L’innovation écologique conditionnée à l’acceptabilité

Consommer moins, voyager moins. Si mettre l’accent sur la nécessité de limiter l’utilisation de certaines ressources peut aider à créer une culture de durabilité et inciter une partie de la population à adopter des comportements plus respectueux pour l’environnement, le champ lexical de la perte peut engendrer chez d’autres une forme d’éco-anxiété contre-productive, comme l’explique Gabrielle Halpern, philosophe et auteure de Tous Centaures, éloge de l’hybridation : “Le discours écologique tourne autour du “moins”. Il est difficile de réenchanter la vie autour du “moins”. Des études en sciences cognitives montrent que l’humain est davantage sensible à la perte qu’au gain. Aussi, des mots comme sobriété ou des injonctions à mettre fin à une forme d’abondance peuvent entraîner un véritable sentiment d’impuissance qui dissuade d’agir.”

Une vision partagée par Catherine Ricou, directrice de l’innovation chez Veolia : “La prise de conscience quant à l’impact de nos comportements sur l’environnement et la biodiversité est universelle, mais elle est éco-anxieuse. Il manque un consensus sur les solutions à mettre en œuvre. Pourtant toutes les propositions existent avec le Giec, le Shift Project et les COP, mais l’enjeu réside dans le fait de savoir si ces propositions seront acceptables d’un point de vue sociétal, économique et culturel.”

Catherine Ricou en veut pour preuve le premier baromètre de la transformation écologique réalisé l’été dernier en partenariat avec Elabe. Une enquête d’opinion mondiale inédite qui permet d’évaluer le niveau d’acceptabilité des solutions écologiques et d’analyser les freins et les leviers d’action pour accélérer la transformation : “Il ressort de cette étude que la population n’acceptera les recommandations qu’à trois conditions : qu’on lui garantisse que les innovations ne présentent aucun risque sur le plan sanitaire ; qu’on apporte la démonstration qu’elles impactent positivement l’environnement ; qu’elles réduisent les inégalités et les injustices environnementales.”

L’innovation écologique par l’hybridation

Pour s’assurer que l’innovation dite écologique ait démontré son impact positif et qu’elle réduise les inégalités, Gabrielle Halpern appelle à l’hybridation de la gouvernance : “Si bon nombre voient dans la gouvernance partagée une perte de temps, force est de constater que, faute d’avoir réuni toutes les parties prenantes, le temps que l’on n’aura pas perdu en amont, sera inévitablement perdu en aval puisqu’on ne pourra pas résoudre, à posteriori, un certain nombre de sujets.” Catherine Ricou le concède : “La technologie ne pourra pas tout. Prenons l’exemple du stress hydrique. En France, seul 1% des eaux utilisées sont réemployées. Pourtant on sait le faire donc on voit bien ici que le problème réside dans l’acceptabilité et la gouvernance. Sur la question de l’eau, entre l’agriculture, l’industrie ou encore l’entretien des voiries, on assiste à une vraie compétition des usages. La gestion de ces usages, nécessite une gouvernance collective pour implémenter les innovations.”

La gouvernance collective est un sujet d’étude que la philosophe Gabrielle Halpern maîtrise tout particulièrement : “Plutôt que de découper la société et de mettre des personnes dans des cases, on s'aperçoit que pour innover, obtenir un tiers lieu, créer un tiers matériau, il est nécessaire de faire collaborer des secteurs, des métiers, des générations, des mondes qui n’ont rien à voir ensemble. Le projet Corail artefact de Jérémy Gobé en est le parfait exemple. L’artiste plasticien a mis autour de la table des personnes issues de l’art, de la recherche, mais aussi des entreprises, des collectivités publiques et des écoles pour construire des dentelles qui servent de tuteurs aux coraux afin qu’ils se régénèrent. En terme d’imaginaire, savoir que ces dentelles peuvent être une solution à la régénération de la biodiversité, c’est génial.”

Sans ranger l’action de Veolia dans le concept de l’hybridation, Catherine Ricou y retrouve le mode opératoire du groupe : “L’innovation ne part pas du siège. C’est de ce postulat que sont nés les Hubs Veolia. Nous travaillons avec 45 pays qui connaissent leurs marchés et leurs écosystèmes. On a une véritable capacité d’hybridation. Il en va de même pour l’Open innovation. Nous cherchons de plus en plus à construire une relation gagnant-gagnant avec les startups. Tous les enseignements que l’on tire de ces rencontres sont par la suite “encapsulés” dans notre Innovation School qui a vraiment le partage de connaissance comme raison d’être.” 

Repenser collectivement la valeur de l’innovation écologique

Auparavant, pour une entreprise, le simple fait qu'une innovation trouve son marché suffisait à la qualifier d'efficace. Ce n’est désormais plus le cas. “Pour Veolia, une innovation sera avant tout efficace si elle trouve son sens écologique. A l’heure où de plus en plus de réglementations vont imposer des taxes, notamment dans le domaine du CO2, si nos innovations ne s’inscrivent pas dans l’objectif net 0 de nos clients, elles n’auront pas d’avenir. La décarbonation doit être l’élément pivot de nos innovations.” Gabrielle Halpern partage le propos, mais insiste sur le fait que pour y parvenir, des figures vont devoir sortir de l'ombre et s’hybrider elles aussi : “Les juristes, les directeurs financiers, les comptables vont jouer un rôle fondamental dans la question de l’innovation et plus particulièrement dans l’innovation écologique. Pour repenser les bilans, pour passer d’une comptabilité financière à extra financière, le directeur financier et le directeur RSE devront, eux aussi, s’hybrider. L’innovation ne doit pas reposer sur toutes les épaules y compris celles de ceux qui ne sentaient auparavant pas concernés.”