Grâce à son savoir-faire nucléaire unique, la France peut s’imposer dans la course au nucléaire, et largement contribuer à la décarbonation. Le programme Demain lancé par Bpifrance, ainsi que NUWARD, la filiale d’EDF reviennent avec nous sur ce nouveau paradigme.

Le renouveau du nucléaire

Au-delà des questionnements sur la sûreté du nucléaire, notamment à la suite d’événements catastrophiques comme Fukushima qui posent la question de la sûreté, le modèle des centrales de puissance était remis en question pour des raisons de coûts et de délais de construction”, indique Massimiliano Picciani, responsable sectoriel
Ecotechnologies chez Bpifrance.

Face à cela, l’une des réponses apportées a été celle des Small Modular Reactors, des réacteurs nucléaires, de taille et de puissance plus faibles que celles des réacteurs traditionnels, et modulaires, ce qui signifie qu’ils peuvent être fabriqués hors site.

La promesse des SMR

Ces nouveaux réacteurs offrent différents avantages. “Comme ils sont plus petits et modulaires, ils peuvent être produits en série. On passe donc d’une économie d’échelle, à une économie de série : on produit plus efficacement, en plus grand nombre, avec une très haute maîtrise de la qualité”, explique Roland Frack, directeur financier de NUWARD,
la filiale du groupe EDF qui développe le réacteur nucléaire modulaire NUWARD SMR avec le concours de de TechnicAtome, de Naval Group, le CEA et Tractebel.

Grâce à leur petite taille, ils offrent plus de souplesse de pilotage et plus d’usages que les réacteurs standards”, ajoute Massimiliano Picciani.

En effet, les SMR pourront être placés plus à proximité des centres de consommation, ouvrant la possibilité d’utiliser la chaleur en plus de l’électricité. “Ils pourront être utilisés dans des zones isolées, pour produire de la chaleur sur des sites industriels, de l’hydrogène avec un rendement optimal, ou même dessaler l’eau de mer”, indique Massimiliano Picciani.

Pour atteindre la neutralité carbone, il est nécessaire de multiplier la capacité de production d’électricité par 2 ou par 3 au niveau mondial tout en décarbonant directement une part importante de la production de chaleur. Nuward répond à ces enjeux”, complète Roland Frack. Exportés, les SMR permettront aussi de contribuer de manière significative à
la décarbonation, en se substituant aux centrales à charbon, en Europe de l’Est par exemple.

Parmi les SMR, on retrouve différentes catégories. “Aujourd’hui, il y a une ébullition de concepts, on en recense plus de 80, qui peuvent être regroupés en 2 grandes familles, les réacteurs de génération III et de génération IV”, indique Roland Frack. Les SMR de génération III ont un fonctionnement similaire aux réacteurs nucléaires traditionnels, et les SMR de génération IV, ou Advanced Modular Reactor, peuvent avoir un fonctionnement différent et ne produisent pas de déchets nucléaires. Nuward est un réacteur de génération III.

Avec une puissance électrique de 340 MW, il pourra par exemple permettre de remplacer une centrale fossile à charbon ou au fuel. “L’urgence climatique demande de trouver le bon équilibre entre innovation et maturité technologique. Nous avons choisi de développer un SMR de génération III, qui repose sur une technologie éprouvée, tout en intégrant de vraies ruptures de simplification, de modularité et d’approche passive de sûreté. Nuward sera
présent sur le marché dès l’horizon 2030 avec une technologie sûre, simple et compétitive”, partage Roland Frack.

Un nouvel écosystème qui favorise l’innovation

Leur petite taille, en fait également des objets plus faciles à financer, de l’ordre de 1 milliard d’euros, contre une dizaine de milliards pour les réacteurs classiques. Un point qui attire les capitaux privés. “Jusqu’à présent, le financement était étatique, à l’exception de quelques grands groupes aux US. Aujourd’hui, on voit des levées de fonds significatives de plusieurs dizaines de millions d’euros auprès de fonds français et internationaux”, explique Massimiliano Picciani.

L’effervescence autour des SMR dépasse le microcosme des grands industriels étatiques. Depuis que la taxonomie européenne a reconnu le nucléaire comme un investissement durable, les SMR et leurs technologies connexes ouvrent un nouvel horizon d’investissement pour les fonds déjà orientés vers la technologie et les infrastructures. C’est une industrie qui se tourne progressivement vers le marché, en intégrant des fonds privés, mais aussi des clients privés, notamment dans l’industrie, et surtout de nouveaux entrepreneurs. Tout ceci favorise l’innovation”, analyse Roland Frack.

Une course dans laquelle la France doit s’imposer

Tous les acteurs historiques du nucléaire dans le monde se sont mis à travailler sur les SMR. Tous souhaitent réaliser d’abord des réacteurs domestiques, puis vont chercher à les exporter dans les pays où il n’y a pas de nucléaire”, explique Massimiliano Picciani. “Si la France n’est pas en pointe, les USA ont seulement une année ou deux d’avance sur nous. Nous avons tous les atouts pour réussir et nous sommes en train de récupérer ce léger retard”, poursuit-il.

Nos concurrents américains sont en effet en avance sur le développement et le licencing. Mais, à mon sens, les clients ont encore besoin d’un temps de maturation, ce qui nous laisse une petite respiration pour remonter dans la course”, complète Roland Frack.

En février 2022, le Président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé lors d’une visite de l'entreprise General Electric à Belfort “la renaissance du nucléaire civil français”. Un plan de 1 milliard d’euros a été confirmé. 500 millions ont été alloués à Nuward, qui est à ce jour le seul projet 100% européen. “Nous voulons être un acteur souverain au service de la décarbonation de l’Europe”, commente Roland Frack. Pour l’instant, Nuward est intégralement financé par l’État et EDF, mais Roland Frack indique discuter régulièrement avec des acteurs privés, et envisage d’ouvrir le capital le moment venu.

L’autre moitié de l’enveloppe sera déployée dans le cadre d’un appel à projet opéré par Bpifrance, notamment pour développer de nouvelles technologies pour la génération IV qui ne produit pas de déchets. Bpifrance pense recevoir une douzaine de candidatures. “Pour l’instant, l’appel à projet est encore ouvert, les projets reçus sont très divers, portés par des startups françaises ou étrangères, avec des dates d’aboutissement qui peuvent aller de 2035 à 2050”, indique Massimiliano Picciani.

Il y a un savoir-faire historique important en France, avec le soutien des institutions publiques, nous maîtrisons toute la chaîne de valeur et nous avons tous les équipementiers pour pouvoir tester et accompagner ce nouveau nucléaire. Certains acteurs étrangers pensent même venir chez nous pour mettre en place leur prototype”, explique Massimiliano
Picciani, qui voit avec ce projet l’occasion de restructurer et dynamiser la filière nucléaire française.“Il faut saisir ce momentum pour faire mieux, développer de nouvelles technologies, de nouveaux produits, être capables de répondre aux commandes et redevenir compétitif à l’international”, ajoute-t-il.

Dans cette course contre-la-montre, écologique et souveraine, la France doit encore trouver le bon modèle économique pour s’imposer. Vendre les SMR ? Vendre l’électricité ? Où transférer des connaissances et des compétences ?