Si vous souhaitez développer votre entreprise en pur autofinancement, la rentabilité est une quasi nécessité dès la première année activité. En revanche, si votre objectif est de maximiser la valeur financière de votre entreprise et de vos propres parts, cette quête d’une rentabilité rapide n’est pas indispensable.

Pour illustrer ces deux scénarios de croissance, rien de tel qu’un peu de modélisation financière : notre exemple correspond à une PME (scénario « Quercus », genre des chênes à croissance lente) ou à une startup (scénario « Populus », genre des peupliers à plus forte croissance) parvenue à un chiffre d’affaires de 700 k€ correspondant à la médiane de CA à partir de laquelle les startups effectuent une levée de fonds en amorçage. Selon la banque d’affaires Avolta (2022), ces levées de fonds interviennent 3 ans après la création d’une startup.

Scénario « Quercus » : croissance modérée et autofinancement

Dans un scénario de croissance autofinancée, avec une progression annuelle des ventes de +20 % et un taux d’excédent brut d’exploitation de +20 %, notre PME réaliserait 4,3 M€ de CA et 0,8 M€ de résultat d’exploitation dix ans plus tard.

En postulant des investissements de 4 % du CA, amortis sur 3 ans et un taux effectif d’impôt sur les sociétés de 25 %, on peut calculer le résultat d’exploitation et les impôts annuels. En estimant le besoin en fonds de roulement à 15 % du CA, on peut calculer les flux de trésorerie disponibles chaque année, ces flux étant à la fois amputés des impôts et de la variation du BFR. En actualisant ces flux à un taux de 25 %, on détermine la valeur actualisée des flux de trésorerie.

En postulant enfin un taux de croissance à l’infini de 2,1 % par an, nous pouvons ajouter à la valeur actuelle des flux des dix premières années une valeur terminale actualisée qui aboutit à une valeur d’entreprise de 700 k€ si l’entreprise n’a ni cash ni dette lors de l’évaluation.

Cette valorisation correspond exactement au CA actuel de notre entreprise : cette PME serait donc valorisée à 1 année de CA. C’est sympathique comparé à la plupart des PME mais pas réellement en phase avec la « logique startup », qui postule une croissance nettement plus rapide pour une cession planifiée dans des délais plus brefs.

Scénario « Populus » : déficits initiaux et hypercroissance

Dans un scénario de croissance accélérée, nous tablons sur une progression annuelle des ventes de +60 % les 5 premières années avec un excédent brut d’exploitation désormais négatif de -20 % du fait d’importants investissements commerciaux. A partir de la 6ème année, notre entreprise deviendrait très rentable, avec un excédent brut d’exploitation de +40 % et une croissance annuelle des ventes passant désormais à +30 %. Dix ans plus tard, cette startup réaliserait 27,3 M€ de CA et un résultat d’exploitation de 10,3 M€.

En conservant les mêmes hypothèses d’investissements, d’impôt sur les sociétés, de besoin en fond de roulement, de taux d’actualisation et de taux de croissance à l’infini, nous aboutissons désormais à une valeur d’entreprise de 3,8 M€, soit plus de 5 fois le CA actuel de notre PME.

De la création à l’exit : des années d’écart selon la stratégie

Si l’on se réfère au seuil médian de CA de 9,3 M€ à partir duquel les startups se vendent (cf. Avolta, évoquant une cession médiane de 38 M€ avec un multiple du CA de 4,1), la PME Quercus atteindrait ce niveau de CA dans 14 ans avec 9 M€ de CA. Ce délai n’est plus que de 6 ans dans le second scénario, avec 9,5 M€ de CA pour la startup Populus. Etant donné que ces entreprises sont âgées de 3 ans dans notre modèle calibré sur le CA et le délai médian requis pour effectuer une levée de fonds en amorçage, la startup « Populus » serait âgée de 9 ans au moment de l’exit et de 17 ans pour la PME « Quercus ».

Ces 9 ans correspondent au délai médian de cession des startups analysées par Avolta (2023) lorsqu’elles sont financées par le capital-risque. Et les entreprises « bootstrappées » n’ayant pas fait appel au capital-risque y sont uniquement cédées lorsqu’elles sont âgées en médiane de 15 ans, ce qui est proche des 17 ans de notre modèle et nettement plus long que lorsqu’une entreprise accueille des investisseurs dont le business model repose sur la réalisation d’une plus-value en capital « rapide ».

Implications pour les fondateurs

En matière de génération de cash, les différences entre les deux scénarios sont édifiantes :
La PME « Quercus » est rentable dès le premier jour et génère 0,6 M€ de flux de trésorerie positifs les 5 premières années. La startup « Populus » consomme en revanche 5,2 M€ de cash sur la même période, à compenser par des flux financiers.

Dans le premier cas, les fondateurs de notre PME n’auront pas besoin de faire appel à des investisseurs extérieurs. Les fondateurs de la startup feront en revanche sans doute appel à deux tours de financement en amorçage (seed) et en capital-risque (série A).

Si on se cale sur les données Avolta 2022, le cumul des levées de fonds en amorçage et en série A se monte à 1,2 + 3M€ soit 4,2 M€ pour une dilution médiane de 29 % puis de 28 % ce qui ramène la part des fondateurs à 100%x0,71x0,72 soit 51 % à l’issue de ces deux tours de financement.

Rappelons que d’après Avolta, la valeur médiane de revente d’une startup financée par capital-risque est de 38 M€, sur la base d’un multiple du CA de 4,1. Les fondateurs de la startup Populus empocheraient 51 % d’un CA de 9,5 multiplié par 4,1 soit 20 M€.

Lorsqu’une entreprise n’est pas financée par capital-risque, le montant médian de cession est de 21,6 M€, sur la base d’un multiple du CA de 1,7. Les fondateurs de la PME Quercus empocheraient alors 100 % d’un CA de 9 multiplié par 1,7 soit 15,3 M€. Cette plus-value est inférieure à ce que toucheraient les fondateurs de notre startup mais sera encaissée sensiblement plus tard que pour les actionnaires de la startup.

Quel scénario choisir ?

Ces deux scénarios ambitionnent de vous faire réfléchir sur le rythme et les modalités de développement de votre entreprise. Votre choix sera in fine fonction de votre équation personnelle.

Il dépend également de votre capacité à vous affranchir des valeurs médianes pour vous développer à un rythme plus soutenu et créer une valeur financière encore plus élevée, avec ou sans capital-risque. Dans ce cas, les plus-values de cession peuvent être très supérieures aux montants indiqués mais il ne faut pas oublier que ces données médianes correspondent à l’archétype des entreprises à succès. 50 % des nouvelles entreprises ne passent pas le cap des 5 ans et ce taux de sinistralité est encore plus élevé pour les startups, où moins de 10 % parviennent au stade de la série B (source Avolta), chiffre à rapprocher aux 90 % d’échecs généralement constatés dans l’écosystème startup.