Si les maisons de joaillerie de luxe sont implantées depuis plusieurs décennies, voire plusieurs siècles maintenant, le secteur n'échappe pas pour autant aux nouvelles technologies et à l'innovation. En s'éloignant un peu de la célèbre Place Vendôme parisienne, on découvre les projets ambitieux de plus jeunes startups et entreprises, comme Diam Concept ou Gemmyo.

Chacune à leur façon, ces marques tentent de réinventer la création de bijoux haut de gamme. L'une en misant sur le digital et l'ultra-personnalisation, l'autre en créant des diamants de laboratoire. Quelles sont les dernières tendances du secteur, et peut-on vraiment encore innover dans ce domaine ? Maddyness est parti à la rencontre de deux créatrices d'entreprises à succès pour en savoir plus.

Des diamants imprimés en 3D aux réacteurs à plasma

Le premier avril 2014, la marque de joaillerie française Gemmyo transmettait aux médias un faux communiqué de presse, annonçant la conception du tout premier diamant imprimé en 3D. Une blague à l'époque qui, quelques années plus tard, ne s'avère plus si loufoque que ça. En France et ailleurs, des spécialistes ont déjà réalisé de premiers prototypes.

Des bijoux en 3D ont également vu le jour, avec de l'or plaqué apposé avec cette technique par exemple. Mais comme nous le précise Pauline Laigneau, fondatrice de Gemmyo, l'impression de bijoux en 3D peut s'avérer "extrêmement coûteuse", et les résultats pour le moment... peu satisfaisants. "On rencontre notamment des problèmes de porosité et de solidité", constate-t-elle.

Alix Gicquel, à la tête de la société Diam Concept, est quant à elle sceptique sur la première idée. "Le diamant en 3D n'est qu'une agglomération de poudre de diamant, dont le rendu ne saurait être à la hauteur." Elle miserait plutôt sur une technique alternative de pointe, sur laquelle elle travaille depuis la fin des années 1980.

Chercheuse et spécialiste de la physique des plasmas, Alix Gicquel a mis au point une méthode qui permet de créer des diamants synthétiques de qualité grâce à des réacteurs à plasma. "Un seul atome est nécessaire pour fabriquer un tel diamant : le carbone", nous précise-t-elle. Cet atome est placé dans le réacteur, puis traité avec un mélange d'hydrogène et de méthane qui cristallise les atomes. Une histoire d'électrons et d'ions un brin complexe pour les néophytes qui permet d'obtenir au bout du compte une pierre synthétique... en quelques semaines seulement.

La méthode a mis un certain temps à être peaufinée. Il aura fallu trois décennies, huit brevets et plus de 170 publications scientifiques à Alix Gicquel et son équipe. Depuis 2020, les diamants de Diam Concept, une mine 100% française, sont officiellement commercialisés.

En écoutant Alix Gicquel, on se demande bien ce que l'on pourrait inventer de plus... Quelle innovation pourrait bien surpasser celle-ci dans la joaillerie ? Pour notre interlocutrice pourtant, le plafond de verre n'est "certainement pas atteint". Loin de là.

"L'innovation devra prendre le relais de la nature"

L'écologie serait ainsi l'un des piliers essentiels de l'innovation en joaillerie, si ce n'est le premier : "Il y a un moment où l'innovation devra prendre le relais de la nature".

Le débat sur le diamant le plus écologique possible est pour le moins houleux. Chez Gemmyo, on a proposé une collection en diamants de synthèse, mais on reconnaît volontiers qu'il s'agit d'un "sujet complexe". "On aurait tendance à croire que l’empreinte carbone est moins élevée ainsi, mais c’est tout l’inverse qui se produit : un diamant de synthèse demande 5 fois plus de ressources", note Pauline Laigneau, s'appuyant sur une étude de la Diamond Producers Association (DPA).

Ces calculs sont critiqués par les producteurs de diamants de synthèse, dont Diam Concept, qui s'appuient principalement sur de l'énergie nucléaire (voire de l'énergie solaire ou hydraulique) et non sur le charbon, utilisé comme base de calcul de l'étude. Selon ses estimations, Alix Gicquel affirme que ses diamants demanderaient en fait... 10 fois moins d'énergie que les meilleures mines du monde.

Là où tout le monde tombe d'accord, c'est en tout cas sur la nécessité de faire mieux. Alix Gicquel nous explique travailler sur des réacteurs à plasma avec "de meilleures capacités", "qui consommeraient moins d'énergie." Pauline Laigneau, de son côté, parie sur la traçabilité et le recyclage, en utilisant "entre 75 et 100% d'or et platine recyclés" pour concevoir ses produits.

L'innovation créatrice

Autre volet d'innovation sur lequel tous s'accordent : la créativité. Finie, l'ère du diamant simple qu'on ne taillait qu'en rond. Alix Gicquel se réjouit de voir d'autres secteurs, comme celui de la mode, booster l'originalité de la joaillerie. Nouvelles couleurs, nouvelles formes ou tailles, nouvelles associations de pierres et matériaux... "Les possibilités sont infinies, et nous avons à peine commencé à les explorer", promet-elle.

Pauline Laigneau se penche elle sur les pierres atypiques, jusqu'alors souvent réservées à l'ultra-luxe. Le modèle économique qu'elle a choisi lui permet de se passer de stock. Or ce dernier représente souvent un coût monstrueux dans la joaillerie : jusqu'à deux ans de chiffre d'affaires. Gemmyo a plus de flexibilité, et aussi plus de moyens et de liberté pour sélectionner des pierres rares. "On peut se permettre de les démocratiser davantage, explique la fondatrice. En ce moment, on s'intéresse par exemple à un saphir rare de Madagascar, avec un bleu qui tire vers le vert, et qu'on a appelé le saphir Teal."

La joaillerie, un milieu toujours tiraillé, entre héritage et avenir

De ces échanges, on retiendra aussi que la joaillerie est un milieu qui ne fait pas toujours bon ménage avec l'innovation. Certes, des maisons de luxe innovent. "Elles en ont les moyens, précise Pauline Laigneau. Mais c'est plutôt une innovation créative ou de processus. La lourdeur des procédés qui est propre à leur fonctionnement et leurs traditions, fait qu’elles ont nécessairement un esprit moins entrepreneurial."

La joaillerie, parce qu'elle représente "l'épitome du luxe", ne fait pas de cadeau. "Il faut savoir être à la fois dans l'héritage et dans l'avenir, veiller à trouver le juste milieu", détaille Pauline Laigneau. Sa marque Gemmyo est l'incarnation même de ce double-jeu. Elle propose des bijoux naturels, mais était l'une des premières à proposer la visualisation 3D pour inventer de nouvelles créations. Gemmyo est née comme une marque 100% digitale - les ventes en ligne représentent toujours 50% de son chiffre d'affaires, contre 2 à 3% pour les autres noms du secteur -, mais plusieurs boutiques physiques ont finalement été ouvertes.

L'une des dernières en date, la première ouverture au Japon, sera une boutique sur rendez-vous, dans un hôtel de luxe. Une expérience privée qui n'est pas sans rappeler celle des grandes maisons de la joaillerie, même si là encore, Gemmyo y ajoute sa patte en misant sur le numérique et la data pour personnaliser au maximum l'expérience client. "Partout dans le monde, nos vendeurs peuvent connaître la taille de vos doigts, vos goûts en matière de joaillerie et l’historique de votre relation avec la Maison", nous raconte Pauline Laigneau, avant d'ajouter :  "La data finalement, nous permet en un sens de revenir aux bases : celles de l’artisan qui connaît parfaitement son client. Ce n’est pas synonyme d’une excellence prétentieuse, c’est plutôt la base du commerce, que l’on applique ici à plus grande échelle, grâce à des outils nouveaux." L'innovation, quelle qu'elle soit, n'est donc jamais tout à fait décorrelée des recettes qui ont fait le succès de la joaillerie jusqu'à présent.