Quelle perception avez-vous de l'écosystème aujourd'hui ? Comment a-t-il évolué ces dernières années ?

L’écosystème a fait un bon énorme ! La France est devenue en 2022 le premier écosystème de startups en Europe continentale avec un million de startups et PME innovantes, une trentaine de licornes et 13,5 milliards d’euros levés par les startups de la French Tech. Certes le Royaume-Uni est devant nous et il reste un écart important avec les Etats-Unis, mais nous pouvons être fiers du chemin parcouru.

"La France est devenue en 2022 le premier écosystème de startups en Europe continentale."

Aujourd’hui, les startups et PME innovantes sont des acteurs incontournables de notre économie. Elles représentent 5 à 10% de notre économie et sont déjà à l’origine de plus d’1,5 million d’emplois : c’est plus que les secteurs de l’automobile, de l’aéronautique et de l’agriculture réunis. Ce sont des centaines de milliers d’emplois créés ces dernières années et elles ont la capacité d’en créer 300 à 500 000 dans les prochaines années, soit un tiers de notre objectif pour aller au plein emploi et mettre fin au chômage. Et attention aux a priori, les startups créent tous types d’emplois. Lorsque je dirigeais Frichti, mes équipes les plus nombreuses n’étaient pas les développeurs, mais les cuisiniers(ières) et préparateurs(trices) et commandes. Chez Jumia, c’était l’équipe du service client la plus nombreuse.

"Elles représentent 5 à 10% de notre économie et sont déjà à l’origine de plus d’1,5 million d’emplois : c’est plus que les secteurs de l’automobile, de l’aéronautique et de l’agriculture réunis."

Nos startups et PME innovantes apportent des solutions très concrètes dans la vie quotidienne : trois français sur cinq qui utilisent au moins une fois par mois un service proposé par une startup du French Tech 120 comme le service de covoiturage BlaBlaCar, la plateforme Doctolib, les paiements avec Lydia ou les NFT avec Sorare. L’écosystème a été très focalisé sur les innovations digitales, il faut maintenant l’orienter plus vers la Deep Tech qui permettra la transition écologique et l’industrie verte de demain.

"Trois français sur cinq qui utilisent au moins une fois par mois un service proposé par une startup du French Tech 120."

Votre mission actuelle (ndlr dont l'objet est de proposer des solutions pour continuer à soutenir l'investissement dans nos entreprises de croissance) répond-elle a un vrai besoin aujourd'hui ?

Si les levées de fonds ont atteint des records en 2022, on constate un ralentissement des financements depuis le deuxième semestre 2022 dans un contexte mondial d’inflation, de hausse des taux et d’instabilité mondiale avec la crise en Ukraine. Dans la situation actuelle, il y a un risque que 2023 voit les levées de fonds diminuer et la dynamique de création d’emploi ralentir. Nous ne pouvons pas nous le permettre.

Le Président de la République a fixé des objectifs ambitieux pour notre écosystème : atteindre 100 licornes et créer 500 startups Deep Tech par an d’ici 2030. Ce sont des " objectifs de moyens " au service de nos " objectifs de résultats " comme atteindre le plein emploi en 2027 ou la neutralité carbone en 2050. Or, nous ne ferons pas le plein emploi sans la French Tech, tout comme la transition écologique sans les innovations portées par nos startups.

"Nous ne ferons pas le plein emploi sans la French Tech, tout comme la transition écologique sans les innovations portées par nos startups."

Nous devons donc tout faire pour maintenir et accélérer notre dynamique de création et développement des startups et PME innovantes, à la fois en " early stage ", qui est l’objet de la mission qui m’a été confiée, et en " late stage " qui est l’objet de la seconde étape de l’initiative Tibi.

Pouvez-vous d’ailleurs nous en dire plus sur celle-ci ?

Avec cette mission, nous nous sommes donnés comme objectif d’aller chercher au moins 1 milliard d’euros d’investissements supplémentaires dans les startups et PME innovantes et créer 100 000 emplois dans les 4 à 5 prochaines années.

"Nous nous sommes donnés comme objectif d’aller chercher au moins 1 milliard d’euros d’investissements supplémentaires."

Le travail avance bien ! Nous avons déjà réalisé une cinquantaine d’auditions avec les acteurs de l’écosystème (entrepreneurs, associations représentatives, institutionnels, assureurs, banquiers, experts académiques, citoyens engagés) pour élaborer des mesures concrètes et faisables à court terme. Nous avons aussi lancé une grande consultation publique le mois dernier qui a déjà recueilli plus d’un millier de contributions : j’invite d’ailleurs les lecteurs qui le souhaitent à se rendre sur www.mission-midy.fr s’ils veulent partager leurs contributions.

Un des sujets clés, qui est d’ailleurs une promesse du Président de la République lors de sa campagne de 2022, est de mettre en place un outil fiscal d’incitation des particuliers à l’investissement dans les startups sur le modèle du SEIS/EIS anglais. Je me suis d’ailleurs rendu à Londres fin février pour échanger avec les experts du sujet. Là-bas, ce dispositif qui existe depuis 30 ans, permet de lever plus de 2 milliards d’euros par an, de financer 5 000 startups et créer 25 000 emplois par an. En France, il existe un dispositif appelé l’IR-PME qui y ressemble, mais mal ciblé, il n’a qu’un faible impact. Il faut le revoir complètement.

Parmi les dispositifs fiscaux et sociaux existants, il faut aussi surement améliorer, simplifier, et renforcer les dispositifs tels que le " 150-0 b ter ", les JEI, le CII, les BSPCE. J’ai un souvenir assez vif de l’enfer que c’était à gérer lorsque j’étais moi-même entrepreneur. Et je ne parle même pas de quand il faut le faire à l’échelle européenne.

"Une promesse du Président de la République est de mettre en place un outil fiscal d’incitation des particuliers à l’investissement dans les startups sur le modèle du SEIS/EIS anglais."

Enfin, un sujet également très important c’est le fléchage de l’épargne. La quasi-totalité de l’épargne française est focalisée sur des actifs sans risque ou côtés, mais presque pas sur le capital-investissement et l’innovation. Il faut arriver à en reflécher une partie notamment au travers de l’assurance vie, des PER, et de l’épargne salariale. Nous travaillons aussi sur ce sujet.

La France est-elle devenue un " pays d'entrepreneurs " par ailleurs ? Sommes-nous prêts à investir massivement dans les entreprises ?

Cela me rappelle une anecdote. Le Président américain Bush souhaitant se moquer des Français avait une fois demandé comment se traduisait le mot " entrepreneur " en français, alors que le mot anglais vient du français ! Bien sûr que nous sommes un pays d’entrepreneurs.

Mais c’est vrai que les choses ont beaucoup accéléré ces dernières années. Quand je suis sorti d’école il y a 20 ans, tout le monde voulait travailler pour un grand groupe, dans la banque ou dans le conseil. Mais ceux qui sortent d’école aujourd’hui veulent tous créer leur startup ! Et nous voulons embarquer encore plus de monde dans cette aventure, notamment plus de femmes et plus de diversité.

Pour ce qui est d’investir massivement dans les entreprises, et par exemple devenir business angel, il y a un gros potentiel, mais qui reste encore à matérialiser. Il faut plus d’éducation financière, plus d’incitations et de dispositifs simples et un engagement de tous les réseaux bancaires et de conseils en patrimoine. Les Anglais l’ont fait, il n'y a pas de raison que nous n'y arrivions pas.

Comment voyez-vous l'avenir de notre écosystème ? Sommes-nous sur un repli de la notion de "startup nation", terme largement reprit politiquement ?

Je le vois très positivement mais il nous reste encore un énorme défi à relever. Je le vois positivement parce que nous allons continuer à accélérer le développement de notre écosystème de startups et pour cela renforcer nos capacités de financement. C’est un enjeu de souveraineté et une nécessité pour atteindre nos objectifs. Une des priorités sera notamment de soutenir le développement des Deep Tech, des Green Tech et des startups à impact, cruciales pour atteindre le plein emploi, faire la transition écologique et tenir nos objectifs de réindustrialisation.

Les classements du Next 40 et du French Tech 120 n’ont jamais compté autant de Deep Tech et de Green Tech cette année, ça va dans le bon sens ! Tout cela nous devons le faire le plus possible en européens. Le lancement du nouveau fonds Initiative Champions Technologiques Européens (ICTE) va aussi dans le bon sens.

Mais nous avons un énorme défi à relever. Nous ne réussirons pas sans. C’est la féminisation et l’inclusion des diversités dans la French Tech. Le collectif de femmes entrepreneuses et investisseuses SISTA alertait en fin d’année dernière que seules sept startups sont dirigées par une femme dans le French Tech 120 et une seule dans le Next 40 : c’est pire que le CAC 40 ! Ce n’est pas imaginable de poursuivre le développement de l’écosystème sans les femmes.

"Seules sept startups sont dirigées par une femme dans le French Tech 120 et une seule dans le Next 40."

De son côté, Diversidays a montré que 39 % des salariés de startup déclarent avoir déjà été victimes d’une discrimination. Ce n’est pas acceptable. C’est un enjeu de justice bien sûr mais aussi d’efficacité économique. Voilà un défi à relever tous ensemble !