En mai dernier, un sondage mené par l’institut YouGov pour Le HuffPost concluait que 75 % des Français étaient favorables à la semaine de 4 jours, tant que leur salaire demeurait inchangé. Le chiffre monte même à 81 % auprès des 18-24 ans et à 82 % auprès des 25-34 ans. « Les nouveaux arrivants sur le marché du travail sont bien plus préoccupés par leurs conditions de vie que par leurs salaires. Cela fait partie d’une révolution du monde du travail », observe Laura Raymond, CEO et cofondatrice de l’agence de communication indépendante Gangstères.

Au Royaume-Uni, l’expérimentation "UK’s four-day week pilot" menée de juin à décembre 2022 dans 61 entreprises affiche des résultats probants : une réduction de 65 % du nombre de jours d’arrêt maladie chez les salariés, un taux de burn out en baisse de 71 %, une diminution radicale du stress et une meilleure qualité de sommeil, sans pour autant perdre en productivité. Le chiffre d’affaires de ces 61 entreprises s’est maintenu, et certaines ont même mesuré une hausse d’environ 1,4 %. Les indicateurs semblent donc au vert pour la semaine de 4 jours.

Un meilleur équilibre vie pro/vie perso

FairSpace conçoit du mobilier durable et aménage des espaces qui correspondent aux nouveaux usages des entreprises. « Nous sommes souvent confrontés à des évolutions de travail qui ont des impacts sur les aménagements. Nous nous sommes donc intéressés à la semaine de 4 jours en observant des gens sous-louer leurs bureaux le vendredi », explique Florian Cavel, cofondateur de la startup. « On s’est alors rendu compte que de grandes entreprises étaient passées à la semaine de 4 jours et on a décidé collégialement de tenter l’expérience. »

Pour Simon Létourneau, fondateur de Carbo, l’application pour mesurer son impact carbone, la semaine de 4 jours est presque un acte militant et politique : l’écologie heureuse et désirable passe selon lui par la réappropriation du temps de travail. « Travailler moins est en un sens plus écologique, on dispose de plus de temps pour cuisiner, pour voyager, pour prendre soin des autres. »

Chez Hestiia, une startup de radiateurs innovants, la semaine de 4 jours et demi a été imposée par les dirigeants en constatant le trop gros volume horaire de leurs collaborateurs. Depuis, le vendredi après-midi est libre et le vendredi matin est devenu un temps de décompression pour débriefer de la semaine précédente et préparer la suivante. « La charge mentale de nos collaborateurs est ainsi allégée pour commencer le week-end », nous explique-t-on.

La phase d’expérimentation et d’apprentissage

Tous les dirigeants interrogés s’accordent cependant à dire qu’on ne passe pas à la semaine de 4 jours en un claquement de doigt. Camille Darde, DRH d’Elmy où le dispositif a été mis en place il y a un an, détaille le processus : « C’était un chantier mais nous avons été conseillés par des pairs de chez LDLC et Welcome to the Jungle. Nous avons échangé avec ceux qui avaient déjà du recul sur l’expérimentation et qui nous ont donné les clés pour éviter les écueils du démarrage. »

Même constat chez Gangstères : « Nous avons le devoir en tant que dirigeant de donner les outils pour assurer cette transition vers la semaine de 4 jours. Mais comment fait-on concrètement pour retirer un jour de travail ? ». L’agence a choisi de se faire accompagner par un expert en gestion du temps, Florent Bouër, auteur du “Manuel du fainéant ambitieux”. « Nous sommes partis en séminaire de formation avec lui et ça a changé radicalement notre façon de travailler. Le sujet n’est d’ailleurs pas la semaine de 4 jours mais notre gestion du temps en général dans nos vies de travailleurs. »

Réunions moins longues et moins fréquentes, priorisation des tâches à haut et bas rendement, élimination des petites tâches inutiles du quotidien, ajustement des objectifs pour être en phase avec cette nouvelle réalité : ces startups ont mis en place leur propre méthodologie en même temps qu’un suivi de performance et de bien-être au travail, durant 4 à 12 mois de phase test.

Des indicateurs de performance au beau fixe

Chez Elmy, le retour d’expérience s'annonce positif avec de très bons indicateurs sur la productivité et les ressources humaines au sens large. « On constate une baisse évidente de l’absentéisme, un meilleur engagement des salariés, une productivité maintenue pour un temps de travail réduit. Côté attractivité et marque employeur, le nombre de candidatures a été multiplié par 2,5. » La DRH indique que seulement 3 salariés sur 170 n’ont pas souhaité garder la semaine de 4 jours à l’issue du test, souvent pour des raisons de sociabilisation.

Hestiia, Gangstères, Elmy et Carbo ont mis en place des points individuels avec tous leurs salariés pour avoir leurs retours sur leur charge de travail. Une augmentation significative du bien-être est constatée dans chacune de ces entreprises. Gansgtères mesure mensuellement 6 indicateurs de qualité de vie au travail et 50 sujets comme la santé mentale, l'épanouissement, le bien-être au travail ou le sommeil de ses collaborateurs. Un outil de suivi de performances est également rempli par les équipes pour mesurer l'indice de productivité et d'efficacité de l’agence. « Le succès est tel que nos clients transfèrent nos mails à leurs RH pour envisager la semaine de 4 jours », ajoute Laura Raymond.

La semaine de 4 jours : des journées de travail plus longues ?

Mais la semaine de 4 jours signifie-t-elle le rallongement des journées de travail ? Certains confessent que oui, pour des raisons de stabilité économique. « Notre semaine de 4 jours compte 35h et non pas 32, mais finalement, entre des arrivées un peu plus tôt et des pauses déjeuners plus courtes, nous avons même réussi à garder une cohésion d’équipe, sans trop réduire les temps de convivialité », explique Florian Cavel. Chez Fairspace, si les salariés ont vraiment besoin de travailler un peu le vendredi, il y a un rattrapage derrière en repos compensateur ou en heures supplémentaires. La méthode permet de traiter les pics d’activité et d’éviter le stress des équipes.

Simon Létourneau a quant à lui été surpris par l’inquiétude initiale de certains salariés, qui avaient le sentiment de quitter le navire avec cette nouvelle semaine de 32 heures. Mais l’entreprise reste active 5 jours par semaine grâce au roulement des équipes. Les 49 collaborateurs choisissent leur jour off entre le mercredi et le vendredi en début de trimestre.

Pour ces entreprises, la semaine de 4 jours ne substitue pas non plus au télétravail. Elles continuent d’accorder entre 1 à 2 jours de télétravail par semaine, toujours dans l’idée d’un meilleur équilibre vie pro/vie perso. Et certaines vont même plus loin : congé menstruel chez Gangstères, congés illimités chez Hestiia, transparence des salaires chez Carbo… La semaine de 4 jours participe à une culture d’entreprise fondée sur le bien-être des salariés, qui ne retourneraient apparemment pour rien au monde à la semaine de 5 jours.