" Je vous remercie pour votre proposition mais j’aimerais porter un fait à votre connaissance. Je comprendrais, d’ailleurs, que cela la remette en cause… ". À la minute où j’ai prononcé cette phrase, j’ai su que je ne la pensais pas. Mais cela me semblait nécessaire de la dire.

Ce que je m’apprêtais à révéler aux membres du Comex venus me proposer le poste de CEO de Lalalab, entreprise dont je dirigeais le département marketing depuis deux ans déjà, c’était ma grossesse.

Je m’appelle Hélène Quériault, je suis CEO et directrice générale déléguée de Lalalab. Mon fils a un peu plus d’un an et j’ai pris ce poste alors que je l’attendais… Si je livre, à quelques jours du 8 mars, ce témoignage, c’est bien parce les membres du Comex m’ont surprise. Vraiment : " Nous avions envisagé cette éventualité, m’ont-ils annoncé sereinement. Elle ne remet pas en cause notre offre. ". Ma réponse, laconique, "Il faut que j’en parle à mon mari" me sembla très patriarcale.

Une impression injustifiée, finalement : n’importe qui, se voyant proposer une opportunité professionnelle susceptible de modifier considérablement son quotidien, en parlerait à son ou sa conjointe, avant d’accepter ! Je pense, avec honnêteté, pouvoir dire que le syndrome de l’imposteur fut ici à l’œuvre : peur de ne pas être à la hauteur, sentiment de ne pas mériter la promotion proposée, inquiétude liée à la nécessité de tout gérer de front…

Le recul pris sur les événements m’autorise aujourd’hui à prendre la parole : j’ai eu de la chance, ou plutôt, un environnement favorable. Mon conjoint était prêt à réfléchir avec moi à la manière dont notre couple, uni, pourrait affronter ce double défi : un poste de CEO et un enfant à naître ! Il gère, comme moi, les larmes et les rires, la diversification alimentaire et les couches, les réunions de travail et les murs de la cuisine à lessiver, lorsque la purée de courgettes n’a pas rencontré, auprès de notre fils, le succès escompté.

Personne, dans mon entourage familial ni amical, ne s’est permis de remarque déplacée ni culpabilisante sur la nécessité de ralentir et non d’accentuer sa charge de travail ou ses responsabilités, lorsqu’on s’apprête à devenir mère. J’ai, à l’inverse de celles que la grossesse couvre de maux désagréables, eu la chance d’être en forme, alors que j’attendais mon fils. J’ai même pu rendre visite à mes collègues pendant mon congé maternité, lors d’un moment festif. Deux jours après, j’accouchais…

Tous ces paramètres ne sont pas anodins. Si je les mentionne, c’est bien pour éviter de tomber dans le piège que l’optimisme exprimé ici pourrait tendre aux femmes. Non, je ne dis pas que si certaines se voient freinées par la maternité dans leur progression professionnelle, c’est parce qu’elles le veulent bien. Au contraire : je veux souligner que grâce aux curseurs tous au vert dont j’ai bénéficié dans le domaine privé, mon accession à ce poste est entrée dans le champ des possibles.

Quant au cadre professionnel, il fut également favorable : mes années au sein de l’entreprise, avant cette proposition, m’ont permis d’en connaître l’activité, les salariés. J’ai pu compter sur un pool de managers investis, sur une équipe formidable et c’est aussi leur travail, leur investissement qui m’ont offert l’opportunité d’être une CEO en congé maternité sereine.

Je comprends mieux, désormais, la logique entrepreneuriale qui a convaincu ma direction de me faire confiance. Le recrutement d’un cadre est un processus long. La prise de poste l’est tout autant. Autant dire bien plus que les 16 semaines que dure le congé maternité d’une salariée ! En misant sur ma promotion malgré ma grossesse, mes employeurs prenaient moins de risque et perdaient moins de temps qu’en tentant un recrutement externe.

Il ne s’agit pas là de dévaloriser la confiance qu’ils m’ont accordée. J’espère juste donner, ici, à toutes celles qui veulent viser plus haut, la certitude qu’elles n’ont pas l’obligation de sacrifier leur épanouissement personnel au profit de leur ascension. Face à l’opposition classique des intérêts entreprise/salariée, je préfère considérer l’émergence d’un système gagnant-gagnant.

Pouvoir être mère et CEO m’a donné le sentiment que tout était possible. Exit la frustration, le choix, le sacrifice. J’ai dû, en revanche, repenser le temps, donner à chaque dimension de mon existence, sa juste place. Je pense être plus concentrée, plus efficace, lorsque je me mets au travail, aujourd’hui. Car mon temps est plus précieux.

Autant d’éléments qui, à mon sens, dresse un seul et même constat : ouvrir plus largement l’ascenseur promotionnel et les postes de haut rang aux femmes est plus qu’une nécessité ou un devoir pour l’écosystème entrepreneurial : c’est une opportunité. Une chance qui offrira, aux structures, une nouvelle dynamique. Et les chiffres, si moroses en apparence, montrent bien que les mœurs évoluent en ce sens.

Il y a aujourd’hui 22 % de femmes dans les instances dirigeantes des entreprises de la FrenchTech 120 et 13 % de femmes dans leurs noyaux exécutifs. C’est peu, mais sous cette triste uniformité se cachent des disparités. De fait, les femmes prennent plus de postes de direction dans les entreprises fondées après 2017, ce qui laisse penser que les cofondateurs sont davantage sensibilisés*.

Un marqueur encourageant montrant, je l’espère, que mon expérience au sein de Lalalab n’est pas une exception, mais l’expression d’un paramètre rationnel, désormais pris en compte : celui de la rentabilité économique. Les femmes ont une expérience, une compétence, une richesse, toutes indéniables, à investir dans la sphère économique.

Les décideurs en ont pris conscience récemment. Il leur faut maintenant passer de la réflexion à l’action. Par exemple, en aidant les familles à trouver des solutions agiles de garde. CEO, cadre ou junior, n’importe quelle jeune maman se sent démunie si elle ne dispose pas d’un mode de garde fiable. C’est un frein important à l’émancipation des femmes. Ce fut, dans mon cas, la principale source de stress.

Enfin, du côté des femmes, l’heure est à l’affirmation. Si j’ai voulu laisser, le temps de cette tribune, mon costume de CEO au vestiaire pour dévoiler la femme qui le porte, c’est pour casser les mythes. Comme n’importe quelle femme, j’ai mes doutes, mes angoisses et parfois le sentiment de ne pas être à la hauteur. A l’inverse d’autres femmes, j’ai pu tracer ma route et j’ose espérer faire passer ici, un point de vue résolument positif : l’évolution est à l’œuvre et c’est en bousculant nos freins et nos convictions que nous la matérialiserons. Car même si elle se fait à petits pas, seules celles qui auront osé croire en elles et se lancer avanceront.

*Selon l’étude réalisée par le Boston Consulting Group pour le collectif Sista : " Quelle place des femmes à la direction des entreprises de demain ? FrenchTech120 : des instances dirigeantes très loin de la parité "