Les questionnements se multiplient autour des BSPCE, un outil très utilisé dans l’écosystème startup pour compenser des salaires souvent plus faibles que ceux de grandes entreprises. Dernière avancée en date, les précisions apportées au sujet des décotes par Jean-Noël Barrot. «L'administration fiscale va autoriser les jeunes entreprises innovantes qui émettent des BSPCE (bons de souscription de parts de créateur d'entreprise, ndlr) à appliquer une décote d'illiquidité, pour rattraper l'écart avec d'autres pays qui compromettait leur capacité à attirer des talents», a affirmé le ministre ministre délégué au Numérique, le 19 octobre.
Mais depuis plusieurs mois, c’est un autre sujet qui fait débat dans l’écosystème, un point relativement technique, dont les implications sont significatives pour les startups et pour leurs salariés bénéficiant de BSPCE. Il s’agit d’une précision de l’administration fiscale publiée dans le Bulletin Officiel des finances public (Bofip) le 25 mai dernier. À la question « Le gain résultant de l’apport de titres souscrits en exercice de bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE) peut-il bénéficier du mécanisme du sursis d’imposition prévu par l’article 150-0 B du Code Général des Impôts (CGI) ? », l’administration fiscale répond que non.
Les BSPCE : valeur mobilière ou avantage salarial ?
« Si les conditions d’attribution des BSPCE sont bien respectées, le régime fiscal applicable lors de la vente des actions ne pose pas de difficulté et reste favorable. Le sujet se pose, en revanche, lorsqu'un actionnaire souhaite apporter des titres issus de l’exercice de BSPCE à une holding soumise à l’impôt sur les sociétés. En l’absence de texte spécifique, on aurait pu penser que cet apport, comme pour les actions "classiques", constituait une opération intercalaire ne générant pas de fiscalité, avec la plus-value latente qui bénéficie d’un report ou d’un sursis d’imposition », explique Eric Birotheau, directeur de l’ingénierie patrimoniale chez Banque Richelieu France.
Or, l’administration répond que cet apport ne bénéficie pas du sursis d’imposition du fait de la nature intrinsèquement salariale des BSPCE : ce sont principalement les salariés qui peuvent en avoir et si la valeur effective du titre augmente par rapport à sa valeur de souscription, c’est grâce au travail effectué. Techniquement, l’administration fiscale s’appuie donc notamment sur le fait que les BSPCE sont une forme de salaire qui ne rentre pas dans le cadre du texte sur les valeurs mobilières classiques et ne peut donc pas bénéficier du différé d’imposition.
Une interprétation qui, si elle est techniquement juste, semble un peu trop protectrice des finances publiques pour Laurent Bibaut, avocat fiscaliste du cabinet Ayache. « L’apport d’un point de vue fiscal est considéré comme une cession, mais d’un point de vue économique, il s’agit d’un échange de titres où le salarié ne perçoit aucune liquidité. La position de l’administration fiscale revient par conséquent à imposer le salarié alors qu’il n’a rien perçu », précise-t-il. Concrètement, si un salarié, grâce à son BSPCE, peut, à un moment donné, acheter pour 1 euro une action qui en vaut 10 et qu’il apporte cette action à une holding en contrepartie de titres de cette dernière, il sera taxé sur son gain de 9 euros sans avoir touché aucune liquidité.
L’écosystème pousse donc pour que cet apport soit considéré comme une opération intermédiaire neutre, qui ne soit pas fiscalisée. « Il y a toujours eu un débat, mais des arguments forts existent, permettant de soutenir que cela doit rester une opération intercalaire », ajoute Eric Birotheau.
Un sujet de gouvernance
« Il y a une levée de boucliers, notamment dans le milieu de la tech, car économiquement, cela ne tient pas la route. Cela met un frein aux opérations secondaires et va créer des problèmes de gouvernance », partage Laurent Bibaut.
En effet, quand les bénéficiaires de BSPCE exercent leur option pour devenir actionnaire, pour des raisons de gouvernance, les startups les encouragent à apporter leurs actions à une société ad hoc afin de les regrouper et d’éviter d’avoir des dizaines de salariés minoritaires en direct dans la société principale. Une structure qui elle-même investit dans la startup, mais plus facile à gérer pour les fondateurs. “Avec une Manco, ou société de cadres, les fondateurs peuvent par exemple restreindre l’accès à l’information, ou encore mettre en place un processus de décision permettant d’éviter une situation de blocage au moment d’une sortie”, partage Laurent Bibaut.
Cette précision de l’administration fiscale fait donc aujourd’hui l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. L’écosystème attend la réponse du Conseil d’État. « La position de l’administration fiscale est discutable, dans un contexte où des discussions sont en cours pour assouplir certains aspects du régime des BSPCE pour le rendre plus attractif », appuie Eric Birotheau.