Après la pause estivale traditionnelle du mois d’août, la French Tech aborde la rentrée 2023/2024 avec des sentiments mitigés. Après douze derniers mois difficiles, où les effets d’un marasme économique prononcé se sont fait sentir, sur fond d’inflation galopante dans le monde entier, de remontée des taux directeurs et de guerre en Ukraine, les startups françaises espèrent reprendre des couleurs dans les prochains mois.

Bien entendu, les problématiques rencontrées depuis le printemps 2022 ne vont pas s’estomper de sitôt. Tant que les banques centrales ne reverront pas à la baisse leurs taux directeurs - qui ont même été encore relevés ces dernières semaines par la Fed et la BCE - il ne faudra pas s’attendre à un contexte économique plus favorable. Et l’incertitude géopolitique qui règne aux portes de l’Europe, avec l’offensive russe en Ukraine qui se poursuit, n’est pas de nature à améliorer la situation actuelle. Par conséquent, entrepreneurs et investisseurs vont devoir continuer à faire le dos rond en attendant des jours meilleurs.

Un stress-test pour mettre en lumière la résilience des startups

Cependant, cela n’implique pas de rester amorphe et de ne rien tenter. Au contraire. Les crises sont souvent des sources d’opportunités, et la crise des subprimes en 2008 l’avait montré aux États-Unis, où des poids lourds de la tech comme Airbnb et Uber avaient vu le jour dans un contexte économique très difficile. Mais si la tech américaine a déjà surmonté plusieurs crises, faisant logiquement gagner en maturité l’écosystème technologique d’outre-Atlantique, ce n’est pas encore le cas de la French Tech, qui a traversé sa première crise majeure avec l’arrivée brutale de la pandémie de Covid-19 en 2020, puis les vents contraires de l’économie mondiale depuis un an.

Si la situation actuelle représente un défi d’envergure à surmonter pour l’ensemble des acteurs de l’écosystème tricolore, il apparaît cependant nécessaire et peut-être même souhaitable pour faire passer un nouveau cap à la French Tech. En effet, il s’agit d’un stress-test d’ampleur qui aura le mérite de mettre encore davantage en lumière les forces en présence les plus résiliantes du secteur.

Exit la course à l’hypercroissance avec une trésorerie qui fond comme neige au soleil, place à une croissance saine et viable dans le temps. Dans ce contexte, les indicateurs financiers scrutés par l’écosystème ne sont plus forcément les mêmes qu’il y a quelques années. De nouveaux outils émergent, à l’image de la Rule of 40 dans l’industrie du SaaS pour déterminer si une jeune pousse du secteur est capable de continuer à générer une croissance forte sans aller dans le mur.

Dans le climat actuel, la sortie de route fatale, faute d’investissements suffisants, est le danger qui guette nombre de startups. Avec l’argent qui ne coule plus à flot, les investisseurs se montrent plus exigeants. Le rapport de force s’est inversé en l’espace de quelques mois. Et certains scandales, à l’image de l’incubateur emblématique The Family qui se déchire devant les tribunaux, n’ont pas été de nature à rendre la situation actuelle plus apaisante.

10 ans de succès

Néanmoins, tout n’est pas noir. Lors de la prochaine édition du France Digitale Day, grande réunion de famille de l’écosystème français et européen qui fusionnera avec le CES Tech Trends à cette occasion, ce sera une nouvelle opportunité de célébrer les dix ans de la French Tech et ainsi mesurer le chemin parcouru. Il y a une décennie, être une licorne ou lever plus de 10 millions étaient considérés comme des exploits, tandis que le "mouvement des Pigeons" avait donné naissance à l'association France Digitale, qui est aujourd'hui l'une des forces majeures du lobbying européen dans la sphère technologique.

Désormais, la France compte une trentaine de licornes et certains pépites sont parvenues à lever plus d’un demi-milliard d’euros. L’an passé, les startups tricolores ont réussi à lever plus de 13 milliards d’euros selon les données analysées par Maddyness, contre à peine plus de 2 milliards en 2016. De plus, l’Hexagone est le premier écosystème Tech de l’UE, devant l’Allemagne et comble progressivement le fossé qui le sépare du Royaume-Uni. Et cerise sur le gâteau, certaines startups se sont imposées dans le quotidien des Français, à l’image de Doctolib, Lydia, BlaBlaCar ou encore Swile. Des accomplissent dont l’écosystème tricolore peut être fier. Et s’il ne faut pas s’attendre à une journée d’euphorie lors du prochain France Digitale Day, comme cela avait pu être le cas en 2021 (1,3 milliard d’investissements annoncés en 24h avec Sorare, Mirakl, Vestiaire Collective et Sunday), il y a tout de même des raisons d’être optimiste pour la suite.

Et maintenant, la décennie de la maturité ?

En effet, c’est une nouvelle décennie d’enjeux et de défis à relever qui s’ouvre pour la French Tech. D’autres crises surviendront probablement dans les prochaines années, et si elles ne sont pas agréables à vivre pour les entreprises, elles seront cependant d’autant plus structurantes pour l’écosystème. A l’image de la Tech américaine qui est devenue plus robuste au fil des crises subies, l’écosystème française se renforcera de la même manière, avec une différence de taille cependant : un ADN européen centré sur la souveraineté et le respect de la vie privée.

La qualité des projets primera davantage sur la quantité et la chaîne de financement devra être enrichie selon les vœux d’Emmanuel Macron plus tôt cette année. Le chef de l’État avait en effet enjoint les investisseurs institutionnels à faire davantage d’effort pour soutenir l’écosystème. Son appel a été entendu avec un plan Tibi 2 de 7 milliards d’euros, annoncé à VivaTech, mais il faudra davantage pour créer des champions à l’envergure internationale. C’est d’ailleurs aussi le sens de la mission parlementaire menée par le député Paul Midy (Renaissance) sur le soutien à l’investissement dans les startups et les PME, qui vise notamment à mobiliser les grands groupes, améliorer l’accès à la commande publique ou encore flécher davantage l’épargne des Français vers l’écosystème.

Bref, ce ne sont pas chantiers qui manquent à l’avenir. Clara Chappaz, la directrice de la mission French Tech, n'aura pas le temps de s'ennuyer. La décennie qui s’ouvre sera celle de la maturité.