Le 27 février 2024 était un jour à marquer d'une pierre blanche pour Eloa Guillotin. L'entreprise qu'elle a cofondé il y a un peu plus de trois ans maintenant, Beyond Aero, réussissait alors le premier vol français d'un avion électrique uniquement alimenté par de l'hydrogène. L'essai, qui a eu lieu à Gap-Tallard, dans le sud de l'Hexagone, a montré que l'équipe à l'origine de ce projet "un peu fou" avait finalement bel et bien les pieds sur terre.

C'est la preuve, explique Beyond Aero, qu'ils sont capables de développer un business solide (et rentable) autour de l'aviation électrique. L'occasion rêvée pour partir à la rencontre d'Eloa Guillotin, qui est d'ailleurs lauréate du prix Les Margaret de la JFD aux côtés de Nurra Barry (Carbon Saver), Laurence Laplane (Amundi), Apolline Humblot (Ec(h)o), Damilola Aminat Adeyemi (D-Olivette), Aissatou Ami Touré (Yassir Sénégal), Abigail Ifoma (MIA) et Maria Maisuradze (ED4S).

De l'apprentie astronaute à la serial-entrepreneuse

L'histoire commence à la façon d'une célèbre bande-dessinée, dans un petit village perdu en Bretagne... Ici, point de Gaulois, mais une jeune enfant qui déjà petite, voit les choses en grand. Passionnée par le ciel et les étoiles, elle s'imagine astronaute, "ou bien pilote de chasse". "J'avais cette idée en tête qui ne me quittait pas, nous raconte-t-elle. J'ai même appris le russe pour y arriver."

Et puis, en grandissant, elle s'aperçoit qu'il n'existe pas vraiment d'école pour devenir astronaute, et opte plutôt pour Supaéro, une école d'aéronautique très réputée, située à Toulouse. C'est là-bas qu'elle découvre la "mordue d'entrepreneuriat" qui est en elle, ainsi que ses deux futurs cofondateurs, Hugo Tarlé et Valentin Chomel, alors des amis.

Se rendant compte qu'elle apprécie plus qu'elle ne le pensait le fait de "créer des produits", elle se lance dans l'aventure à corps perdu. Entre deux cours, elle invente d'abord un système pour recharger un smartphone à l'aide d'un autre smartphone, qui obtient d'ailleurs un prix, puis un sac à dos solaire, puis d'autres innovations, près d'une dizaine au total. La dernière, qui donnera naissance à Beyond Aero, est née de la volonté d'avoir un projet "qui ait du sens et corresponde à ses valeurs", et d'une conviction inébranlable : "Nous étions à ce moment-là déjà convaincus que l’avenir de l’aviation serait électrique. La question, c’était de savoir quand."

L'aviation électrique, un projet "techniquement possible"

Le projet de Beyond Aero est de développer de petits avions d'affaires, qui compteraient entre 6 et 8 places. Entièrement électriques, ils doivent fonctionner avec de l'hydrogène gazeux. En théorie, détaille l'ingénieure, ceci est possible. Le premier prototype de son collègue, Hugo Tarlé, était un drone de 3 mètres de long, alimenté grâce une pile à hydrogène. Et il volait.

"Nous savions donc que les moteurs électriques fonctionnaient et que la technologie était suffisamment mature : mais il fallait faire passer leur utilisation au niveau industriel, et les adapter aux avions…", modère Eloa Guillotin.

Les équipes de Beyond Aero, pour qui le projet "coulait de source", ont du faire face au départ à une certaine dose de scepticisme. "Rien n’était simple. Aujourd’hui, il y a eu un vrai pivot autour de l’électrique et de l’hydrogène. Au début du projet Beyond Aero, ce n’était pas le cas." 

Le trio semblait "un peu fou". "Mais tous les pionniers de l'aviation l'étaient un peu, s'amuse notre interlocutrice. Louis Blériot, en hommage de qui nous avons nommé notre premier prototype, et les autres figures de l’époque, montaient littéralement dans des avions de bois…"

Six mois ont été nécessaires pour boucler le premier tour de financement. Quelques années plus tard, ils ont pu lever 24 millions de dollars en tout.

"Nous étions tellement convaincus nous-mêmes qu’on a fini par convaincre malgré tout, se souvient la fondatrice. En voyant qu’Hugo s’était installé un coin bureau dans sa voiture pour être plus proche de ses prototypes, notre premier investisseur a compris qu’on ne lâcherait pas. Il nous a dit : 'Je ne sais pas ce que vous allez faire, mais vous allez faire quelque chose de grand.'"

A quand la business class version hydrogène ?

Il n'aura fallu que deux ans à Beyond Aero pour passer du drone au premier prototype d'avion qui a volé ce 27 février. "Un deux-places, qui était thermique à la base, et que l'on a transformé avec un moteur électrique, alimenté par une pile à combustible", précise Eloa Guillotin.

Deux ans, c'est à la fois court et terriblement long quand on se souvient qu'à ce jour, 3% des émissions de gaz à effet de serre du monde entier découlent de ce mode de transport.

Plusieurs difficultés se posent encore, notamment le refroidissement de la pile qui émet beaucoup de chaleur et implique d'installer un équipement pour la refroidir, ou l'intégration des réservoirs à hydrogène dans des petits avions. Si la matière est très légère (quelques kilos tout au plus), elle prend beaucoup d'espace. Si bien qu'il a fallu pour le premier prototype revoir entièrement le centre de gravité de l'appareil.

Les retards s'accumulent parfois, et à ce jour, Beyond Aero préfère ne donner aucune date précise pour la sortie de ses avions de 6 à 8 places. Eloa Guillotin l'assure : leur mantra sera toujours "safety first". S'il leur faut le double d'années pour parvenir à leur objectif de façon sûre, ils préfèrent prendre le temps. Une idée à contre-courant de la plupart des startups, qui ont tendance à très vite penser à leur croissance et à la sortie de leurs produits. Mais les plus grandes inventions exigent une certaine patience.

"On voudrait toujours aller plus vite bien sûr, mais quand on parle d’aéronautique, ce n’est pas une option. Il y a des normes de sécurité, des méthodologies précises, qui sont là pour une bonne raison. Il y a comme un mélange entre l’impatience, et le fait que nous soyons déjà très fiers de la vitesse avec laquelle nous avons avancé jusqu’à présent", résume la créatrice de Beyond Aero, qui se réjouit de voir les projets concurrents progresser peu à peu. "Le marché est tellement grand, tant mieux". Elle conclut : "J’y dédie ma vie, et s’il y a encore beaucoup de batailles à mener, ce n’est pour l’instant que le début !"