Même si l’Europe n’a jamais semblé aussi vulnérable - dépendance énergétique, divisions sur le sentiment d’appartenance européen (Brexit), dépendance au dollar, difficulté de positionnement vis-à-vis de la Chine et des États-Unis -, la période “post-mondialisation” qui s’ouvre est en réalité une opportunité inouïe pour le Vieux Continent.

Certes, nous continuerons d’être dépendants de la Chine pour l’accès aux terres rares et nous continuerons à l’être des États-Unis pour le cloud et les semis-conducteurs. Mais pour que ces dépendances demeurent acceptables, nous devrons également nous rendre indispensables à ces deux puissances. Si les Américains demeurent ultra dominants en matière de high-tech (cloud, semi-conducteurs, IA) et les Chinois sur les métaux rares indispensables pour les batteries, l’Europe a sa carte à jouer sur la transition écologique.

Pour atteindre les objectifs fixés par les accords de Paris, 6.000 milliards de dollars par an devront en effet être investis dans la transition d’ici 2050. 80 % de l’effort devra se concentrer sur l’existant (efficience énergétique, processus industriels, production d’énergies renouvelables, transports, agricultures), quand les 20 % restants iront vers des technologies de rupture disponibles dans seulement 10 à 15 ans.

Ce secteur assurera une croissance soutenue aux entreprises capables d’apporter des solutions pour la transformation du système existant. Une grande partie d’entre elles sont d’ailleurs européennes !

Concentrer nos investissements sur la transition écologique

Dans un contexte de “démondialisation” et de croissance économique plus faible, les critères extra-financiers sont amenés à devenir déterminants. Sur ce point précis, l’Europe est en avance sur ses concurrents. Dès à présent, les entreprises qui basent l’intégralité de leur business sur l'exploitation des ressources finies voient leurs coûts s’envoler, leur accès aux capitaux (dette, capital) s’amenuiser et leurs primes d’assurance augmenter. Résultat ? Elles perdent en compétitivité au profit d’acteurs plus vertueux. Ce phénomène de “démondialisation” - ou du moins de ralentissement de la mondialisation - est donc une opportunité formidable pour l’Europe de se placer en leader de l’investissement durable, de la croissance verte, mais aussi de la transition énergétique. À condition que les États membres, les institutions européennes et les fonds d’investissement mettent les moyens pour financer l’émergence de champions dans le domaine. Les exemples à suivre sont légion : Verkor, Back Market, Ynsect, Ekwateur, Le Slip Français, Deepki, …

Digitaliser la production pour la relocaliser

Pour renforcer notre souveraineté face aux différentes crises, il est nécessaire de relocaliser notre production industrielle et nos chaînes d’approvisionnement. Pour rester compétitif en produisant sur son sol, il faut gagner en productivité. Comment ? En digitalisant. Tout l’enjeu est là : intégrer du logiciel, de l’intelligence artificielle dans les processus de production… Et ce afin de produire plus vite et mieux pour compenser la hausse des coûts liée à la relocalisation. C’est de cette manière que nous parviendrons à atteindre un modèle de société qui nous paraisse à la fois juste socialement et écologiquement.

Petit Bateau, par exemple, s’est lancé depuis plusieurs années dans un immense chantier de digitalisation de ces processus de production, afin d’accompagner son changement de business model (passage de l’achat à la location de vêtements). Grâce aux efforts réalisés, une grande partie de la production s’effectue à présent à Troyes ! Des couturiers et couturières sont recrutés en nombre dans l’Aube. Depuis combien de temps n’avions-nous pas vu cela ? Un tel résultat, n’est pas lié au hasard, il est le fruit d’un travail de longue haleine pour pivoter de modèle, pour tendre vers un business plus respectueux de l’environnement et plus juste socialement.

Alors, la souveraineté : mirage ou réalité ? Réalité, à condition que nos politiques, que nos acteurs économiques et financiers entreprennent des choix forts. L’Europe ne deviendra pas la nouvelle Silicon Valley, ni un mastodonte industriel comme la Chine, mais elle peut prendre une longueur d’avance sur la transition écologique. Notre souveraineté passera par là.