"Au-delà des initiatives innovantes qui émergent dans l’écosystème du capital-risque actuel, il est indispensable de repenser le modèle d’investissement", estime Claire Pernet, associée en charge de la sustainability chez Roland Berger à l’issue de son étude sur le rôle des du capital-risque dans la lutte contre le dérèglement climatique. Le cabinet, associé à Station F, a en effet interrogé des gestionnaires de fonds français et européens représentant un total de 92 milliards de d’euros investis, et mené 24 entretiens qualitatifs.

Le premier constat de l’étude est pourtant positif : les fonds de capital-risque ont entrepris une mue, puisque 88 % des répondants ont constaté une augmentation significative de la sensibilisation aux questions environnementales au sein de leur société, et 65 % des fonds interrogés expliquent avoir intégré les critères d’impact climatique dans leur documentation d’investissement.

8 000 milliards d’euros d’investissement nécessaires d’ici à 2030

Pour Pierre Abadie, Group Climate Director de la société de gestion Tikehau, cette prise de conscience est également palpable du côté des LPs et des investisseurs. "Depuis 2018 et le lancement de notre premier fonds dédié au climat et à la décarbonation, les connaissances sur le sujet ont évolué très sensiblement. Aujourd’hui, tout le monde est à jour sur les risques liés au changement climatique, il y a beaucoup moins de pédagogie à faire", constate-t-il.

Cette prise de conscience est bienvenue, alors que selon l’Union européenne, 8 000 milliards d’euros d’investissement dans la transition écologique seront nécessaires d’ici à 2030, dont la majeure partie proviendra de capitaux privés. "Les sociétés de capital-risque seront donc en première ligne, à la fois poussées par la réglementation et par les jeunes générations, soucieuses des enjeux climatiques", explique l’étude de Roland Berger et Station F.

Un rôle d’influence

L’étude souligne que les fonds participent à ce mouvement non seulement via leurs investissements, mais également grâce à leur influence : "membres des boards des entreprises de leur portefeuille, ils ont la capacité d’orienter le développement et d’y insuffler les meilleures pratiques.".

Sur ce levier de l’influence, deux fonds français sont cités en exemple : Serena, "dont les “operating partners” sont prêts à adresser de front ces sujets" et XAnge, "dont les startup success managers aident opérationnellement les startups de son portefeuille, y compris sur les sujets durabilité". Xange a en outre lancé un “Climate Fellowship” pour faire émerger la future génération d’entrepreneurs du secteur des Climate Tech.

Repenser les modèles d’investissement

Derrière le fléchage des investissements et la mise en place de meilleures pratiques, il reste un défi structurel de taille à relever pour les fonds VC : "l’adaptation du modèle actuel du venture-capital à la lutte contre le dérèglement climatique.". Comme l’explique Claire Pernet : "réaliser le tournant écologique de l’écosystème technologique, c’est comprendre que ces innovations nécessitent, pour la majorité, un temps long de recherche et développement et qu’elles doivent être soutenues avant, pendant et après cette longue période.".

Face aux enjeux du climat et constatant un “gap de financement” sur le marché, Tikehau a par exemple pris le parti de se concentrer sur les stratégies de décarbonation à l’échelle, plutôt que d’investir sur des technologies innovantes, certes prometteuses, mais dont l’impact est moins immédiat. Pour avoir un impact, la société de gestion privilégie ainsi le canal du Private Equity classique plutôt que le capital-risque. "Un biais mental nous amène à penser qu’une technologie va résoudre le problème, mais en réalité, c’est un ensemble de technologies qui doivent être mises en oeuvre. C’est pour cela que nous avons décidé d’adopter une approche systémique, en cherchant à décarboner des chaînes de valeur, plutôt que de financer des innovations de rupture", explique Pierre Abadie.

Du côté des VC, de premiers fonds evergreen (qui n’ont pas de date de clôture et qui peuvent donc s’adapter au cycle d’innovation durable), ont ainsi déjà vu le jour, mais "ils ne sont encore qu’une petite poignée en France, ce qui freine la croissance des investissements durables", regrette l’étude de Roland Berger et Station F dans sa conclusion.