As-tu vu une évolution dans les RH et dans ce que vivent au quotidien les services RH ? 

Je parle tous les jours avec mes clients et de nouveaux prospects de toutes tailles et secteurs des différentes solutions et actions de QVT et de formation mises en place dans leurs structures, cela me donne une vision assez large de ce qui se fait, de ce qui marche et ne marche pas. En 2022, j’ai vraiment constaté une accélération des démarches devenues incontournables, voire quasiment obligatoires pour les services RH : la RSE dans son angle " green " et écologique. Parfois considérée d’ailleurs comme un ingrédient majeur de l’expérience collaborateur pour donner du sens au travail.

En témoigne le succès phénoménal de la fresque du Climat, qui est devenue le super teambuilding / atelier collaboratif pour mobiliser les énergies des collaborateurs. C’est génial de sensibiliser à l’avenir de la planète dans le cadre des entreprises évidemment, mais c’est autre chose que de changer les business modèles pour produire sans polluer. C’est un peu comme si on détournait l’attention vers un sujet extérieur pour ne pas regarder ce qui se passe à l’intérieur des organisations, dans le quotidien du travail.

En 2022, crise énergétique oblige, les RH se sont surtout concentrées sur le pilier " green " de la RSE. Le facteur humain / social, essentiel, et avec lui la question et l’enjeu du bien-être au travail, sont parfois passés à la trappe ou traités de manière opportuniste, pendant la semaine de la QVCT par exemple… puis plus rien ensuite. Pendant les confinements, en 2020 / 21, les RH avaient été " obligées " d’agir pour soutenir leurs collaborateurs confinés et pour maintenir le lien, le fun, la cohésion. En 2022, il a fallu donner envie aux collaborateurs de revenir au bureau et recréer du lien en présentiel. Et là, ce sont vraiment deux mondes, voire 3 , qui se sont dessinés.

"En 2022, il a fallu donner envie aux collaborateurs de revenir au bureau et recréer du lien en présentiel"

Le 1er monde, c’est celui des grandes entreprises, souvent dans les services, qui ont mis en place énormément d’initiatives, qui ont testé plein de choses, pour " animer " les salariés. Certains DRH se sont lancé le défi de susciter le " bonheur au travail " . Résultat, ils ont mis en place des actions tous azimuts, parfois sans réelle cohérence. Les collaborateurs sont sur-sollicités (voire parfois un peu pourris-gâtés !), ne trouvent pas le temps d’ouvrir les emails de la comm' interne ou de participer au énième webinar, annulent leur participation au dernier moment ou préfèrent " sécher " l’atelier proposé sur la base du volontariat pour aller prendre le soleil à l’heure du déjeuner…

Et comme on les comprend ! Résultat, un effet " déjà vu, déjà fait " pour les collaborateurs qui ne voient plus la valeur de ce qui leur est proposé, et parfois un découragement pour les RH qui se sont donné énormément de peine pour organiser moult actions, et pour lesquels la participation n’est pas à la hauteur des attentes.

"Résultat, un effet " déjà vu, déjà fait " pour les collaborateurs qui ne voient plus la valeur de ce qui leur est proposé, et parfois un découragement pour les RH qui se sont donné énormément de peine pour organiser moult actions, et pour lesquels la participation n’est pas à la hauteur des attentes."

Le 2eme monde, ce sont les RH des PME/ ETI en Régions qui ont décidé, avec leur Direction, de se lancer dans une action, de construire quelque chose de nouveau, et qui sont souvent peu habitués à solliciter les équipes pour des événements " non strictement professionnels ". Ils s’interrogent souvent sur l’effet qui sera produit. Une intervention par surprise ? Vous n’y pensez pas ! Ils n’osent pas encore proposer des actions de sensibilisation trop disruptives, mais quand ils le font, les attentes sont très fortes et les résultats payants : les collaborateurs sont très reconnaissants, ils participent, ils en redemandent et sont curieux de la suite !

Dans certaines usines où nous sommes intervenus, les collaborateurs ont accès à peu d’offres de sport ou de bien être à l'extérieur de l’entreprise. Ils  sont particulièrement sensibles aux actions qui vont à leur rencontre. Le présentiel est apprécié, le digital aussi, les sourires sont au rendez-vous, les mercis chaleureux, la reconnaissance mesurée par les RH.

Le 3eme monde, il tend à disparaître mais il nous surprend toujours quand on le rencontre. Ce sont ces RH qui se sentent obligés de mettre en place des actions de QVCT mais qui, au fond, n’y croient pas. Cela va à l’encontre de leurs valeurs d’effort ou des injonctions de performance auxquelles ils sont soumis. En témoigne ce dialogue, pas plus tard que la semaine dernière, avec une entreprise tech dans le sud de la France : une collaboratrice sur-motivée avait proposé, de son propre chef, à son manager de mettre en place un programme Well At Work avec Yogist–Well At Work car elle a noté des maux de dos, de la fatigue, du stress chez ses collègues.

Et sa RH de répondre : " On ne va quand même pas mettre en place des pauses , qu’elles soient physiques ou mentales, pendant le temps de travail alors qu’on doit augmenter la productivité et diminuer le retard que nous fait prendre l'absentéisme ". Une autre DRH d’un grand groupe financier, après le Covid, nous avait ainsi declaré " C’est bon, on a déjà mis en place un an de soutien avec Yogist–Well At Work, les collaborateurs ont tout ce qui leur faut, il est l’heure de se remettre au boulot maintenant ! "

Tant que le bien-être au travail ne sera pas perçu comme un investissement, avec donc un ROI en termes de rétention des talents, en termes de santé au travail, en termes d’absentéisme, en termes de productivité et d’ambiance aussi, il ne pourra être mis en place qu’en surface et à contrecoeur.

Les ambitions et les attentes lorsqu’on met en place de genre de démarche doivent, aussi, être réalistes. C’est une chimère que d’espérer rendre vos salariés " heureux " collectivement, tant il s'agit d'une notion individuelle, multifactorielle et difficilement mesurable. Le bonheur au sens d’" ataraxie ", d’absence de douleur et de souffrance comme le définissaient les Grecs Anciens, me paraît un objectif bien plus atteignable ! Oui, un dirigeant peut et doit œuvrer à supprimer autant que possible les sources de souffrances mentales et physiques liées au travail ou au management dans l’entreprise. Et ça, c’est indispensable, que l’on appartienne au 1er, au 2eme, ou au 3eme monde ! 

Une mutation qui a pu impacter les managers j'imagine, as-tu pu voir une évolution dans leurs perceptions ?

Attractivité et rétention des talents, performance des équipes, motivation, accompagnement du changement… Les managers sont en première ligne et encore plus à l’heure de la guerre des talents. Ils sont sous pression car responsables de leur propre performance, et de celle de leurs équipes, tout en devant maintenir un environnement de travail positif. De quoi devenir chèvre en effet ! Ce que j’ai remarqué de plus flagrant est le manque de temps qui s’est généralisé. Tout s’est accéléré. Au lieu de gagner du temps avec le télétravail en supprimant les temps de transport, les journées se sont rallongées, les meetings se sont multipliés, les micro-problèmes à traiter ont pullulé, bien plus compliqués à gérer à distance que si on en parlait à la machine à café. Une définition du stress très parlante, c’est d’avoir un objectif à atteindre, une tâche à effectuer, sans disposer des ressources nécessaires - comme le temps ! - pour le faire.  Et un manager stressé, qui ne prend pas soin de lui, c’est un manager qui diffuse son stress sur ses équipes et n’a pas la disponibilité d’esprit pour prendre soin d’eux. Faire le ménage dans les priorités, retrouver du temps me semble urgent et indispensable !

"Faire le ménage dans les priorités, retrouver du temps me semble urgent et indispensable !"

As-tu pu observer un changement chez les collaborateurs, dans leurs attentes ? comment l'expliques-tu ? 

Les collaborateurs me paraissent assez schizophrènes. Ils sont, de manière assez surprenante, très demandeurs que les choses changent, que leurs entreprises agissent pour eux, et sont souvent les principaux obstacles et freins à ce changement car ils ne se sentent pas autorisés à prendre le temps de participer à des formations ou à des actions, pas légitimes pour prendre de nouveaux rôles, n’osent pas participer etc. En matière de bien être au travail, ils sont parfois leurs propres ennemis. C’est ce que Matthieu Ricard nomme l’ " acrasie " : je sais ce que je devrais faire, ce qui est bon pour moi, et je fais exactement le contraire ! Les habitudes prennent du temps à changer, c’est sûr !

"Ils sont, de manière assez surprenante, très demandeurs que les choses changent, que leurs entreprises agissent pour eux, et sont souvent les principaux obstacles et freins à ce changement"

Avec notre formation d’Animateurs du Bien Être au Travail, nous avons cependant rencontré un nouveau type de salarié et de manager qui tend à se manifester en plus grand nombre : des collaborateurs désireux de s’engager, de prendre de nouvelles responsabilités dans leurs boîtes, y compris celles de la santé de leurs équipes. Chez Yogist–Well At Work, lorsqu’on a ouvert notre académie de formation pour apprendre à animer des techniques de gestion du stress et des tensions au travail en interne, on pensait que l’essentiel de nos stagiaires seraient des indépendants reconvertis, des professionnels qui veulent développer un business. Que nenni ! 75% de nos certifiés sont des salariés qui ont pris du temps (de vacances ou RTT), de l’argent (ou de leurs points CPF) pour venir se former à prendre soin de leurs collègues, et qui une fois certifiés, sont allés voir leur DRH ou leur manager pour leur demander, diplôme en main, de les laisser diffuser ces techniques au sein de leurs équipes et, ainsi, changer le travail de l’intérieur et relayer concrètement les démarches de RH sur le terrain . Ce sont eux les moteurs du changement, si on leur en donne l’opportunité ! Et c’est ainsi qu’on donne du sens à son travail, en ajoutant une corde à son arc, en donnant libre cours à une vocation ou à un talent qui va rendre le travail plus agréable au quotidien. C’est comme ça que j’explique le succès des réseaux de Bienveilleurs ou de Référents en interne.

Comment vois-tu les prochaines évolutions du secteur ? comment s'adapter à ce monde aussi mouvant en tant que décideur ? 

Avec Yogist–Well At Work, en 7 ans, je pense qu’on a créé, détruit et réinventé notre business model et notre organisation au moins 7 fois, mais notre mission est toujours la même : faire que le travail soit – vraiment - la santé et apprendre à chacun à (télé)travailler sans s'abîmer . Avec les grèves, les crises, le covid, les changements de réglementations, il faut être sans cesse à l’écoute des besoins des clients qui nous soufflent eux-mêmes leurs besoins et les bonnes idées pour y répondre. Il faut agir et réagir super vite pour s’adapter. Aujourd’hui, Yogist–Well At Work a moins la vocation d’être un prestataire de services qui intervient ponctuellement dans les entreprises pour faire une sensibilisation ponctuelle, mais devient un hub de formation pour que chaque entreprise puisse se doter de ses propres Référents sur la QVT et de ses propres outils. On pivote doucement vers un modèle d’académie de formation de formateurs, de producteur de contenus sur la santé au travail, et d'opérateur de logiciel Saas (notre outil, le garde du corps digital Yogist, qui accompagne et fait bouger les travailleurs au bureau ou chez eux en leur suggérant régulièrement des exercices adaptés à leurs besoins).

"Les gens ont besoin de se voir, d'interagir en chair et en os, de créer du lien !"

Le tout, c’est vraiment de réfléchir au long terme et pas seulement digital, sur un marché sous les offres d’applis de santé mentale ou de sport en entreprise et qui va, à mon sens, se consolider davantage en 2023. Le digital ne peut pas tout résoudre, en témoigne la demande grandissante d’ateliers en présentiel et le succès de notre nouveau jeu participatif autour du Well At Work. Les gens ont besoin de se voir, d'interagir en chair et en os, de créer du lien !

Tu me parlais aussi de cette notion d'impact, nécessaire dans l'ADN des entreprises, mais comment l'implémenter et le mettre en oeuvre selon toi ? 

Pour moi, l’impact, c’est la transmission des compétences. C’est apprendre à pêcher au lieu de donner du poisson. Pour faire bouger les entreprises de l’intérieur et sur le long terme, il faut arrêter de les mettre sous perfusion d’intervenants externes qui, une fois partis, ne laissent aucune trace dans les habitudes de travail. Il faut former des collaborateurs qui vont ensuite se retrousser les manches, diffuser les messages, mettre en œuvre les actions en les adaptant à l’ADN de leur boite, à leurs plannings, à leurs métiers.

"Pour moi, l’impact, c’est la transmission des compétences."

L’impact, pour une entreprise comme Yogist–Well At Work, c’est d’avoir une communauté d’ambassadeurs qui vont œuvrer dans leurs réseaux et auprès de leur tissu économique pour rendre le bien-être au travail adapté et accessible à tous.