Luc Julia fait partie de ces inventeurs à l’allure cool et désinvolte - probablement accentuée par le port de chemises à fleurs - dont le CV en ferait pâlir plus d’un. Apple, Samsung, Renault… sans compter les quelques entreprises fondées au début des années 2000. À l’origine de ces réussites : un enfant aux mains bricoleuses qui, dès l’âge de 5 ans, rêvait de devenir chercheur au CNRS. Et qui tantôt créait une machine qui faisait son lit à sa place, tantôt désossait son premier ordinateur. 

“Quand j’avais une dizaine d’années, je touchais un peu à l’électronique et à l'électricité. L’informatique est devenue une évidence pour moi. Je voulais faire des choses qui serviraient aux vrais gens. J’ai été drivé par ça.” Drivé aussi par l’envie de participer à la recherche de nouveautés, il intègre le CNRS en 1989 dans une unité rattachée à Télécom ParisTech comme il l’avait annoncé enfant. Mais il réalise rapidement que la réalité est bien différente de ce qu’il avait imaginé. “Je me suis rendu compte que je ne voulais pas être chercheur mais trouveur.” Sur son site internet, il indique d’ailleurs être un “innovateur dans l’âme (...) intéressé par toutes sortes de technologies visant à améliorer la vie humaine”.

La ruée vers la pépite technologique

Dans cette optique, il décide de quitter le CNRS pour poursuivre sa thèse au sein du MIT, aux Etats-Unis. Il intègre finalement SRI International, une entreprise dépendante de l’université de Stanford dans laquelle il s’engage en tant que chercheur dans le domaine des interfaces vocales. C’est là, en 1997, au sein de son propre laboratoire, qu’il crée les brevets de ce qui deviendra dix ans plus tard Siri. Agacé qu’on lui en parle toujours en interview. Fier cependant de ce qu’est devenu l’assistant vocal. “Siri, c’est aujourd’hui 500 millions d’utilisateurs.” 

Ce projet n’est alors que le premier d’une très longue liste au sein de la Silicon Valley. “J’ai trouvé là-bas un véritable esprit de collaboration, bien loin des idées reçues. Dans la Silicon Valley, on crée des systèmes quitte à ne pas les pousser jusqu’au bout. Mais au moins on essaie, beaucoup.” Il y découvre le “melting-pot américain” - composé de plus de 60% d’étrangers - hérité de la ruée vers l’or, lorsque les populations se déplaçaient du monde entier à la recherche de pépites d’or, aujourd’hui à la recherche de pépites technologiques. Un “endroit d’inspiration absolument extraordinaire” qu’il quitte cependant chaque mois “pour rentrer en France manger du saucisson”, plaisante-t-il. 

Luc Julia, de décennie en décennie

La carrière de Luc Julia pourrait se résumer en un chiffre : 10. Dix années de recherche - “on n’a pas d’argent mais on crée des trucs rigolos” - suivies de dix années de startups - “on n’a pas d’argent mais on crée des trucs rigolos pour les vrais gens.” La startup dont il est le plus fier ? Orb Network, “une technologie permettant de jouer n’importe quel média sur n’importe quel téléphone, n’importe où, raconte-t-il. Nous étions les premiers à faire du play shifting. 13 millions de geeks partout dans le monde utilisaient Orb Network”

Enfin, dix années de grands groupes : “On a de l’argent et on crée des trucs pour les vrais gens donc c’est ce qu’il y a de mieux. Avoir des budgets de recherche et de développement plus importants que dans une startup permet de faciliter les embauches notamment.” En 2011, Luc Julia intègre Apple pour retravailler sur le projet Siri. Il n’y reste qu’un an puis rejoint Samsung en 2012 en tant que vice-président. Là, il est chargé de l’innovation et dirige le centre dédié en Californie. En 2017, il propose de “faire quelque chose pour la France” en installant un laboratoire destiné à l’intelligence artificielle à Paris. 

Il faut comprendre, Luc Julia a deux amours dans la tech : l’IA et les objets connectés. “J’ai fait très tôt de l’intelligence artificielle. L’IA c’est simplement des machines qui essaient de comprendre le monde : reconnaître la parole, la perception…”, explique-t-il. Une définition qu’il détaille davantage dans son ouvrage “L’intelligence artificielle n’existe pas”. Sa proposition de développer l’IA en France essuie dans un premier temps un refus puis voit finalement le jour en 2018 dans le 2e arrondissement de Paris. 

Renault : “Une autre façon de toucher les gens”

En 2021, il quitte Samsung pour Renault : “Une autre façon de toucher les gens et de faire de la technologie dans un domaine qui a 100 ans et qui a de nombreuses opportunités d’être amélioré par la tech.” Son but : “Pouvoir rendre la voiture plus sûre, plus facile à conduire tout en la rendant abordable.” 

Pour cela, Luc Julia est en charge de la “Software Republique”, un écosystème ayant pour membres fondateurs Renault, Dassault Système, Thales, Orange, Eviden et STMicroelectronics. Ce groupe a été créé pour répondre à une vision : celle que les grands groupes ne peuvent pas atteindre certains projets par eux-mêmes. “Software Republique permet de faire collaborer les grands groupes. Les six entreprises fondatrices tentent de trouver des projets qui pourraient impliquer deux ou trois autres membres ainsi que des startups et le monde académique. Cela crée une sorte de mix qui permet de créer de vrais projets comme une voiture et sa borne de recharge électrique permettant au véhicule de devenir la source d’électricité de la maison.” 

Luc Julia ne va pas s’arrêter là. Le projet suivant : une startup dont la technologie devrait remplacer les cookies et permettre aux gens de gagner de l’argent en regardant une pub sur internet. Craint-il l’échec ? “Quand on crée, évidemment qu’on subit des échecs.” Mais il retient la principale leçon apprise au sein de la Silicon Valley où “la culture de l’échec n’est pas rédhibitoire, au contraire, on apprend toujours quelque chose”.