Avec Jumbo Privacy, Pierre Valade est loin d’en être à son coup d’essai. En effet, il est notamment le cofondateur de Sunrise en 2013 (à 26 ans), startup revendue deux ans plus tard à Microsoft pour 100 millions de dollars.  L’obsession de Sunrise était de créer la meilleure application de calendrier possible. Si l’application avait séduit 500.000 utilisateurs avant son rachat, elle n’avait jamais généré le moindre euro de revenus.

Pierre Valade reconnaît pourtant que la réussite de cette première startup tient à un facteur souvent sous-évalué dans l’écosystème : " Peu de gens veulent l’admettre, mais il y a un gros facteur chance dans les startups, admet-il en souriant. On a été au bon endroit au bon moment parce que Microsoft voulait acheter un client calendrier. Je n’ai rien fait pour qu’ils prennent cette décision. Ce n’est pas de ma faute si Microsoft n’avait jamais investi sur iOS ou Android et s’ils étaient donc en retard. " .

Ce sont ainsi toute une série d’événements totalement indépendants de la volonté du fondateur qui débouchent sur un joli exit pour Sunrise. Pierre Valade restera ensuite pendant trois ans chez Microsoft pour assurer la bonne intégration de son bébé aux applications mobiles Outlook. Les fonctionnalités utilisées par un demi-million d’utilisateurs à l’époque de Sunrise vont ainsi se retrouver dans les mains de centaines de millions de personnes.

La suite était très claire pour lui : reprendre le chemin de l'aventure entrepreneuriale. " J’ai grandi à Paris avec le rêve de créer des boîtes tech aux USA, raconte-t-il. Parce que monter une startup aux Etats-Unis, c’est comme jouer la Coupe du Monde de l’entrepreneuriat, c’est là que l’innovation est la plus forte et où tous les grands de la tech se sont créés. J’ai toujours eu le rêve de réussir aux États-Unis.". 

Une acquisition à 100 millions de dollars est définitivement à mettre dans la case “réussite” et pourtant, peu nombreux sont les sportifs qui s’arrêtent après avoir gagné la Coupe du Monde. De la même manière, Pierre Valade s’est donc mis en route vers sa deuxième étoile.

Jumbo Privacy : l’envie de créer un “vrai” business

L’entrepreneur ressort de cette première aventure avec une frustration: celle de ne pas avoir réussi à créer un “vrai” business qui génère des revenus. Il se promet alors de corriger le tir avec sa prochaine entreprise : Jumbo Privacy.

L’idée de Jumbo Privacy viendra de la même façon que celle de Sunrise à l’époque : d’une frustration personnelle de ne pas trouver de produit qui répond à ses attentes. Il a besoin de le créer pour en être le premier utilisateur. La startup repose sur le questionnement suivant : " Pourquoi est-ce aussi compliqué de gérer ses paramètres de confidentialité par soi-même ? Je me suis dit que ce serait sympa d’avoir un compagnon qui t’accompagne sur la protection de ta vie privée en ligne, en t’aidant à prendre les bonnes décisions.". 

Quand Jumbo Privacy se lance en 2019, c’est d’abord une version entièrement gratuite et la première année est consacrée à l’ajout de fonctionnalités. Au cours de cette même année, Pierre Valade va aussi réaliser une première levée de 3,6 millions de dollars. Il reconnaîtra que certaines choses sont beaucoup plus simples quand on a déjà revendu une première boîte à 100 millions de dollars. Recruter et lever de l’argent sont les deux choses qui lui viennent immédiatement en tête.

Début 2020, Pierre Valade fait le choix qu’il pense être celui de l’âge de raison. Jumbo Privacy devient payant. Cela semble être le meilleur choix à l’époque. La viralité du produit s’effondre évidemment, et les équipes se mettent à investir dans les publicités Facebook pour acquérir de nouveaux clients. " En 2021, Apple a changé les règles du jeu, explique Pierre. Ils ont enlevé l’identifiant unique qu’il y avait sur chacun des téléphones… La publicité Facebook est devenue beaucoup moins efficace. Mais, à vrai dire, on était assez mal à l’aise à l’idée de faire de la publicité. On n’avait pas le choix pour grossir, mais on était assez frustré de donner de l’argent à Facebook.".

La distribution plutôt que la monétisation

En 2022, Jumbo Privacy génère 2,5 millions de dollars de chiffre d’affaires. Pierre Valade décide pourtant de changer de stratégie. D’un produit gratuit, puis payant, il rebascule dans un modèle gratuit. Un choix effectif depuis le 31 janvier 2023.

Jumbo Privacy en profite pour ajouter une fonctionnalité clef aux États-Unis : une assurance contre le vol d’identité qui permet aux utilisateurs de récupérer de 25.000 à 1 million de dollars en cas de dommages causés par un vol d’identité en ligne. " Cette assurance coûte en moyenne une centaine de dollars, explique Pierre Valade à Maddyness. Et nous allons maintenant l’offrir gratuitement à tous nos utilisateurs.". Un argument de choix pour se diriger vers une très forte croissance de ses utilisateurs.

Jumbo Privacy perd donc sa source de monétisation et ajoute une nouvelle source de coûts. En effet, la startup achète cette protection auprès d’une compagnie d’assurance. " On s’est aperçu que c’était un service qui était moins cher que l’on pouvait l’imaginer… et donc une valeur perçue pour l’utilisateur qui sera très élevée. On s’est dit que l’on avait une opportunité de changer le marché et de se monétiser différemment. ". 

Cette nouvelle stratégie découle directement d’une conviction de Pierre Valade : " La distribution est plus compliquée que la monétisation. Montre-moi un produit qui a des centaines de milliers ou de millions d’utilisateurs et qui n’a pas réussi ensuite en termes de monétisation.". 

L’entrepreneur se concentre donc sur sa croissance BtoC en préparant doucement le déploiement d’une offre BtoB qui sera d’autant plus facile à vendre grâce à la captation d’une belle portion du marché grand public. Avec Jumbo Privacy, l’entrepreneur reprend donc le chemin qu’il avait pris avec Sunrise.

" On est allés sur un modèle à l’abonnement et les publicités Facebook, ce n’était pas ma force. J’ai décidé de me concentrer sur mes forces. Un jour, Michael Jordan a décidé de se mettre au baseball, mais il est vite revenu au basketball.".

En prenant ce choix, Pierre Valade met aussi sa nouvelle entreprise dans des conditions idéales pour la préparer à une revente un jour. " Il y a trois options possibles pour une boîte : soit elle ne marche pas, soit elle est rachetée, soit elles entrent en bourse ce qui est très rare. Il ne faut pas y passer beaucoup de temps, mais je pense que c’est important de comprendre l’industrie dans laquelle ta boîte évolue et qui pourrait être ton potentiel acheteur dans le futur.".

Et sur ce point, il a déjà plusieurs pistes en tête qui pourraient être prometteuses. Si l’entrepreneuriat est un sport, Pierre Valade en a définitivement compris les règles.