C’est peut-être le début d’une révolution dans l’éducation. Ou simplement une technologie supplémentaire qui demande aux universités et grandes écoles de s'adapter. Dans tous les cas, l’arrivée de ChatGPT, le 30 novembre 2022, ne laisse personne indifférent. Cet agent conversationnel, fonctionnant grâce à une intelligence artificielle (IA) qui a englouti des millions de textes glanés sur Internet, se distingue tant par ses capacités que sa facilité d'utilisation. Jamais le potentiel d’une IA n’avait été aussi accessible et exploitable par les internautes. Il suffit d’une simple inscription sur le site d’OpenAI, la société à l’origine de ce chatbot, cofondée par le milliardaire Elon Musk.

Face au risque de voir les étudiants s’en emparer pour faire leurs devoirs, plutôt que de mobiliser leurs connaissances personnelles et d’effectuer leurs propres recherches, Sciences Po a été la première grande école à réagir en France, avec fermeté. "L’utilisation, sans mention explicite, de ChatGPT à Sciences Po, ou de tout autre outil ayant recours à l’IA est, à l’exception d’un usage pédagogique encadré par un enseignant, pour l’instant strictement interdite lors de la production de travaux écrits ou oraux sous peine de sanctions qui peuvent aller jusqu’à l’exclusion de l’établissement", précise l’école dans un communiqué publié le 27 janvier.

Plutôt que de lui emboîter le pas, les autres écoles adoptent globalement un ton moins catégorique à l’égard de ChatGPT. HEC réfléchit encore sur les actions à mener. L’école de commerce envisage l’interdiction de cet outil, mais réfléchit surtout à "de nouvelles formes d’évaluation des acquis". La direction de HEC se renseigne aussi sur "d’éventuels logiciels qui seraient en train d’être développés pour contrer cette IA".

L’université américaine de Stanford assure par exemple avoir développé un outil qui permettrait de repérer les textes générés à l’aide de ChatGPT, avec un degré de fiabilité qui avoisinerait 95 %. La startup française Draft & Goal propose également un “détecteur de contenu ChatGPT”, avec là encore un niveau de fiabilité qui dépasserait 90 %.

"Wikipédia existe depuis des années et nous ne l’avons pas interdit"

"ChatGPT pose un problème qui n’est pas nouveau, dans la mesure où les étudiants ont déjà accès à une masse de documents sur Internet", explique Bruno Martinaud, responsable académique de l’entrepreneuriat à l’école Polytechnique. "Wikipédia existe déjà depuis des années et nous ne l’avons pas interdit", ajoute-t-il. Pour lui, ChatGPT représente plus une opportunité qu’un risque dans le monde de l'enseignement. "C’est un outil fantastique pour aller plus vite dans certains cours", insiste Bruno Martinaud.

Le ministre délégué à la Transition numérique, Jean-Noël Barrot, considère aussi que les nouveaux outils recourant à l’IA sont porteurs d’un "certain nombre de promesses", tout en posant "des questions légitimes", d’ordre éthique et sur leur degré de fiabilité notamment.

"Ils reposent aussi la question de comment exploiter un savoir, puisqu’y accéder est devenu plus facile et que le savoir en lui-même n’est plus aussi clé que par le passé", souligne Bruno Martinaud.

"Nous avons branché ChatGPT au Slack des étudiants"

Benoît Arnaud, doyen des programmes à l'Edhec Business School, abonde dans ce sens. "La capacité à développer une pensée critique va être beaucoup plus importante dans le futur". Les étudiants vont devoir apprendre à questionner la machine et prendre du recul sur celle-ci. La chatbot Sparrow que développe actuellement Google, via la startup DeepMind dont il a fait l'acquisition en 2014, pourrait faciliter ce travail. Contrairement à ChatGPT, cet outil concurrent pourrait mentionner les sources des textes qu’il génère.

Quoi qu’il en soit, l’IA ne fait pas peur à l’Edhec. "Nous laissons chaque professeur utiliser librement ChatGPT dans le cadre de leurs cours", assure Benoît Arnaud. Mais son école va encore plus loin : "Nous avons directement branché ChatGPT sur l’outil Slack qu’utilisent nos étudiants dans le cadre de leurs travaux collaboratifs". Et l’Edhec avait déjà recours à un autre outil d’intelligence artificielle, ProfesseurBob, développé par une startup française.

L’école envisage en outre d’utiliser ChatGPT pour générer des brouillons de quizz, qui pourraient être soumis aux étudiants après avoir été retouchés par un professeur.

"Nous avons déjà intégré l’IA dans nos programmes"

L’école de commerce Skema adopte une approche similaire. "Pour nous, l’intelligence artificielle n’est pas un sujet d’actualité. Nous intégrons déjà l’IA dans notre cursus", explique Patrice Houdayer, directeur des programmes. "Notre rôle de pédagogue est de préparer les jeunes à apprendre tout au long de leur vie. Les différentes générations d’IA seront demain le quotidien de nos étudiants.".

Comme les autres écoles, Skema n’acceptera pas les devoirs réalisés à 100 % à partir de ChatGPT, qui plus est sans le mentionner. "Nous utilisons déjà des logiciels anti-plagiat et les professeurs se rendent bien compte lorsqu’ils sont face à un simple copié-collé.".

ChatGPT doit surtout permettre d’alimenter la réflexion. "Les compétences clés des étudiants sont aujourd’hui la créativité et l’esprit critique", estime Nathalie Hector, directrice de l’innovation de l’école. "Pour élaborer un plan marketing, ChatGPT ne peut suffire. Nos étudiants travaillent à partir de faits d’actualité et il y a aussi une dimension prospective et multidisciplinaire.". Or, ChatGPT n’est aujourd’hui pas connecté au reste du Web. Et l’IA ne peut guère envisager l’avenir. En outre, la machine ne capte pas la dimension symbolique que peut revêtir une marque, ce qui fait son attrait et sa puissance.

"Les étudiants risquent de ne pas maîtriser des compétences de base"

L’agent conversationnel est d’ailleurs loin d’être performant pour tous types d’exercices. "Nous l’avons testé en droit et il n’a pas eu de bons résultats", confie par exemple Tamin Elbasha, doyen associé à l’école de commerce Audencia. "Nous sommes attachés aux compétences, nous ne demandons pas aux étudiants de répéter des modèles.". ChatGPT n’est donc pas un problème pour l’école, qui prévoit au pire de faire évoluer certains modes d’évaluation, comme elle s’est adaptée à d’autres technologies. "Nous réfléchissons globalement à comment étudiants et professeurs peuvent utiliser cet outil", ajoute Tamin Elbasha.

L’école 42, qui forme de futurs développeurs, s’est aussi emparée du sujet. "ChatGPT apporte clairement les réponses à nos exercices pour débutants. Nous avons donc déjà prévenu nos étudiants qu’ils risquent de ne pas bien développer leurs compétences s’ils l’utilisent dès le début, de même que s’ils copient le code de leurs camarades", précise Olivier Crouzet, responsable pédagogique. "En deuxième partie de cursus, nous envisageons à l’inverse de demander aux étudiants d’y avoir recours pour être plus rapides et efficaces.".

Là encore, l’école ne se prononce pas pour une stricte interdiction de ChatGPT, mais veut plutôt apprendre aux étudiants à s’en servir tout en ayant conscience de ses limites et de ses biais. Car "ce type d’outils fera demain partie de l'industrie", conclut Olivier Crouzet.