Les intelligences artificielles sont souvent perçues, en matière d’éducation, comme des freins à la réflexion et à l’apprentissage. Elles faciliteraient tellement certaines tâches, seraient si efficaces, que nous deviendrions moins aptes à nous creuser les méninges. L’IA générative, comme ChatGPT, est vue comme une véritable menace, à tel point que des écoles ont dû sévir et encadrer leur utilisation. En janvier dernier, Sciences Po a par exemple communiqué sur l’interdiction pour ses élèves d’utiliser l’outil sans le mentionner expressément.

Dans le monde de la formation, d’autres voix dissidentes commencent toutefois à s'élever. Plusieurs startups ont développé des outils basés sur l’IA pour améliorer les processus de formation continue des employés au sein des entreprises. Nick Hernandez, CEO et cofondateur de 360Learning, une plateforme dédiée à l’apprentissage collaboratif, nous explique utiliser ce type d’outils pour la formation en entreprise : “Le principe du collaborative learning, c’est de se former les uns les autres. Il y a des experts dans les entreprises qui conçoivent des formations à cet effet. Or l’IA nous permet d’en créer environ 80%, que les employés peuvent ensuite annoter, modifier ou moduler à leur guise.”

360Learning rachète eLamp pour développer une “cartographie des compétences”

Ce lundi 9 octobre, 360Learning a annoncé le rachat d’eLamp, un spécialiste de la gestion des compétences par l’IA. Une façon pour elle d’aller un peu plus loin dans l’expérimentation avec les intelligences artificielles avec l’ambition de développer “une vraie cartographie des compétences”. “Imaginons qu’un constructeur automobile annonce vouloir passer dans trois ans au tout-électrique”, illustre le CEO. “Le DRH va devoir faire face à 15 000 ingénieurs qu’il faudra former sur ces questions. Il est primordial pour lui d’avoir à sa disposition une matrice de toutes les compétences nécessaires et de pouvoir s’assurer que l’écart entre les qualifications dont l’entreprise a besoin et celles dont elle dispose soit minimisé.”

Il s’agit en temps normal d’une “charge titanesque” : entre un et trois ans seraient nécessaires pour créer un tel référentiel de façon manuelle. Or avec l’IA, la tâche est pliée en… quelques jours seulement. Bonus : un plan de formation est même généré automatiquement et suggéré aux DRH. 

Des formations à la carte ultra-personnalisées

A l’AGIF Pass, un organisme de formation spécialisé dans les métiers de la banque, des assurances et de la fiscalité, l’intelligence artificielle est aussi devenue un outil de travail à part entière. Elle permet d’auditer les compétences des employés au sein d’une entreprise, d’identifier “les trous dans la raquette”, mais aussi, là encore, de “pousser du contenu de formation prêt à l’emploi”, lorsqu’une remise à niveau semble nécessaire. 

Pour ce faire, Vincent Riotte, directeur adjoint de l’AGIF Pass, nous explique s’être associé à une startup française, Domoscio, spécialisée dans la smart data et l’intelligence artificielle. Ensemble, ils ont développé une méthode d’adaptative learning (en français, apprentissage adaptatif). Il s’agit de formations à la carte, personnalisées en fonction des besoins de chaque entreprise… et de chaque employé. “D’ordinaire, nous précise-t-il, les formations en entreprise sont des formations de masse, et dans le meilleur des cas, on crée des groupes de niveaux. L’IA permet d’aller un cran plus loin, et de déterminer un niveau de compétences à atteindre sur un plan individuel.”

“Sans machine, estime-t-il, impossible de parvenir à de tels résultats.” L’IA représente un gain de temps indéniable.

L’IA, une réponse à la pénurie de compétences ?

Selon Vincent Riotte, il s’agit finalement d’une simple suite logique aux évolutions du monde de la formation. “Il y a d’abord eu l’e-learning, puis le vidéo-learning, et ensuite le mobile-learning”, énumère-t-il, “et depuis quelques années, c’est l’IA qui prend plus de place.”

S’il reconnaît ses limites, sur la question des soft skills par exemple, ou sur la formation initiale, il l’estime particulièrement utile dans le cadre de la formation continue. C’est une façon pour le monde du travail de se maintenir à jour, autant que possible.

Dans le contexte actuel d’une pénurie de compétences dans certains domaines, l’enjeu est évidemment de taille. Comme nous le précise Nick Hernandez, les vagues d’innovations technologiques ou de changements sociétaux majeurs, au niveau écologique notamment, sont de plus en plus nombreuses. Alors qu’on avait avant “une révolution par siècle”, voici qu’elles se succèdent et se superposent, créant un besoin fort de compétences, en permanence. Car pour les entreprises, estime le co-fondateur de 360Learning, “le savoir est un trésor, c’est leur véritable capital”.

Certes, il reconnaît qu’IA et algorithmes peuvent parfois nous rendre “plus passifs”. Mais il réfute l’idée d’outils qui soient “intrinsèquement négatifs”. A l’avenir, ils pourraient même revêtir un rôle prédictif, et booster la compétitivité de certaines entreprises.“Désormais, on est par exemple capables de dire à des DRH : voici la compétence que vos concurrents mettent en avant depuis peu dans leurs offres d’emploi”, précise Nick Hernandez. ”Peut-être voudrez-vous également former vos collaborateurs sur ce sujet”. L’IA a donc encore bien des tours à dévoiler !