Raphaël Labbé se souvient encore précisément de ce moment où, en 2008, il s’était retrouvé dans un taxi à côté de Mark Zuckerberg. Sheryl Sandberg était à l’avant et il avait profité de ce bref moment d’intimité pour le questionner sur l’aventure Facebook. Sa chance, Raphaël Labbé l’a saisie en insistant auprès de leur agence de relation presse française. Il avait réussi à les convaincre en mettant en avant le fait qu’il allait écrire leur page Wikipédia. Il regrette aujourd’hui de ne pas avoir enregistré cette conversation, mais il garde cette photographie en souvenir de cette journée un peu particulière.

Ce qui l’a le plus marqué de cette rencontre ? Le fait que Mark Zuckerberg ne lui ait pas raconté la version romancée que l’on peut entendre aujourd’hui sur la création de Facebook. Le jeune CEO était très humble dans sa manière de présenter les faits, admettant combien certains choix qui ont amené quelques-unes des fonctionnalités à succès de la plateforme étaient dus à la chance. La création des albums photo : c’était une simple question d’optimisation des serveurs face au cauchemar des utilisateurs qui changeaient de photo de profil constamment pour revenir à un ancien cliché.

Avec Ulike, Raphël Labbé avait la même idée que Mark Zuckerberg

Il garde le même sentiment de sa rencontre avec Jack Dorsey qui expliquait avoir eu l’idée de Twitter en écoutant les messages radio pour réguler le flux des ambulances à Saint Louis. Pas de grande vision, ni l’ambition de rendre le monde plus ouvert et connecté, l’Histoire est définitivement réécrite par les vainqueurs.

Raphaël Labbé a profité de ce moment où l’écosystème des réseaux sociaux était encore relativement petit et que ces légendes du web étaient encore accessibles. « On avait cette même idée que Facebook avec Ulike, celle de rassembler les gens basés sur leurs centres d’intérêt. Après on était en France, avec des moyens limités, on n’avait pas la même base de clients, il n’y avait pas d’écosystème, donc de manière très réaliste, on n’avait aucune chance de percer… mais on ne le savait pas. »

À aucun moment Raphaël Labbé ne pourra considérer l’expérience Ulike comme un échec : si cela n’a pas été un succès financier, cela lui a permis d’entrer dans cet écosystème alors qu’il était encore balbutiant et de vivre des « aventures incroyables », pour reprendre ses mots.

Toujours rester au cœur du réacteur

En mars 2011, Raphaël Labbé trouve d’ailleurs une sortie positive à l’expérience Ulike puisqu’il cède son entreprise au Groupe L’Express qu’il rejoint en tant que directeur de projets puis directeur de l’innovation. De nouveau, il a le sentiment d’arriver au bon moment pour être au cœur du réacteur : les équipes d’Apple, Google ou Amazon viennent les voir pour leur demander de créer les premières applications mobiles de leurs stores respectifs. Encore une fois, si Apple est souvent présenté comme visionnaire, Raphaël Labbé se souvient surtout qu’il s’agissait « d’une période complètement bordélique où il fallait tout inventer. »

Il travaille également sur des projets d’applications pour les Google Glass ou le Kindle Fire, deux appareils qui finiront au cimetière de la technologie. « C’était une période hyper excitante, explique-t-il. Cela te permet de rester jeune et challengé intellectuellement. »

C’est pendant cette période qu’il rencontre Jérôme Lascombe, fondateur de l’agence de relations presse Hopscotch. Ce dernier explique alors à Raphaël Labbé que les grandes marques n’ont pas forcément d’outils adaptés pour gérer et organiser les ressources liées à la communication. L’idée vient titiller le directeur de l’innovation du Groupe L’Express qui commençait à saturer des problématiques liées à la publicité. « C’était toujours dans l’univers des médias, résume-t-il. Mais dans le monde de l’entreprise avec de l’abonnement SaaS. »

Wiztrust fait un essai à New York puis renonce

Ils se lancent donc ensemble pour créer Wiztrust en 2014 (anciennement appelé Wiztopic). Pendant un an et demi, ils développent le produit grâce à deux premiers clients qui signent avant même que la plateforme ne soit prête. Ils se lancent ensuite dans une phase commerciale, accélérée par leur levée de fonds de 3,7 millions d’euros en 2017 (auprès de NewAlpha Asset Management et d’investisseurs privés).

« On est très vite devenu leader en France, déclare Raphaël Labbé. Mais si nous voulions attaquer l’Europe, cela allait prendre mille ans. Il aurait fallu avoir des premiers clients dans chaque pays pour conforter le fait que la solution était adaptée au pays. On s’est dit : on va faire les États-Unis parce que si on chope trois références à New York, cela nous permettra d’aller plus vite partout ailleurs. »

Il arrive donc à New York en août 2018 et commence le développement. « On a signé cinq contrats là-bas sur des clients beaucoup plus petits, mais qui payent aussi cher que nos clients français. » Les premiers résultats sont donc encourageants, mais le Covid les oblige à revoir leur copie. Raphaël Labbé rentre en Europe et décide finalement de suivre la stratégie qu’ils avaient d’abord mise de côté : convaincre des références dans chaque pays européen. Il commence par les Pays-Bas en s’installant à Amsterdam.

« On a essayé de prendre un raccourci et cela n’a pas marché. De manière très humble, on retourne sur le chemin banalisé. On a su prendre des risques, mais on a su les maîtriser et à changer de route. Ce n’est pas un pivot, on est juste resté flexible sur le chemin. »