Grégory Gazagne a pris la direction générale de Snap Inc. en France il y a moins d’un an. Cet ancien commando Marine, passé par le Groupe TF1, RTL, Yahoo! France, Criteo ou encore Swile, arrive à identifier le fil rouge de l’ensemble de ces expériences : « J’ai toujours eu envie de travailler dans des environnements qui bougent, avec beaucoup d’innovation, confie-t-il à Maddyness. Et puis les médias m’ont énormément attiré. ».

Sa vraie découverte de l’entrepreneuriat, Grégory Gazagne la fera chez Criteo, entreprise à qui il consacre une décennie de sa vie professionnelle (notamment en tant que Executive Vice President Global Revenue and Operations ou Managing Director Europe). « Je suis arrivé chez Criteo, nous étions 40 dans l’équipe et on faisait 9 millions de chiffre d’affaires. Au moment de mon départ, on avait 34 bureaux dans le monde et 2,3 milliards de chiffres d’affaires. Criteo m’a vraiment ouvert au monde de l’entrepreneuriat, des VC et de la technologie. ».

Quand il rejoint Snap Inc. en septembre 2022, c’est pour retourner dans une entreprise établie qui poursuit son énorme ambition à grand coup d’innovation. Sa mission est double : continuer à faire grossir la communauté en France et réussir à monétiser cette audience au mieux.

Une différence de perception

À la tête de la division française de Snap Inc. depuis presque un an, l’heure est au rapport d’étonnement. En effet, Grégory Gazagne a eu son lot de surprises en découvrant l’entreprise qu’il rejoignait. « La première chose qui m’a marqué, c’est la différence entre la réalité de ce qu’est Snap, et la perception qu’en a le marché, les clients, les agences, explique-t-il. Tout d’abord, Snapchat n’est pas une application réservée aux adolescents. Il y a effectivement 90 % des jeunes générations (15-24 ans) qui sont sur Snap, mais ce n’est qu’un tiers de notre audience. Les deux tiers restants sont plus âgés et la moyenne d’âge est de 36 ans ! » .

L’application au 750 millions d’utilisateurs est d’ailleurs en pleine croissance avec une trajectoire de 20 % de croissance année après année. « Et comme la perception est la réalité pour les gens, il va falloir que l’on arrive à la changer », annonce Grégory Gazagne confiant.

Faisant preuve de transparence tout au long de l’entretien, le nouveau Managing Director de Snap Inc. avouera aussi les travers de l’entreprise. « On est malgré tout dans une entreprise américaine matricielle et ce n’est pas toujours facile de faire exister la France au sein de la stratégie globale. » . Il s’estime pourtant chanceux pour deux raisons. L’Hexagone représente le troisième pays en termes d’audience pour l’application (derrière l’Inde sur la première marche du podium et les États-Unis sur la seconde). L’autre atout, c’est Evan Spiegel, le fondateur de Snap qui est passionné par la France au point de s’être fait naturaliser en 2018. « Il vient régulièrement à Paris et c’est assez unique pour un directeur général d’une filiale à l’étranger de pouvoir engager aussi régulièrement avec son CEO qui est toujours très présent et très impliqué. ».

L’innovation au cœur de Snap Inc.

« Move fast and break things », n’est pas un slogan rendu célèbre par Snap Inc. (cela vient du concurrent Facebook) mais l’entreprise au fantôme sur fond jaune se l’est aussi appropriée.
En effet, l’entreprise assume d’innover à grande vitesse, quitte à devoir parfois faire machine arrière. Cela a été récemment le cas avec My AI, un ami virtuel utilisant ChatGPT que l’entreprise a soudainement déployé auprès de ses 750 millions d’utilisateurs. Si l’annonce avait fait beaucoup de vagues, avec un certain nombre d’occurrences où le chatbot de Snapchat venait faire des recommandations qui n’étaient pas appropriées à l’âge du destinataire, Grégory Gazagne n’utilisera jamais le mot erreur : « Je pense que c’est injuste de ne mettre en avant que le négatif qu’il y a dans toute innovation technologique ou dans tout changement sociétal. Il y en aura toujours, et c’est bien normal, mais ce sont des choses à affiner dans le temps. Il y a donc eu quelques couacs de départ, mais c’est le cas de tout lancement de produit et nous sommes humains… ce qui fait la différence, c’est notre capacité à réagir rapidement. Nous avons donc très vite ajouté l’âge de la personne qui pose la question. ».

Au-delà des retours négatifs auprès d’une frange très vocale, l’entreprise préfère regarder les données d’usage. Aujourd’hui, ce sont déjà 5 millions de messages qui sont échangés avec MyAI chaque jour. Un chiffre qui risque d’augmenter encore quand Snapchat ira un cran plus loin en intégrant la création d’images générée par une intelligence artificielle directement depuis son application. Ce développement paraît être une évidence pour ce qui est avant tout une application de communication visuelle.

Mais Snap Inc. multiplie les initiatives innovantes pour se faire une place au plus près des consommateurs et des marques. C’est le cas avec ARES (pour AR Entreprise Services) qui va permettre aux marques d’intégrer directement la technologie des filtres Snapchat sur son site web ou son application. « Nous avons mis en place un modèle SaaS, explique Grégory Gazagne. On met notre technologie au service des clients qui font de la publicité avec la capacité d’engager leurs communautés avec la réalité augmentée. Par exemple, les clients Nike peuvent ainsi essayer les chaussures directement sur leurs pieds. ». Une approche qui boosterait la conversion des e-commerçants, tout en diminuant les retours produits.

Un petit retour sur Zenly

Interrogé sur la fermeture de l’application Zenly, Grégory Gazagne est à nouveau très candide sur le sujet. « Quand l’économie tousse, tout le monde souffre et notamment l’industrie de la publicité, lance-t-il sans hésitation. On a pris la décision difficile de se séparer de 20 % des employés au niveau mondial en août 2022. On avait aussi lancé le Pixi, un petit drone quelques mois auparavant mais on a dû l’arrêter. Et puis il y a Zenly. On avait investi des centaines de millions pour racheter l’entreprise, puis plusieurs millions pour investir sur cette pépite française, en finançant l’intégralité des opérations, en embauchant localement, en doublant la taille de l’équipe. Nous avons eu des années d’euphorie où l’argent semblait gratuit, où l’on a cherché à maximiser la croissance sans trop regarder à la rentabilité. Et Zenly n’avait pas de voie crédible pour générer des revenus, même à moyen terme. La décision a aussi été prise après une refonte complète de Zenly en avril 2022 qui avait eu des retours très négatifs de ses utilisateurs actifs qui sont passés de 40 à 34 millions, et une baisse des nouveaux utilisateurs de 60 %. Il y avait donc toute une dynamique qui a fait que cela devenait une évidence qu’il fallait fermer l’application. Le bon “move”, cela aurait été de faire une spin-off et de les revendre… mais il y avait à ce stade trop d’imbrications de propriétés intellectuelles pour que ce soit possible. ».

Ce choix semble donc amorcer une nouvelle étape pour Snap Inc., une étape où la croissance est toujours un sujet prioritaire, mais où la rentabilité est devenue tout aussi importante. L’entreprise va donc continuer de miser sur de nouveaux assets technologiques qui vont permettre aux marques d’engager leurs clients d’une manière qui n’a pas encore été répliquée sur les autres plateformes.