Les cours des cryptomonnaies ont bondi ces dernières semaines, le bitcoin franchissant même la barre des 40.000 dollars pour la première fois depuis mai 2022. L’horizon semble enfin s'éclaircir pour l’écosystème, qui a souffert d’un long hiver crypto, auquel n’ont pas survécu les projets les plus fragiles. De nombreux gros acteurs du secteur, comme Binance ou Coinbase, mais aussi la licorne tricolore Ledger, ont ainsi annoncé tour à tour d’importants licenciements.

L’arrêt des hausses de taux des banques centrales et la perspective d’un ETF bitcoin spot aux Etats-Unis, un fonds indiciel directement investi dans la cryptomonnaie, ont redonné des couleurs au marché, qui pourrait poursuivre sur sa lancée l’an prochain. Charles Guillemet, directeur de la technologie (CTO) de Ledger, nous donne des nouvelles de son entreprise.

Maddyness : Votre entreprise a annoncé le licenciement de 10 % de ses effectifs en octobre. Comment va Ledger aujourd’hui?

Charles Guillemet : J’ai rejoint Ledger en 2017, nous étions alors 40. Aujourd’hui, nous sommes plus de 500. Le business de Ledger reste dépendant de l’évolution du marché crypto. Nous avons connu une phase d’hyper-croissance en 2021-2022. Et depuis un an et demi environ, le contexte est plus difficile. Quand le marché se porte moins bien, il faut réussir à conserver de la visibilité sur sa trésorerie et le cash disponible, afin de pouvoir traverser l’hiver, sachant qu’il n’est pas possible de savoir à l’avance combien de temps il durera.

Nous avons donc décidé d’alléger un peu les équipes pour éviter que l’entreprise ne soit en difficulté à terme. Ledger va toujours bien. Et en cette fin d’année, nous observons un regain d’intérêt des investisseurs.

M : Où en est la commercialisation du Ledger Stax, votre portefeuille physique d’actifs numériques doté d’un écran tactile, annoncé en décembre 2022 et qui devait initialement sortir au premier trimestre 2023 ?

C.G : Nous travaillons dessus. Nous sommes dans la phase d’industrialisation. Concevoir du hardware n’est pas simple, et du hardware sécurisé encore moins. Puis le produire à grande échelle représente une difficulté supplémentaire. Nous devons être capables de vendre des centaines de milliers voire des millions d’appareils par an.

L’ensemble de nos portefeuilles Nano - le S, le S Plus et le X qui permet de se connecter aux téléphones mobiles - ont été écoulés à 6,5 millions d’exemplaires. Le ledger Stax commencera de son côté à être commercialisé dès qu’il sera prêt. Nous n’avons pas de date précise.

M : À quels sous-traitants recourez-vous pour concevoir vos appareils ?

C.G : L’architecture du Nano est basée sur des éléments sécurisés, des circuits que vous retrouvez dans les cartes à puce ou les cartes bancaires. C’est le cœur du réacteur, produit par l’entreprise franco-italienne STMicroelectronics. Les circuits que nous récupérons sont conçus spécialement pour nous, seul Ledger peut y loger son code.

Nous achetons les autres composants électroniques à différents sous-traitants. Les Nano sont ensuite fabriqués à Vierzon, dans le Centre-Val de Loire. À l’avenir, peut-être que la production sera en partie délocalisée. Pour l’assemblage de nos futurs appareils, les Ledger Stax, nous travaillons avec des sous-traitants tels que Foxconn (industriel taïwanais, ndlr), auquel recourt déjà Apple.

M : Vous avez aussi une activité dédiée aux entreprises, avec des produits comme Ledger Vault ou Tradelink annoncé cette année. Quelle part représente-t-elle dans votre chiffre d’affaires ?

C.G : Nous avons trois sources de revenus. Parmi elles, deux sont grand public et représentent clairement la majeure partie de notre chiffre d’affaires. Ce sont les portefeuilles physiques et l’application Ledger Live, qui permet de gérer en toute sécurité ses actifs et d’accéder à de nombreux services sur lesquels nous prélevons des frais.

Nous proposons par ailleurs des produits aux entreprises. Ledger Vault, lancé en 2019, se présente comme une solution SaaS, un logiciel qui permet de gérer ses cryptos de manière sécurisée et de définir en plus des règles de gouvernance. Ce service compte une centaine de clients aujourd’hui, dont Komainu, Crypto.com et Uphold. C’est un marché encore relativement petit mais qui est amené à grossir.

Tradelink est quant à elle une solution de trading pour les institutionnels, qui permet d’envoyer des ordres vers différentes plateformes d’échanges. Nous commençons à la déployer, les premiers échanges officiels devraient avoir lieu début 2024.

M : Comment voyez-vous justement l’année à venir ?

C.G : Nous sommes au début d’un nouveau cycle haussier, qui s’accompagnera d’importants investissements. Et cette fois-ci, les acteurs du secteur devraient bénéficier d’une capacité d’infrastructure et de scalabilité (utilisation à grande échelle, ndlr) des blockchains beaucoup plus grande, car l’écosystème a œuvré pour permettre davantage de débit et de transactions par seconde.

Nous n’aurons donc pas les limitations du cycle précédent, des problèmes de congestion et de coûts plus élevés associés, ce qui va ouvrir de nouvelles possibilités. Nous allons pouvoir plus facilement développer des services sur des blockchains comme Ethereum, grâce à des layers 2 (surcouches technologiques, ndlr), ou encore Cosmos et Solana.