La proposition vous semble scandaleuse ? Ne partez pas tout de suite. Oui, au fil des ans, la consommation énergétique et les émissions de gaz à effet de serre liées au minage de bitcoin ont suscité des débats passionnés. Oui, en lui-même, le protocole proof-of-work (preuve de travail) utilisé par l’infrastructure bitcoin est énergivore et mobilise une puissance de calcul substantielle. À ce stade, vous êtes en terrain connu.

Sauf qu’en matière de minage comme partout ailleurs, tout dépend de l’origine de l’énergie utilisée. Pendant longtemps, la Chine est restée le leader en la matière, avec une électricité majoritairement générée à partir de centrales à charbon. Dans ces conditions, difficile d’afficher un bilan carbone en phase avec l’urgence écologique et les ambitions de la COP23… La décision prise par Pékin en 2021 d’interdire le minage des actifs numériques a radicalement changé la donne. Les mineurs ont massivement migré vers les Etats-Unis, et ils ont au passage commencé à diversifier leurs sources d’énergies.

Vers un bitcoin vert

Résultat ? La part du nucléaire et des énergies renouvelables dans le mix énergétique du bitcoin progresse de manière tendancielle (CoinShares a publié sur le sujet un rapport complet en 2022). Et comme les mineurs sont des acteurs économiques rationnels, le phénomène s’accélère en même temps que croît la demande pour du bitcoin vert et que le coût des énergies fossiles s’envole. C’est aussi simple que ça.

Certaines initiatives américaines vont encore plus loin. En Pennsylvanie, la société Cumulus Data a branché un data center directement sur la centrale nucléaire de Susquehanna. Le minage fait partie des activités de calcul effectuées sur place, et contribue directement au financement de l’infrastructure. Autre exemple tout aussi intéressant, Giga Energy utilise l’énergie issue des torchères (le gas flaring, qui consiste à brûler les surplus de gaz naturel sans aucune valorisation et au prix d’émissions de carbone considérables) pour alimenter des unités mobiles de minage. De manière générale, il est tout à fait imaginable d’utiliser les surplus énergétiques ponctuels pour générer des actifs numériques.

Les crypto à la rescousse de la transition énergétique

Pour le meilleur et pour le pire, il semble exister un lien profond entre bitcoin et la question énergétique. J’aimerais donc tenter un exercice de prospective. Les énergies renouvelables sont par nature intermittentes et inégalement réparties sur la surface du globe. On arrête régulièrement les centrales nucléaires lorsque la demande énergétique baisse (en régime de croisière : la situation l’hiver dernier était exceptionnelle).

Tentons donc une expérience de pensée. Dans le futur, quand chaque site industriel disposera de son propre mix énergétique in situ – parcs éoliens, solaires, réacteurs nucléaires miniaturisées, etc. – il faudra trouver un moyen de valoriser les surplus énergétiques. Dans ces conditions, miner du bitcoin (ou tout autre crypto-actif) pourrait bien s’imposer comme une option intéressante.

Prenons le cas particulier d’EDF. L’opérateur historique français affiche aujourd’hui une dette record de 64,2 milliards d’euros. En été, la demande en électricité baisse mécaniquement, et nous mettons certains réacteurs à l’arrêt sans réel bénéfice. Nous pourrions parfaitement continuer de les faire tourner et employer le surplus d’électricité pour alimenter des unités de minage de bitcoin zéro carbone. Tentons un rapide calcul : la capacité cumulée du parc nucléaire français est d’environ 61 GW. En n’utilisant que 5 % de cette dernière – soit 3,05 GW, ce qui semble tout à fait raisonnable – EDF pourrait miner en douze mois 97.649 bitcoins, ce qui correspond au taux actuel (environ $40.000) à 4 milliards de dollars.

Une mesure relativement facile à mettre en œuvre, qui permettrait de commencer à assainir les comptes – un véritable casse-tête pour tous les dirigeants d’EDF et tous les ministres des Finances depuis des années – et équilibrer une équation économique impossible. En mettant au passage le pied à l’étrier à une filière industrielle française des semi-conducteurs.