En 1995, Bertrand Jelensperger terminait un oral à HEC en annonçant qu’internet allait révolutionner l’économie et le monde. Il n’avait qu’une envie en quittant l’école : monter une entreprise dans le secteur. Il faut dire que le virus de l’entrepreneuriat, il l’avait déjà attrapé au collège. Né entre les deux chocs pétroliers qui allaient mettre fin aux Trente Glorieuses, Bertrand Jelensperger a été très tôt conscient de la problématique du chômage de masse.

« Déjà à l’époque, je m’étais dit que l’une des solutions pour résorber le chômage, c’était de créer des boîtes. » En 2000, il cofonde sa première startup, Boursipoly, pour créer des jeux autour de la finance. « Un pur projet de HEC », avoue-t-il en souriant. La condamnation à mort de ce projet, comme tant d’autres, se fera le 11 septembre 2001. Le modèle économique de Boursipoly était basé sur la publicité en ligne, un marché qui s’est complètement effondré.

Retour sur l’aventure La Fourchette

Bertrand Jelensperger rencontre alors Patrick Dalsace, qui venait de lancer Jtech, une société qui importait des produits électroniques pour différents types de commerces et notamment les restaurants. C’est à cette période qu’ils vont être en contact avec de très nombreux restaurateurs et que les prémices de La Fourchette, créée en 2006, apparaissent.

« On réservait en ligne le train, l’avion, le cinéma… mais la restauration était en retard », se souvient Bertrand Jelensperger. Ils testent l’idée auprès d’une centaine de restaurateurs qui adorent le concept. « On les a rappelés quand le logiciel était prêt et ils nous ont tous dit : “mais en fait, c’est pas vraiment pour moi”. On a donc appris à toujours se méfier du gap entre une personne qui se dit intéressée et un acheteur. Mais on a aussi appris que ce n’est pas parce que l’on se prend quelques “non” qu’il faut s’arrêter. »

Huit ans plus tard, l’entreprise atteint la rentabilité et un certain nombre d’actionnaires préfèrent sortir. « On avait le choix entre lever des fonds pour ouvrir de nouveaux pays et permettre à ces actionnaires de sortir… ou s’adosser à un acteur plus gros. C’est la solution qui a eu la préférence du board. Et nous, en tant que cofondateurs, on se disait que l’on était prêts à céder le contrôle capitalistique, que nous n’avions déjà plus de toute façon, si c’était une entreprise que l’on respectait et que le projet avait du sens. »

Sur la liste de Bertrand Jelensperger, TripAdvisor est tout en haut aux côtés de Yelp, OpenTable ou Booking. Ils envoient donc une présentation et l’acquisition se signe en quelques semaines. L’entreprise, qui a été rebaptisée TheFork, est revendue à TripAdvisor pour 150 millions d’euros en 2014. « Je reste persuadé que c’était une très bonne alliance. On ne s’est pas trompé sur le choix du partenaire. Les synergies business ont été un peu moindres que celles initialement prévues, mais cela n’a pas empêché La Fourchette de faire fois dix en termes de chiffre d’affaires dans les cinq années qui ont suivi. »

Le 2 Tons Club pour réduire l’impact environnemental

Si Bertrand Jelensperger ne renie rien de son parcours, il reconnaît sans hésiter que « ce serait vraiment passer à côté de l’essentiel que de lancer une boîte comme La Fourchette en 2023. Mais comme 90 % des boîtes qui existent en fait ». « Il y a une crise environnementale monstrueuse et une crise sociale liée en partie. Je crois en l’entreprise, je crois au capitalisme, mais le capitalisme tel qu’il a évolué sur les cinquante dernières années a créé beaucoup d’externalités négatives », affirme-t-il.

L’entrepreneur décide donc de poursuivre deux projets en parallèle. D’abord, le 2 Tons Club, qui fait suite à un parcours personnel réalisé avec sa famille qui est passée de 12 à 3 tonnes de CO₂ émis par an par personne. « Vu l’ampleur de la crise, il faut tout faire à la fois… Il faut que ce soit à la fois le politique, l’entreprise et le consommateur/citoyen qui changent, sinon on y arrivera pas. Mais j’ai la certitude au fond de moi-même que si le consommateur change, il entraînera le politique et l’entreprise. »

Cette plateforme s’inspire des programmes de Weight Watchers ou des Alcooliques Anonymes pour penser des dispositifs communautaires qui vont favoriser les changements de comportements, tout en donnant l’information la plus scientifique possible, toujours avec un focus sur la consommation.

Mûre pour changer l’industrie alimentaire

Dans le même temps, Bertrand Jelensperger rejoint Mûre à l’été 2022, une chaîne de restaurants (deux ouvertures à date) qui propose un menu à 13,50€ avec des produits bio, de saison, cultivé dans leur propre ferme à proximité. « On n’est pas loin du prix d’un menu en fast-food », commente-t-il.

Le projet a pourtant des ambitions bien plus grandes, ce qui explique d’ailleurs la venue de Bertrand Jelensperger qui a pris le poste de CEO pour s’occuper du développement de la marque. « Notre idée, c’est que cela devienne une marque agroalimentaire qui va servir 1 million de repas par jour d’ici à 2035. Cela va se faire en proposant du Mûre dans les cantines d’entreprises (c’est déjà en cours), dans les cantines scolaires un jour, mais aussi en supermarchés ou avec des kits Mûre que l’on va se faire livrer une fois par semaine pour se cuisiner ses plats sains à la maison. Tout l’enjeu, c’est de travailler sur la désirabilité de cette alimentation durable. »

Même s’il est très critique envers Elon Musk, il prend l’exemple de Tesla comme étant un acteur qui a su accélérer la transition de l’automobile vers l’électrique. Bertrand Jelensperger nourrit le même rêve pour l’alimentaire : montrer qu’une évolution est possible et participer à un changement des mentalités qui sera aussi bon, autant pour la planète que pour les papilles.