Jean-David Blanc nous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. S’intéresser à la carrière de l’homme derrière Allociné ou Molotov s’accompagne forcément de nombreuses anecdotes liées à l’avènement de l’ordinateur personnel, au Minitel ou encore aux disquettes (l’ancêtre de la clef USB).

À seulement 55 ans, l’entrepreneur a sûrement assez d’histoires à raconter pour remplir une dense biographie. Une vie qu’il a mise au service du divertissement : « Le cinéma ou la télé, c’est théoriquement que du fun, explique Jean-David Blanc. Cela m’aurait emmerdé de travailler dans le monde des assurances. »

Pas de rôle modèle pour Jean-David Blanc, mais une passion

Rien ne promettait pourtant Jean-David Blanc à la carrière qu’il a eue. Questionné sur un éventuel rôle modèle qui l’aurait orienté dans ses choix, il secoue immédiatement la tête de droite à gauche : « Je viens d’une famille de musiciens. Le business, les affaires ou l’argent… on ne connaissait pas à la maison. Ce n’était pas du tout l’environnement, ni le driver. »

Depuis tout petit, Jean-David Blanc a toujours adoré les gadgets électroniques. Ce geek avant l’heure s’amuse enfant à programmer sa calculatrice TI-57 (une calculatrice programmable commercialisée à partir de 1977). Et lorsqu’une épicerie de son quartier est transformée en magasin d’informatique, il découvre dans la vitrine une machine à écrire avec un écran. « Cela s’appelle un ordinateur », lui apprend le gérant de la boutique. Jean-David Blanc a alors onze ans et la curiosité qui va avec. Le propriétaire lui propose de venir utiliser l’ordinateur du fond quand il le souhaite.

Dès lors, il fonce au magasin en sortant de l’école et y reste jusqu’à sa fermeture. Très vite, il développe une expertise qui dépasse largement celle des vendeurs de la boutique. Quand un client a une question un peu pointue, c’est vers ce gamin qu’ils sont dirigés. Il rencontre ainsi des avocats, des médecins, des comptables, qui lui parlent comme à un adulte, lui demandant de les former ou de leur développer un programme contre une petite poignée de billets. L’enfant, qui jusqu’alors recevait cinq francs par semaine de ses parents, se retrouve rapidement à générer cinq cents francs par semaine.

Jean-David Blanc n’avait donc pas prévu de devenir entrepreneur, lui qui se voyait chirurgien… Il se retrouve à créer sa première entreprise par la force des choses.

Cette passion l’amène à se créer un groupe d’amis qui se retrouvent autour de leurs exploits informatiques. Le sport mondial pour Jean-David Blanc et ses amis, c’est de faire sauter les verrous. Ils piratent donc des logiciels, non pas pour les revendre, mais pour le simple challenge que représente ce hack.

Pendant ces années-là, il se retrouve à échanger avec tout un groupe promis à de belles carrières : Roland Moreno (qui deviendra l’inventeur de la carte à puce), Jean-Louis Gassée (qui, plus tard, créera la filiale française d’Apple) ou encore Joël de Rosnay (scientifique et prospectiviste).

Faire sauter les verrous du cinéma

Depuis lors, le monde pourrait se résumer à une série de verrous que Jean-David Blanc cherchera à faire sauter. Après avoir créé des jeux vidéo pour l’Apple II à l’âge de 13 ans, et avoir créé un bulletin board system à 15 ans, il signe de jolis contrats avec des marques comme Marlboro, Nissan, Elf ou Coca-Cola pour développer leurs activités Minitel.

Mais son premier grand coup d’éclat, c’est Allociné. Un produit qui lui semblera être une évidence absolue, même si les acteurs du secteur seront plus longs à comprendre la portée de ce qu’il voulait créer.

Amateur de cinéma, Jean-David Blanc est confronté à la difficulté de récupérer une information aussi simple que l’heure des séances d’un film dans une salle obscure. À l’époque, il fallait appeler chaque cinéma l’un après l’autre pour écouter la bande préenregistrée déclamant leur programmation.

C’est l’époque du grand boom des numéros surtaxés, mais il n’adhère pas à ce modèle. Il imagine un service le plus efficace possible et qui donnerait la réponse en quelques secondes. Il a donc l’idée d’un numéro de téléphone, le « 40.30.20.10 », grâce auquel les utilisateurs peuvent choisir le film qui les intéresse en l’écrivant avec les lettres associées à chaque chiffre du téléphone, mais aussi en entrant leur code postal.

Le service est un carton… mais encore fallait-il trouver le moyen de le monétiser. « Ce dont je suis le plus fier avec Allociné, c'est d'avoir choisi un business model qui était complètement à contre-courant à ce moment-là », souligne Jean-David Blanc.

Son idée : créer un format de publicité audio que les distributeurs s’achètent à prix d’or. Jean-David Blanc donne ainsi l’exemple d’une campagne où les utilisateurs étaient accueillis d’un : « Bonjour, c’est Catherine Deneuve, déclamé par l’actrice. Merci de m’avoir appelée. » La nouveauté fait sensation et les utilisateurs appellent à nouveau rien que pour l’entendre. À la fin du message, ils pouvaient appuyer sur le « 0 » pour être redirigés directement sur les séances du film, ce qui a un impact massif sur les ventes de billets de cinéma. Allociné le comprend en réalisant de l’A/B testing où une époque où la pratique était loin d’être répandue. Le format plaît tellement que les distributeurs contactent Allociné des semaines avant la sortie d’un film pour acheter l’emplacement. Et Allociné se met à leur vendre un nombre d’appels garantis plutôt qu’une simple mise en avant. « Vingt ans plus tard, Google Adwords faisait la même chose en permettant d’acheter un nombre d’impressions ou de clics », affirme Jean-David Blanc.

L’histoire d’Allociné est parsemée de ces moments d’innovations puisque l’entreprise a aussi mis en place l’achat des billets à l’avance. Une autre fonctionnalité que le métier pensait vouée à l’échec et qui est devenue le standard aujourd’hui.

Molotov, un hommage à la télévision

Quand il revient finalement à l’entrepreneuriat en 2016, après avoir vendu Allociné à Canal+, Jean-David Blanc se positionne sur un secteur connexe, mais avec une proposition totalement différente. Après le cinéma, c’est le monde de la télévision dont il veut faire sauter les verrous.

Il a connu le passage de six chaînes à cent cinquante, et le sentiment conjoint qu’il n’y avait rien à la télévision. « Plus il y avait de chaînes à la télévision et plus les gens avaient le sentiment que l’offre était mauvaise. L’empilement des chaînes a fait que, d’un seul coup, la programmation télévisuelle est devenue invisible… il était impossible de savoir ce qui passait sur quoi à quelle heure. »

Quand il était petit, l’entrepreneur considérait que la meilleure interface vers la programmation télévisée, c’était le magazine Télé 7 jours, avec de belles photos, des résumés, le casting. Une expérience qui devenait indigeste avec cent cinquante chaînes. Il fallait repenser entièrement l’interface d’accès à la télévision. Ce projet, c’est Molotov. Un service qui, bien loin de venir dynamiter la télévision comme son nom pourrait le laisser entendre, se voit comme son plus bel hommage : « Avec Allociné, l’idée était d’améliorer la façon dont on va au cinéma. Molotov, c’est la même chose : c’est d’améliorer la télévision. À une époque où l’on veut ringardiser la télé et annoncer sa mort, on voulait lui rendre le plus bel hommage possible en montrant la richesse de la télévision. »

Le service se présente donc comme un programme télé augmenté qui permet aussi de contrôler le direct en revenant en arrière, de mettre en pause ou de suivre un acteur ou un réalisateur pour recevoir une alerte quand l’un de ses films va être diffusé.

Créé en 2016, Molotov a finalement fusionné avec l’acteur américain Fubo en décembre 2021 avec l’ambition de créer un champion mondial sur ce domaine.

Contrairement à son expérience avec Allociné, cette fusion confirme l’intérêt de Jean-David Blanc qui souhaite rester à bord et apporter la meilleure expérience possible. « Il y a des entrepreneurs qui sont plutôt des hommes d’affaires, qui adorent construire des empires et faire de l’argent. C’est très bien, mais ce n’est pas ce qui m’intéresse. Moi, ce que je veux, c’est innover sur un produit. » Encore et toujours, Jean-David Blanc est en quête du prochain verrou à faire sauter.

Vous pourrez retrouver Jean-David Blanc à la MaddyKeynote, le 28 mars au Palais Brogniart. Il abordera le thème de l’art et de la culture face à l’IA aux côtés de David Princay, président de Binance France, et Sarah Lelouch, fondatrice et CEO de LaDCF et techCannes. Découvrez le programme et prenez votre place.