Dans le jargon de la communication et du marketing, on parle de “renaming”. Parfois, au bout de quelques mois, ou quelques années, les gérants d’une startup décident d’en changer le nom. Ce choix, qui n’est pas sans difficulté, peut s’expliquer par tout un tas de raisons. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser au premier abord, le bad buzz est loin d’être la première d’entre elles. Pour mieux comprendre ce qui se joue derrière un changement de nom, nous avons parlé à deux experts. Loïc Soubeyrand, le fondateur de Lunchr, devenu Swile, et Sophie Gay, CEO de l’agence Namibie, spécialiste du naming et renaming… et à qui l’on doit, justement, celui de Swile. 

Pour Loïc Soubeyrand, le changement d'appellation a sonné comme une évidence. Après deux ans d’activité à la tête de sa startup qui facilitait le paiement en tickets restaurants, il était temps pour lui d’opérer un virage stratégique. “Du seul déjeuner, on est passés à quelque chose de beaucoup plus grand. Notre vision nous dépassait. On voulait aller plus loin dans les avantages proposés et dans l’expérience de manière générale : bâtir une super appli qui remplace les outils archaïques pour la gestion des notes de frais, de celle des fiches de paie, etc.”

Nouveau nom pour une nouvelle vie

Pour accompagner “l’explosion de leur ambition”, ils font appel en 2020 à l’agence Namibie, et lui demandent de se pencher sur un nouveau nom. Lunchr est trop rattaché à leur ancienne identité et activité. Parmi une liste de propositions, ils s’arrêtent sur Swiley, qui deviendra Swile. Le mot, lorsqu’on met le W à l’envers, renvoie au “smile”, le sourire en anglais. Le W, justement, est le W de “work”, pour travail. La devise est toute trouvée, Let’s Swile at work.

Pour Sophie Gay, plusieurs éléments font un “bon nom” de startup. D’abord, ça ne doit pas être un nom trop générique : il faut trouver une brèche, “sortir de l’évidence”. Il doit “dire quelque chose” de la startup, véhiculer un message. Et évidemment, ne pas avoir de double-sens douteux - cf X, ex-Twitter, qui renvoie à l’idée de pornographie dans l’imaginaire collectif.

Pourquoi on change de nom, au fait ?

La CEO de l’agence Namibie nous explique que les raisons d’un renaming peuvent être multiples, mais qu’il se fait rarement en réaction à un “bad buzz”. “Dans l’univers des startups, on se lance parfois un peu vite : on a tous en tête l’image d’une petite boîte créée en quelques mois dans un garage, qu’on n’imaginait pas devenir une multinationale… Après la première ou la deuxième levée de fonds, poursuit Sophie Gay, ou une internationalisation, ses créateurs peuvent s’apercevoir qu’ils ont besoin de changer de nom.”

L’explication serait la plupart du temps multifactorielle. Un changement de stratégie, de placement marketing, une diversification de l’activité, de nouveaux actionnaires… Ou des considérations très “simples”, aussi, comme le fait qu’un nom, dans une autre langue importante, ait une connotation négative à laquelle on n’avait pas pensé, ou le fait qu’une marque du même nom existe déjà dans l’un des marchés les plus déterminants à l’étranger. “C’est ce qu’on nomme le principe de spécialité, détaille-t-elle à ce sujet. Si l’unicité du nom de marque tient un peu du fantasme, cela peut poser problème si le domaine d’activité est trop proche. On s’en rend compte en amont, ou alors, on est attaqué par la concurrence, et il faut réagir…”

Quand le nom n’est que la partie émergée de l’iceberg

Loïc Soubeyrand se souvient qu’à l’époque du renaming de Swile, il avait dû faire face à quelques freins. Déjà, en interne. “Les collaborateurs avaient un attachement à la marque très fort et tous ne voulaient pas changer. Ce qui nous a aidé à les convaincre, c’est de leur expliquer que ce n’était pas qu’un geste purement marketing. Au contraire, on l’associait à un projet clair d’expansion, dont ils allaient faire partie intégrante. C’est forcément plus facile de se projeter sous cet angle, d’autant plus que le nouveau nom, court et moderne, rencontrait un bon écho dans les équipes.”

A ceci, s’est ajouté un “gros travail de rebranding”. Car changer de nom, ce n’est pas juste changer de nom. “Imaginez changer de look pour adopter des vêtements très chics et continuer de porter une crête rouge sur la tête, résume Sophie Gay. Il faut une vision à 360 degrés, le nom n’est que la partie émergée de l’iceberg, la plus visible. Il faut aussi réfléchir au design, repenser l’identité visuelle, développer des éléments de langage : “Swile a ses swilers, certains noms deviennent des verbes ou des mots à part entière”. On tweete, on se fait un Lydia, on va dans des lieux instagrammables… Ce stade serait le stade ultime d’un naming réussi. 

Si c’était à refaire, Loïc Soubeyrand n’hésiterait en tout cas pas une seconde. “Une marque est une matière vivante. Lorsque son nom est clairement associé à un bout de son histoire dans l’esprit des clients et des collaborateurs, en changer peut être salvateur, voire essentiel.” “Il y a des marques, ajoute-t-il, qui vont jusqu’à s’enfermer dans une certaine stratégie à cause de leur nom. Et c’est bien dommage…”