“Nous sommes dans une période particulière, puisqu’au même moment, nous avons un cycle d’innovation en déclin - le Web2 - et un autre en plein boom - l’IA. Beaucoup de startups ne savent pas aujourd’hui où elles se positionnent”, constatait Bruno Delahaye, partner du fonds Cathay Innovation, sur la scène de FY4N.

Retour à la prudence ?

Comme lui, les VCs et analystes qui s’expriment lors de cet événement dédié aux startups au cœur du Mobile World Congress sont unanimes : trop d’entrepreneurs ont tendance à intégrer les buzzwords “AI”, “Generative AI” ou “LLM” à leurs pitchs pour lever des fonds en surfant sur la vague actuelle, sans pour autant faire réellement de l’intelligence artificielle...

Résultat : après l’euphorie de 2023, les investisseurs se montrent aujourd’hui beaucoup plus prudents envers toutes ces startups qui se positionnent sur l’intelligence artificielle. “Il y a eu beaucoup de bruit autour de l’IA l’an dernier, mais aujourd’hui les VCs commencent à être plus sélectifs dans leurs investissements”, explique ainsi Nuno Goncalves Pedro, fondateur du fonds Chamaeleon, basé dans la Silicon Valley.

L'IA, un sujet désormais transversal

“Nous distinguons deux types d’entreprises : celles qui sont ‘AI-first’ et celles qui sont ‘AI-Inside’”, détaille Pauline Roux, managing partner chez Elaia. Les premières - comme Mistral AI en France - développent des modèles et des infrastructures indispensables au déploiement de l’IA. Les secondes s’appuient sur l’IA - souvent en coulisse - pour améliorer leurs opérations. Pour simplifier, les unes “font” de l’IA, quand les autres “utilisent” l’IA. Ces deux catégories n’ont donc pas du tout les mêmes enjeux ni les mêmes besoins en termes de financement, “mais ces deux types d’entreprises sont intéressantes pour nous”, souligne l’investisseuse, dont le fonds a levé 200 millions d’euros en 2023.

Pour Bruno Delahaye, l’IA est aujourd’hui un sujet transversal, “qui irrigue tous les secteurs : ce n’est pas un domaine en tant que tel”. Mais comment distinguer le bon grain de l’ivraie dans cette profusion ? “Il faut revenir aux bases : est-ce que la startup résout un problème fondamental ? Est-ce qu’elle répond à un vrai besoin ?” explique-t-il. Cette grille d’analyse permet même de dépasser le sujet de l’IA. “Des startups peuvent utiliser l’IA en interne, par exemple pour coder, mais sans que ce soit au cœur de leur proposition de valeur. Elles nous intéressent aussi. Je préfère financer une entreprise qui résout un vrai problème, plutôt que des gens qui essayent de mettre de l’IA partout à tout prix”.

“Si vous utilisez juste ChatGPT pour des choses qui ne sont pas fondamentales dans votre business, les investisseurs ne seront pas dupes”, abonde Pauline Roux, qui rappelle au passage que l’IA est loin d’être une nouveauté pour les VC, même si la vague actuelle est d’une ampleur sans précédent.

Santé, environnement, deeptech, et… défense

Mais en dehors de l’IA, y-a-t-il encore d'autres sujets qui intéressent les investisseurs ? Pauline Roux constate que peu importe le projet, les “repeat entrepreneurs” et les anciens dirigeants de licornes arrivent à lever des fonds facilement. “Cela montre à quel point l’exécution prime sur l’idée”, souligne-t-elle.

Constantijn van Oranje - le prince des Pays-Bas qui dirige l’initiative Techleap.nl - cite, lui, la santé, l’environnement, la deeptech, et… la défense. Un secteur dans lequel “de nombreux fonds se sont créés récemment, alors que beaucoup d’investisseurs ne pouvaient pas aller sur ces thématiques”. Il estime également que si une startup - quel que soit son secteur - fait le choix de ne pas aller sur le sujet de l’IA, elle doit l’assumer et le justifier avec les bons arguments. “Ne pas faire de l’IA aujourd’hui, c’est comme ne pas avoir de data il y a quelques années, c’est un ‘red flag’ pour beaucoup d’investisseurs”, reconnaît-il.

Difficile d’y échapper.