uniquement une histoire de dilution, ça c’est la cerise sur le gâteau. L’objectif est vraiment d’être maître de notre destin. C’est notre projet et on le développe comme on le souhaite. On ne voulait pas d’un fonds qui nous dicte le rythme et les projets à suivre ".

Timothée a été suffisamment longtemps de l’autre côté de la barrière, et a donc immédiatement travaillé un modèle économique qui allait leur permettre de s’autofinancer.

Au bout de cinq ans de cette aventure, il décide tout de même de réaliser une opération qui va leur permettre de poursuivre encore plus sereinement, pour se “dérisquer” selon les mots de Timothée.
" Ce n’est pas une levée de fonds, lance-t-il. On a cédé des parts ".

Legalstart réalise donc une LBO, une opération qui peut permettre à un entrepreneur de se reluer (l’inverse de se diluer), de donner de la liquidité à des actionnaires existants, ou de permettre à certains collaborateurs de devenir actionnaires. Un dispositif auquel de nombreux entrepreneurs pourraient faire appel. " C’est lié à ma familiarité avec ce monde que je connais très bien. J’ai aussi beaucoup d’amis qui sont particulièrement familiarisés avec ce que l’on peut faire ".

Legalstart a donc cédé des parts tout en gardant les mains fermement accrochées au volant. " Je pense qu’il y a une vraie méconnaissance, explique Timothée Rambaud. Les journalistes sont d’ailleurs en partie responsables de ça… avec cette idée que le succès d’une startup se mesure au montant des fonds qu’elle a levés ".

Les LBO ne sont pourtant pas pour toutes les startups. Le dispositif s’adresse aux entreprises qui ont une vraie visibilité dans leur génération future de cash puisque l’effet de levier généré se fait en créant de la dette. Et une banque acceptera de créer de la dette seulement si elle a confiance dans la capacité de l’entreprise à la rembourser.

Il s’agit d’une autre philosophie d’entrepreneuriat qui n’est d’ailleurs pas portée par les mêmes acteurs que ceux du ventures. Timothée Rambaud avait ainsi été approché par Jean-David Chamboredon au tout début de Legalstart pour se voir proposer un investissement de la part d’ISAI Venture. C’est finalement via une tout autre entité, ISAI Expansion, que l’opération de LBO sera réalisée.

ISAI Expansion se définit d’ailleurs comme un fonds qui vient financer des sociétés de croissance rentables réalisant un chiffre d’affaires de 5 à 100 millions d’euros pour les accompagner dans leur développement. Une autre philosophie de l’entrepreneuriat donc, que le CEO de Legalstart résume en quelques mots : " Je ne crois pas au fait de créer une entreprise pour lever des fonds. Tu vas créer une entreprise pour proposer un service qui répond à un besoin, normalement ça va se traduire par du chiffre d'affaires qui va te permettre d’embaucher des gens, de créer de l’emploi et, si c’est bien géré, de générer un bénéfice. L’objectif est d’avoir un business sain… ce n’est pas de faire pousser un mort-vivant ! "

Ce qu’il désigne comme un mort-vivant, c’est une startup souvent très bien valorisée tout en étant déficitaire dans de très grandes proportions et qui prend le risque de se faire " écraser par un fonds qui va décider d’en prendre le contrôle ".

La suite pour Legalstart

L’avenir de Legalstart? Plusieurs scénarii s’ouvrent à Timothée Rimbaud et Pierre Aïdan :
" Est-ce que l'on va continuer à croître comme ça et un jour identifier une méga opportunité pour laquelle il faudrait lever 100 millions et derrière faire une IPO. C'est une option. Tout comme ouvrir quinze pays. Est-ce qu’à un moment donné on va faire un rapprochement avec un acteur stratégique parce que ça a un sens pour le business, je n'en sais rien. Ou peut-être que, au contraire, on voudra continuer à rester aux manettes de Legalstart comme aujourd’hui et rester en contrôle de notre destinée, en continuant de faire des tours de LBO ? "

Il reconnaîtra avoir une forte préférence pour cette dernière option.

" On se met en ordre de bataille pour faire ça. Mais ce n'est pas pour autant que l’on ne regardera pas une opportunité si elle se présente. Mais je ne peux pas être excité par une opportunité qui n'existe pas. Je n'ai pas envie d'attendre quoi que ce soit, je préfère que l’on prenne notre destin en main. Et puis, on n’a pas la pression… on fait de la croissance, on est rentable. Cela nous offre une forme de liberté. L’année prochaine, cela fera 10 ans que Legalstart existe, et on n’a pas de raisons de s’arrêter là, est-ce que l’on va faire 5 ans de plus, 10 ou 20, je n’en sais rien. On n’a pas d’horizon particulier en vue ".