Réduire, réemployer et recycler : ces 3R seront-ils la clé de la décarbonation du secteur de la construction ? En ouverture de la table ronde de la Maddy Keynote dédiée à l’économie circulaire dans la construction, la philosophe Gabrielle Halpern invitait à repenser le rapport à l’innovation, mais aussi le rapport à la nature. “ La nature ne crée rien, elle recombine sans cesse. Ce n’est ni une sage-femme, ni un croque-mort, c’est une marieuse. Il s’agit donc de s’en inspirer pour marier des matériaux, des métiers, des compétences différentes et innover. Plutôt que de parler de destruction créatrice comme Schumpeter, parlons d’hybridation créatrice et hybridons des matériaux pour en créer de nouveaux. Dans la nature la création ex-nihilo n’existe pas.”

Des législations indispensables et bienvenues

Une proposition pleine d'optimisme, qui peut s’avérer complexe à mettre en œuvre dans des secteurs qui peuvent être perçus comme peu enclins à l’agilité en raison de la cadence effrénée dans laquelle s’inscrit leur action, comme la construction. Comme l’explique Guillaume Bazouin, responsable des programmes start-up et intrapreneurs de Leonard, la plate-forme d’innovation de VINCI, “Malgré de solides intentions, peu de choses ont été mises en place pour réemployer des matériaux ou utiliser ceux dont l’impact environnemental est moindre. Le secteur dispose de peu de marges de manœuvre et de peu de marges financières. Toute nouveauté représente un risque. En ce sens, les fortes évolutions législatives sont une bénédiction. C’est le cas de la nouvelle réglementation environnementale (RE2020), qui oblige le secteur à comptabiliser les émissions de gaz à effet de serre des matériaux de construction d’un bâtiment. En entraînant le secteur tout entier vers le changement, cette réglementation a ouvert un marché.”

Le neuf n’est plus cool

C’est d’autant plus opportun que, d’après Sébastien Duprat, cofondateur et président de Cycle Up -une plate-forme qui propose aux constructeurs des matériaux de seconde main-, l’usage de matériaux reconditionnés ne suscite pas de réserves chez la plupart des utilisateurs ou résidents des constructions : “La ville ne se renouvelle qu’à hauteur de 1 % chaque année, et la ville de 2030 est déjà là à 93 %. Ceux qui intègrent des logements sociaux ne se soucient pas du réemploi de certains matériaux et ceux qui achètent dans l’ancien achètent le prix au mètre carré et pas aux prix du parquet ou du tuyau. Finalement, ceux qui choisissent leurs matériaux représentent une part de marché minime, qui ne va pas en grandissant.”

L’instabilité grandissante des chaînes d’approvisionnements en marchandises venues majoritairement d’Asie, due à l’inflation, à l’impact de la politique chinoise zéro covid sur le secteur de la construction, mais aussi aux problèmes liés à la logistique, rend plus opportun encore le recours aux matériaux de réemploi. “Les échelles de valeurs changent. Les constructeurs sont très à l'aise pour défendre la noblesse des matériaux de seconde main caractérisés par une meilleure qualité à moindre coût.Ils offrent par ailleurs une grande créativité architecturale. Les aspirations changent et le neuf n’est plus cool” ajoute Sébastien Duprat.

Une explosion des initiatives

Les jeunes diplômés ont, eux aussi, de nouvelles aspirations, comme l’observe Guillaume Bazouin : “Chez Leonard, on croise des jeunes sortis des meilleures universités du monde entier. Il y a 15 ans, sans doute auraient-ils envisagé d’intégrer des grandes boîtes. Aujourd’hui, ils aspirent à créer des startups sur le réemploi des matériaux ou sur le béton bas-carbone. Si on regarde les quatre dernières promotions de start-up chez Leonard, on voit une très nette progression de l’intérêt pour le développement de solutions destinées à préserver l’environnement, et notre politique de recrutement n’a pas changé. Procédés de réemploi, de construction, matériaux décarbonés, design génératifs automatisés.., certaines optimisations, à coût marginal zéro, permettent de réduire les émissions à hauteur de 50 %. Pour s'en rendre compte, encore fallait-il le mesurer, mais il n’y avait pas d’injonction à le faire. Les grandes entreprises ont tout intérêt à créer des partenariats avec ces start-up en évitant l’approche paternaliste. Ils inventent le futur. À nous de nous accrocher au train, sinon on va le louper.