Alors que le débat sur la réforme des retraites bat son plein, l’univers de la tech ne semble pas s’en inquiéter outre mesure. Pour cause : les séniors ne sont pas légion dans l’univers des startups, où les plus jeunes sont majoritaires.

Des seniors sous représentés dans le monde de la tech

La question de la définition même du sénior est une problématique à elle seule. Même au niveau étatique, à travers notamment l’INSEE et le Ministère du travail, les définitions données diffèrent Un senior correspond-t-il à une personne disposant d’une longue expérience dans son métier ? Ou devient-on senior automatiquement à partir d’un certain âge ? " Pour Pôle emploi, être un ‘’aîné’’ commence à 45 ans, pour l’Insee et le Ministère du travail, c’est à partir de 50 ans " rappelle Frédéric Bardeau, CEO de Simplon. " Pourtant, l’âge ne change rien à l’envie d’apprendre, de se tenir à jour. Or, la tech est un secteur économique dans lequel la moyenne d’âge est plus jeune, et où beaucoup de boites ne jouent pas le “jeu” des seniors : on y retrouve une forme de discrimination. A la question ‘’Est-ce plus facile d’apprendre à 20 ou 50 ans ?’’, la réponse généralement donnée est clairement juste stéréotypée. "

Il est vrai qu’avec une moyenne d'âge qui oscille entre 25 et 35 ans, la French Tech souffre d'un manque de diversité. Le collectif RH Firstalent, en partenariat avec Imagine, conclut de façon identique même dans son enquête " La diversité et l’inclusion en startups ", l’étude portant sur 138 startups interrogées en août et septembre 2020. Les seniors seraient donc bien les " grands absents " au sein des startups de moins de 300 salariés, avec seulement 7,7% de salariés de plus de 45 ans et 2,4% de plus de 55 ans. " Aujourd’hui, être senior dans l’emploi signifie aussi être la première victime de discrimination à l’embauche " affirme Anthony Babkine, Délégué général et co-fondateur de Diversidays. " Ce constat est encore plus vrai dans le domaine de la Tech : d’après notre dernière étude Diversidays, réalisée avec PwC France & Maghreb, l’âge était, en 2021, le premier facteur de discrimination dans les entreprises de la Tech en France. De plus, en 2021, 44 % des personnes de 55 à 64 ans étaient sans emploi (contre 18,2 % des 25 à 49 ans ). "

Les startups auraient-elles " peur " d’embaucher des personnes plus âgées ? " On trouve tout de même un certain nombre de seniors dans les métiers de management intermédiaires et de direction " nuance Sacha Kalusevic, Directeur senior chez Michael Page Technology. " L’expérience joue pour beaucoup, car il est rare de trouver un CTO de 25 ans capable de gérer un groupe de 120 personnes. Les seniors se trouvent aussi plus au sein de PME à taille humaine en région, car ils recherchent un meilleur équilibre et cadre de vie, et des métiers plus polyvalents. Ils peuvent y avoir un véritable rôle de couteau suisse. "

A ce titre, il est vrai que les seniors, mieux payés que les juniors, demandent un effort financier plus conséquent pour les entreprises au regard de leur expérience. Il s’avère néanmoins que cette augmentation de la rémunération s’explique par leur expertise, notamment managériale, et leurs compétences spécifiques. L’étude de Michael Page Technology réalisée en partenariat avec Choose Your Boss en 2021 auprès de 1 000 professionnels de l’IT conclut d’ailleurs que la moitié des 46 ans et plus disposaient d’une expertise en management et gestion de projet fonctionnelle ou transverse.

Les juniors et les seniors se feraient-ils concurrence sur le marché de l’emploi ? La réponse semble être négative : " Il existe une véritable complémentarité entre les seniors et juniors, je ne pense pas qu'il y ait réellement une concurrence forte sur des postes identiques, car les besoins et attentes sont différents " précise Sacha Kalusevic.

" Il existe aussi une question de motivation personnelle et d'adéquation au bassin d'emploi : les profils juniors débutent majoritairement leur carrière dans des métropoles ou bassins urbains denses qui favorisent une concentration d'entreprises et donc d'opportunités de carrière similaires. A l'inverse, des profils seniors seront plus enclins à accepter un nouvel emploi dans un bassin moins dense pour gagner en confort ou équilibre de vie. "

Réinventer la place des seniors au sein des startups

Loin des clichés, le monde de la tech ne semble pas fait uniquement pour les jeunes, et les aînés y ont un rôle à jouer. " Certains langages de programmation ne sont même plus enseignés en école, et les jeunes ne les connaissent que de nom " rappelle Sacha Kalusevic, Directeur senior chez Michael Page Technology. " La tech, c’est des langages, des applications innovantes, très utilisés pendant un temps, qui évoluent et sont remplacés. C’est un monde en constant changement. Néanmoins, la notion de temps n’est pas la même pour les entreprises, qui ne peuvent pas changer constamment de technologie, particulièrement dans les grands groupes. Les structures doivent donc entretenir ses outils, le besoin de profils seniors maîtrisant ces "vieux" langages et outils, est donc impérieux, surtout dans la logistique, le retail ou la banque & assurance par exemple. " L’expertise de certains seniors se veut donc indémodable à ce titre.

Cet argument permet aux seniors de réinventer leur place dans le monde de la tech. Cependant, la première problématique s’avère être l'obsolescence des connaissances et des compétences des collaborateurs, que les employeurs doivent mettre à jour par la formation. " Du fait de l’obsolescence des compétences, la durée de vie moyenne des compétences est de 3 à 5 ans " précise Sacha Kalusevic. " Il existe de grands enjeux de formation, d’accompagnement des profils IT pour qu’ils fassent évoluer leurs compétences/métiers au fur et à mesure. Avec nos candidats, nous parlons beaucoup des formations et des nouvelles compétences qui vont être obtenues. La formation est devenue un véritable critère de sélection d’un employeur. "

" On pourrait imaginer de nouvelles solutions pour aider à la mise à jour des connaissances et favoriser l’employabilité des seniors : l’alternance, l’apprentissage pour les jeunes… pourraient être étendus aux seniors " propose Frédéric Bardeau. " On peut imaginer des solutions basées sur l’intergénérationnel avec une exonération d'impôt en cas d’embauche d’un senior et d’un junior. Ou des crédits de formation lorsqu’un aîné forme un jeune … ou inversement ! Malheureusement, pour l’instant, ces problématiques ne sont pas identifiées comme prioritaires. "

L'intégration des séniors au sein des startups constitue donc un véritable enjeu RH, et peut être même une solution à la fuite des talents. Alors que les profils techs manquent cruellement dans certains domaines, le télétravail est parfois un point d’achoppement entre recruteurs et candidats, qui pensent aller jusqu’à décliner une offre si l’entreprise manque de flexibilité. Or, il s’avère que les séniors ont tendance à être moins attirés par le télétravail que leurs collègues plus jeunes, ils cherchent d’abord à adhérer à une vision, un projet d’entreprise, en regardant sa pérennité sur le long terme.

" Dans l’IT, le full remote est un danger " affirme Sacha Kalusevic. " Il existe de véritables pénuries en France sur certains domaines. Or, si le full remote semble une bonne idée sur le court terme, sur à long terme il ouvre un véritable risque de supprimer le poste en France et l’offrir à l’étranger. C’est une réalité dans certaines sociétés, lorsque l’on voit par exemple que les GAFAMs se réorganisent et stoppent les recrutements. Ils ont certainement en tête de réallouer les forces dans d’autres hémisphères, et de rationaliser leurs ressources. "

De même, la silver economy constitue un marché particulièrement porteur, actuellement en pleine croissance. Or, il est vrai que l’absence de personnes plus âgées dans les startups interroge : comment faire pour se mettre dans la peau des clients séniors sans en être un ? C’est une question d’intégration, de représentativité, et de diversité qui s’illustre en tant que besoin tant dans le marketing que dans les fonctionnalités produits : comment développer des produits et services inclusifs ou dédiés aux ainés, sans disposer de ces profils en interne ? " C’est un non-sens économique et se tirer une balle dans le pied que de ne pas recruter de seniors dans la tech " complète Frédéric Bardeau. " Si une startup veut cibler des seniors, il faut qu'il y ait en interne des seniors, pour mieux les comprendre. Une partie de la rentabilité et de la performance peut venir de cela. Il n’est pas question seulement de RSE, mais de ce qui est bon pour l’entreprise. C’est un bon calcul économique. Les seniors sont l’avenir, et une société se juge dans sa capacité à traiter ses seniors ".

Enfin, rappelons enfin qu’à défaut de leur accorder une place dans la tech, les aînés n’ont pas peur de s’imposer et de créer la leur : l’étude Michael Page Technology réalisée en partenariat avec Choose Your Boss en 2021 auprès de 1 000 professionnels de l’IT rappelle que les aînés sont 17,5% à avoir choisi le statut d’indépendant.

" Il y a un enjeu majeur à miser sur les compétences, davantage que sur l’école ou le CV traditionnel. " conclut Anthony Babkine de Diversidays. " J’ai la conviction que l'innovation ne doit pas être seulement technologique, elle doit aussi être sociale. Or, la startup nation nous a habitués à plus d’innovation : il serait temps qu'elle reflète cet esprit dans ses politiques RH. "