L’histoire commence avec un enfant qui, sur les hauteurs d’une dune de sable, plonge ses yeux dans l’espace en rêvant d’y aller un jour. Cet enfant, ce n’est pas Luke Skywalker, mais Nicolas Gaume, qui a passé sa jeunesse sur la dune du Pilat où ses parents géraient un hôtel-restaurant : " Aussi loin que je m’en souvienne, confirme Nicolas Gaume. J’étais dehors sur la dune à regarder les étoiles depuis cette montagne de sable magnifique où il y avait très peu de pollution lumineuse. ".
Un peu plus grand, il est captivé par les récits de science-fiction qui déferlent à l’époque à la télévision, avant de s’intéresser à l’histoire de la conquête spatiale. " Je pense que tout cela a été très structurant pour moi, explique-t-il. Je suis donc plutôt scientiste avec le sentiment que la science et la technologie vont amener des solutions pour demain et après-demain. ".
L’Espace est souvent un rêve d’enfants, sans que cela ne se traduise par une carrière dans l’aérospatial.
Du jeu vidéo à l’espace
À 19 ans, Nicolas Gaume va d’abord se tourner vers l’informatique en fondant un studio de jeux vidéo nommé Kalisto Entertainment en 1990. Déjà une référence aux étoiles, puisque dans la mythologie grecque, la constellation de la Grande Ourse représente la nymphe Callisto.
C’est pourtant avec sa deuxième entreprise qu’il se sent vraiment entrepreneur pour la première fois. " Il y a de nombreuses façons d’entreprendre, lâche-t-il. Mais je me voyais comme un entrepreneur qui part de la page blanche et qui va prendre des innovations, des opportunités et des besoins, et qui va essayer de faire le lien avec tous ceux qui peuvent la rendre concrète. J’avais un sens de l’urgence, un sens de l’obsession du client et une quête d’impact. ".
Nicolas Gaume devient éditeur de livres pour enfants en Chine en 1994, pays qu’il découvre avec de grands yeux émerveillés. Il s’aperçoit alors là bas que la qualité du système éducatif s’est amoindrie, alors même que le pouvoir d’achat des ménages augmentait dans un contexte de la politique de l’enfant unique. L’entrepreneur se lance ensuite dans une succession de création d’entreprises avec notamment deux agences, spécialisées en conceptions d’applications mobiles.
Space : the final frontier
L’Espace est pourtant toujours une source de fascination pour le français, qui voit la réussite de plusieurs entrepreneurs de l’internet avec Elon Musk, Jeff Bezos ou Richard Branson : " Il venait un peu du même monde que nous, raconte Nicolas Gaume. Et on s’est dit : pourquoi pas nous ? Tout simplement. ". Il constate que les trois milliardaires ont choisi de construire de nouvelles infrastructures et il a la conviction qu’il y a des opportunités à saisir dans la création de nouveaux services. Il décide donc en 2014 de s’associer à l’entrepreneur Emmanuel Etcheparre pour lancer Space Cargo Unlimited.
Mais il n’est pas question pour Nicolas Gaume de travailler sur un projet spatial pour satisfaire un rêve d’enfance. Il le fait en étant guidé par cette même quête d’impact qui le motive depuis le milieu des années 1990. " On s’est lancés avec l'idée que l’on pouvait fabriquer des produits à très haute valeur ajoutée pour la Terre, en utilisant les conditions qui sont propres à l'environnement spatial et qui sont impossibles à recréer sur notre planète. ".
C’est la promesse derrière le dernier projet en date dévoilé par Space Cargo Unlimited : REV1, qui sera la première usine à flotter dans l’espace à partir de fin 2025. Née d’un partenariat avec Thales Alenia Space, cette usine autonome (non habitée) va être en mesure de réaliser des objets avec une précision incomparable. " Sur Terre, un alliage réalisé à partir de deux matériaux sera forcément imparfait puisque le plus lourd ira toujours vers le bas sous l’action de la gravité. Ce même alliage sera d’une qualité bien supérieure en apesanteur. ". Dans certains secteurs de précision comme celui de la biotechnologie ou des produits pharmaceutiques, la différence pourrait ne pas être anecdotique.
Une bouteille de vin dans l'espace
Avant cela, Nicolas Gaume avait envoyé des bouteilles de vin de Bordeaux et des pieds de vigne dans la station spatiale internationale. L’une des bouteilles a ensuite été vendue aux enchères par Christie’s pour en faire la bouteille de vin la plus chère jamais vendue au monde (le montant serait proche d’un million de dollars).
Ce n’est pourtant pas une lubie de milliardaire. Non seulement la vente de cette bouteille a permis de financer les recherches réalisées par Space Cargo Unlimited, mais le thème de la vigne n’a pas non plus été choisi par hasard : Nicolas Gaume décrit la viticulture comme étant le “canari dans la mine”. En effet, par sa sensibilité, il s’agit de l’un des premiers végétaux à souffrir du changement climatique. Mais alors, pourquoi l’envoyer dans l’espace ?
" Depuis 4 milliards et demi d’années que la vie existe sur la Terre, explique Nicolas Gaume, la gravité est le seul paramètre de la vie qui n’a pas bougé. Tous les autres ont fluctué, que ce soit la température, la pression, la luminosité. En envoyant ses plants dans l’espace, on les a soumis à un stress colossal qui est venu provoquer une réponse chez ces végétaux. ". À leur retour, ces pieds de vigne n’étaient plus exactement les mêmes. Ils avaient évolué sous l’effet de l’absence de gravité. Résultat : ils réagissaient mieux aux stress hydriques ou thermiques une fois revenus sur Terre et résistaient mieux à certains pathogènes comme le mildiou qui sont liés aux dérèglements climatiques.
Des avantages qui sont encore présents à la troisième génération de la plante. "Notre objectif est de créer de nouvelles variétés de plantes bio qui seront plus résistantes au stress des changements climatiques et de pouvoir les proposer aux agriculteurs", lance Nicolas Gaume.
Un succès qu’il est confiant de pouvoir répliquer sur d’autres types de plantes. En parallèle, l’entrepreneur a aussi créé Orbite avec un autre associé, Jason Andrews. Son objectif : un complexe d’entraînement pour les futurs touristes spatiaux. Pour Nicolas Gaume, une chose est certaine : l’avenir de l’humanité se trouve dans l’espace.