Comme un enfant dont on observerait la croissance avec attention, la jeune entreprise innovante dans la tech - sans référence aucune au label - est à la source d’une importante littérature managériale qui dissèque les différentes phases de sa trajectoire, de la naissance à la scale-up, et plus encore. Au premier rang de ces jalons, une étape majeure : celle de la levée de fonds.

Amorçage, séries A et séries B, la levée de fonds marque toujours un cap. Un cap financier bien sûr, mais aussi un cap dans la direction donnée par l’entrepreneur-capitaine à son navire. En série A, la levée reflète avant tout la maturité et les ambitions de chaque entreprise. La route parcourue est déjà (un peu) longue : le navire a besoin d’un ravitaillement pour atteindre l'escale suivante et trouver son rythme de croisière. Sans renforts financiers, le risque, c’est un ralentissement de la traversée, voire l’arrêt complet. Ainsi, lorsque le risque est écarté grâce aux fonds levés, le navire reprend sa route. Il accélère en général la cadence et il profite de ce nouveau départ pour mettre en place une communication externe adaptée.

Qui dit levée de fonds, dit annonce, dans la grande majorité des situations. La communication autour de la levée de fonds, en direction des médias, est presque devenue un rituel. Mais celle-ci est-elle pour autant “obligatoire” ? Le ralentissement des levées en 2023, et le défi financier ainsi lancé aux startups pour 2024, n’a-t-il pas incité les entrepreneurs à revoir leur stratégie de communication ? Ou en tous cas à se poser mille questions avant de se lancer dans le “faire-savoir” ?

Une étude réalisée par France Digitale en 2024 le montre : face à ce contexte difficile, 90 % des 500 startups interrogées ont adapté leur stratégie en mettant l’accent sur l’accélération de leur développement pour atteindre la rentabilité. Elles sont 30 % à être déjà rentables et 55 % estiment qu’elles le seront d’ici 3 ans. Le curseur s’est déplacé.

L’attention médiatique se focalise sur de nouveaux sujets

Pour comprendre cette évolution, il est nécessaire de faire un petit retour en arrière… Dans l’océan entrepreneurial, 2023 a marqué un tournant pour les startuppers français et les investisseurs confrontés à la hausse des taux d’intérêt et à un climat d’incertitude croissant. Les levées de fonds ont connu une chute vertigineuse en volume comme en valeur. L’enthousiasme qui semblait prévaloir jusqu’alors chez les investisseurs est moins fort. Les startups en phase de série A sont celles qui ont eu le plus de difficultés à trouver des financements. Par voie de conséquence, l’attention médiatique s’est davantage focalisée sur la fragilité des jeunes pousses dans leur gestion financière et leur trésorerie, et sur ce que l’on avait tendance à laisser de côté : l’impératif de rentabilité.

Pour nous, entrepreneurs, de nouvelles interrogations sont apparues. Comment se positionner, dans ce contexte ? Dans le cas d’une entreprise rentable depuis son premier exercice, grâce à l’autofinancement et au choix des fondateurs de privilégier la maîtrise par rapport au risque, comment l’annonce d’une levée de fonds allait-elle être interprétée par nos collaborateurs, nos partenaires et nos clients ? Ne risquait-on pas d’envoyer un message à contre-courant des résultats obtenus jusqu’à présent ? Laissant penser à un changement de direction ou de principes ?... Pire, et parce que la communication post-levée de fonds contribue à accroître fortement la visibilité de l’entreprise, n’allions-nous pas être “perçu comme allant mal” en faisant appel à de nouveaux partenaires financiers ?

Au final, cette visibilité momentanée et la pression qu’elle induit ne serait-elle pas contre-productive ? Pour asseoir et crédibiliser la réussite d’un projet entrepreneurial, au terme de quelques années d’existence, pour rassurer les partenaires et donner envie à de futurs talents de vous rejoindre, ne vaudrait-il pas mieux communiquer sur la “non-levée de fonds” ? Mettre en avant, non pas ce qui se passe au niveau capitalistique, en annonçant des montants et des ambitions, mais plutôt promouvoir ses résultats concrets : retours clients, développement sur son marché, augmentation des effectifs, solidité financière et potentiel de croissance, émergence d’une culture d’entreprise autour des valeurs des fondateurs, durabilité.

Vous l’aurez sans doute compris, ne pas communiquer sur une levée de fonds peut être un choix réfléchi. Pour poursuivre sa route, tout en gardant un certain cap et une cohésion.