Avec SiloAI, Peter Sarlin offre une vision rafraîchissante de l’IA grâce à son passé universitaire. L’homme a longtemps été chercheur et professeur avant de sauter le pas de l’entrepreneuriat en 2016 et de lancer un an plus tard, bien avant la hype, son propre laboratoire de recherche en IA, SiloAI. Sept ans plus tard, l’entreprise compte un peu plus de 300 salariés dont la majorité de chercheurs en IA, et conçoit pour l’industrie des solutions d’IA. Dès le départ, l’entreprise a doublé chaque année ses revenus, ce qui lui a permis, confie le PDG, de se concentrer sur l’essentiel, et ne pas s’épuiser à chercher des financements. Entretien.

Le mois de novembre a été particulièrement riche en annonces pour l’IA européenne. Quel est votre regard ?

Peter Sarlin : La Suède, l’Allemagne et la France ont annoncé investir, et c’est plutôt une bonne nouvelle. Mais j’ai peur qu’à force de lancer des initiatives nationales, l’Europe perde en compétitivité. J’ai une vision de l’IA pan-européenne. C’est notre seule chance de nous distinguer et de garder les talents sur le continent. 

C’est aussi pour ça que chez SiloAI, nous avons en novembre dernier lancé Poro, notre propre modèle d’IA générative open-source (donc ouvert à tous) et qu’à Slush, nous avons annoncé de nouvelles langues disponibles. C’est une question de souveraineté numérique.

L’open-source vient-il de votre expérience académique ?

Oui, en partie, mais pas seulement. Je vois l’open-source comme un catalyseur de création de valeur. Nous avons des contributions de chercheurs. On travaille nous-mêmes avec le supercalculateur finnois, LUMI/EuroHPC (le plus rapide et économe d’Europe, ndlr). Ce n’est pas avec des modèles propriétaires et fermés qu’on créera de la valeur.

Comment en créera-t-on ?

Chez SiloAI, on ne veut pas saupoudrer un peu d’IA par-ci par-là. On a une vision très concrète de cette technologie. Les entreprises qui viennent nous voir souhaitent améliorer leurs produits avec de l’IA, que ce soit une voiture autonome, un objet connecté ou une application. Elles ont déjà un produit, une solution avec des utilisateurs finaux. L’IA élève ces produits et solutions. Et ce faisant, on crée des infrastructures en IA (en Europe, ndlr).

Finalement, c’est une vision d’une IA servicielle et sectorielle. Vous n’êtes pas très pro-AGI (IA générale), non ?

Pour moi, la réponse est dans le software et les solutions sectorielles. OpenAI et l’arrivée de ChatGPT ont déclenché une vague d’investissements, sur la promesse de l’AGI (l’IA générale, capable d’effectuer n’importe quelle tâche, ndlr). Mais je n’y crois pas, nous n’avons pas les capacités technologiques d’y parvenir. 

Il y a eu d’ailleurs bien des débats autour de l’IA pour réguler cette technologie. Que pensez-vous de toutes ces discussions ?

C’est une question à réponses multiples. Le processus de réglementation est long. Le souci est que du côté des entreprises européennes, elles attendent que l’orage passe avant de s’engager dans l’IA. En revanche, je trouve bien que la régulation se concentre sur des cas très concrets de l’IA. On ne peut pas réguler l’utilisation de l’IA sans faire de distinction. 

Quant aux modèles de fondation, qu’ils soient traités et régulés différemment (comme il est prévu par l’IA Act, ndlr) n’est pas pertinent. Ça risque de ralentir effectivement l’innovation, surtout au sein des plus petites entreprises qui n’ont pas les moyens de répondre à ces normes. 

A priori, on ne verra pas d’IA Act avant la fin de l’année…

Oui, un consensus va prendre des années. J’espère toutefois qu’on réussira à faire de l’Europe une figure de proue de l’IA. Jusqu’à présent, nous ne nous sommes pas illustrés dans la création de géants des plateformes et du logiciel – à l’exception de SAP, Spotify ou Klarna. Nous avons surtout une armada d’entreprises traditionnelles. Charge à nous de faire en sorte que l’IA les transforme durablement et… avec de la valeur.