Publié pour la première fois cette année, l’Armen HEC Value Sharing Index vise à suivre dans le temps les attitudes des sociétés de gestion ou GPs (General Partners) à l'égard du partage de la valeur, et à définir la manière dont ils y parviennent. Plus de 800 sociétés de gestion en Europe ont été contactées et un tiers d’entre elles ont répondu avec une moyenne de 1,7 milliard d'euros d'actifs sous gestion. L'indice se base sur un échantillon paneuropéen comprenant 21 pays et couvrant des stratégies telles que le capital-investissement, la dette privée, les infrastructures, l’immobilier et les multi-stratégies.

« Le bon taux de répondants pour cette première édition de l’indice montre que les GPs sont plutôt volontaires pour aborder le sujet, ce qui aurait certainement moins été le cas il y a dix ans. Les GPs ont aujourd’hui conscience de l’importance de ces éléments pour le bien-être et la performance de leurs équipes », commente Renaud Tourmente, directeur général adjoint et COO d'Armen.

Le carried interest, principal outil du partage de la valeur

L’étude Armen indique que le carried interest est le mécanisme préféré de partage de la valeur chez les GPs. Près de 60% des répondants partagent le carried interest avec plus de 50% de leur équipe. « Aujourd’hui, le carried interest semble relativement bien partagé alors qu’il n’était initialement centré que sur quelques individus aux premières lignes de l’investissement. Non seulement, il est mieux réparti au sein des équipes d’investissement puisqu’il n’est plus réservé qu’aux seuls seniors, mais il est aussi distribué aux équipes transversales. L’idée est que tout le monde soit aligné sur la création de valeur long terme », partage Renaud Tourmente.

Mais qu’est-ce que le carried interest ? Il s’agit d’une part des profits générés par une société de gestion qui est attribuée aux gestionnaires du fonds, en récompense de la performance de leur gestion. « Le carried interest est un élément assez sain de performance dans l’industrie. C’est une portion de performance qui ne se touche qu’après la période d’investissement d’un fonds, quand ceux qui ont confié leur argent, les Limited Partners, ont récupéré un retour minimal. C’est un bon outil de partage de la valeur qui a des effets vertueux sur le long terme », souligne Renaud Tourmente.

Le partage du capital reste relativement limité

D’après l’étude Armen, il existe une grande marge de progression dans le partage du capital des sociétés de gestion. Seuls 20 % des sociétés de gestion participantes ont ouvert leur capital à plus de 50 % de leur équipe. 

« L’ouverture du capital pose d’autres questions comme celles du mécanisme de souscription, de la liquidité, de la valorisation ou du rachat. Ce n’est pas insurmontable, c’est techniquement réalisable, mais il faut se saisir du sujet », commente Renaud Tourmente. « De plus, la réalisation de la valeur d’une société de gestion est plus récente. Petit à petit, ces structures développent leur propre marque et entrent dans une logique corporate. Elles visent la pérennité au-delà des équipes fondatrices », ajoute-t-il.

Et chez les VC ?

L’indice devrait se développer au fil du temps, mais, pour le moment, l’étude ne compte pas assez de répondants sur la partie venture pour tirer des conclusions sur ce segment en particulier. « Mis à part quelques exceptions, dans le venture, la taille des sociétés, par la nature de leurs investissements, est plus petite. Souvent, les plus petits GPs ont tendance à plus partager, leur surface financière ne leur permettant pas toujours de se distinguer de leurs concurrents sur la partie rémunération, ils utilisent le carried interest et l’actionnariat pour s’aligner », partage Renaud Tourmente.

Une théorie qui se confirme par exemple chez Épopée Gestion. Dès ses débuts, il y a un peu plus de trois ans, la société a opté pour des niveaux de rémunérations qui se situent dans les standards de marché avec une politique de bonus plutôt modérée. « Ce n’est pas rien, mais c’est peu relativement à ce qui peut se pratiquer sur le marché. En revanche, nous avons décidé de partager le carried interest et le capital », indique Ronan Le Moal, cofondateur et directeur général d’Épopée Gestion. 

« Pour mes associés et moi, Épopée Gestion est avant tout une aventure entrepreneuriale dans laquelle nous voulons embarquer les équipes et les associer à la création de valeur sur le long terme. Nous investissons dans la transition et la durabilité, qui sont par essence des thématiques de long terme, il fallait donc trouver un moyen d’inscrire aussi nos employés dans la durée », partage Ronan Le Moal.

Objectifs : aligner les intérêts et attirer les talents

« Derrière ces mécanismes, l’idée est toujours d’aligner les intérêts, au départ entre ceux qui apportent le capital, les LPs, et ceux qui le gèrent, les équipes d’investissement des GPs », rappelle Marc Baffreau, associé du cabinet d’avocats Archers. Si le carried interest est largement utilisé, les méthodes d’allocation peuvent différer d’une société à l’autre. « Les fonds immobiliers ont par exemple par le passé largement alloué les parts de carried au GP lui-même. Ce faisant, les actionnaires du GP sont indirectement bénéficiaires du carried. À l’autre bout du spectre, les fonds de VC vont directement distribuer le carried aux équipes. Au milieu, les sociétés de LBO ou de capital-développement peuvent mixer les modèles », explique Marc Baffreau.

C’est ce dernier cas de figure qui est appliqué chez Épopée : 50 à 60% du carried interest revient à l’équipe de gestion, 20 à 30% à l’équipe de direction et 20% au minimum du carried est transversal, c'est-à-dire qu’il revient au capital de la société de gestion. « Indirectement, 70% du carried revient aux équipes, car nous avons aussi fait en sorte que 80% des salariés de la société de gestion soient actionnaires de la société », confie Ronan Le Moal. « Cela contribue au bon état d’esprit, à la solidarité entre les différentes équipes de gestion (infra, immo, vc, capital développement...). Quand on est actionnaire de la société de gestion, on a encore plus envie que tous les métiers fonctionnent bien », souligne-t-il.

« Le mode de distribution du carried interest peut répondre à différents objectifs. Quand les parts du carried interest sont intégrées au capital, cela permet d’intéresser tout le monde en partageant le carried entre tous les actionnaires », avance Marc Baffreau. « Intégrer le carried au capital des sociétés de gestion permet aussi de rémunérer des personnes clés de l’entreprise, comme des DG ou des CFO, qui sont souvent actionnaires, mais pas investisseurs », précise-t-il.« Derrière cela, il y a aussi l’anticipation de la transmission. En impliquant nos salariés et en les faisant entrer au capital, on dessine aussi la prochaine équipe de seniors », complète Ronan Le Moal.