Les Corporate Venture Capital (CVC), fonds d’investissement des plus grosses sociétés françaises, sont de plus en plus nombreux. En effet, ces dernières années, plusieurs corporate ont franchi le pas de l’investissement en direct dans les startups. Alors qu’ils avaient, pour nombre d’entre eux, commencé à investir de manière indirecte avec une activité de fonds de fonds, ceux qui ne pratiquent plus que cette forme d’investissement font aujourd’hui figure d’exception.

Pour mieux comprendre ce mouvement, et la manière dont opèrent les CVC, Maddyness s’est entretenu avec Lucas Rudolf et Muriel Atias. Respectivement directeur du CVC de la SNCF, 574 Invest, et Chief Investment Officer de celui de l’Oréal, BOLD Ventures. Ils co-président également le club CVC de France Invest. Créé en 2023, ce club fédère aujourd’hui 35 CVC, parmi lesquels on retrouve un grand nombre de sociétés du CAC40. Sa mission est d’animer le réseau de CVC pour permettre une meilleure représentativité dans l’écosystème, notamment en informant sur leur rôle et en partageant les bonnes pratiques du secteur entre pairs.

Les corporates ont gagné en maturité sur l’investissement

Ces dernières années, le VC a fait sa mutation et les CVC ont suivi, gagnant en maturité. « Il n’y a pas de recette unique et il y a autant d’histoires que de CVC, mais on retrouve tout de même une tendance commune chez les corporate, à commencer par l’investissement indirect avant de passer au direct », analyse Muriel Atias. C’est notamment ce qui s’est passé pour le groupe SNCF et pour l’Oréal. « Quand nous avons lancé BOLD Ventures en 2018, nous avons commencé par faire du fonds de fonds. Cela nous a permis d’acquérir une compréhension approfondie d’un écosystème avec lequel nous n’étions pas encore bien familiarisés et de multiplier l’accès à un dealflow de startups que nous avions par ailleurs via no équipes Open Innovation. Avec l’investissement indirect, nous avons pu monter en compétences et envisager de commencer à investir en direct », raconte Muriel Atias. 

Parmi les avantages de l’investissement en direct, c’est la proximité avec les startups qui ressort en premier. « Lorsqu’on fait du fonds de fonds, on ne choisit pas toutes les startups dans lesquelles on investit, et mécaniquement, si une partie du portefeuille présente un intérêt stratégique pour le groupe, le reste peut être hors scope », explique Lucas Rudolf. 

Certains corporate font encore le choix de passer par une autre étape intermédiaire, celle du mandat de gestion. Récemment, Orano a lancé avec Supernova un fonds dont il est le seul Limited Partner, mais géré par les équipes de Supernova. La FDJ a aussi adopté une stratégie similaire. « Il me semble que les corporate qui choisissent le mandat de gestion le font essentiellement pour des questions de taille d’équipe. Ils externalisent, car ils n’ont pas encore la capacité de gérer en interne, mais à un moment ou à un autre, ils passeront probablement à un modèle d’investissement direct avec leurs propres équipes », commente Muriel Atias.

La plupart des CVC sont des fonds dits stratégiques, c’est-à-dire, que si, comme un fonds de VC classique, ils ont des objectifs financiers, ils sont aussi là pour servir les intérêts du groupe, notamment en nouant des partenariats avec les startups. « À nos yeux, servir une thèse stratégique nécessite d’investir en direct. Cela ne veut pas dire qu’on stoppe totalement l’indirect, on peut continuer à en faire à la marge sur des géographies ou des sous-verticales spécifiques », partage Muriel Atias. Parmi les membres du club CVC, elle identifie 7% de fonds exclusivement financiers, 50% de fonds uniquement stratégiques, et le reste qui mêle les deux aspects.

Une proposition de valeur singulière pour les entrepreneurs

« Aujourd’hui, les startups doivent faire plus de chiffre d'affaires et être plus proches de la rentabilité. En tant que CVC, nous sommes parfaitement placés pour les aider dans cette mission, avec des capacités d’introductions précises et efficaces, dans nos groupes, mais aussi dans ceux des autres CVC », affirme Lucas Rudolf. 

Investir en direct permet en effet aux CVC et aux startups de maximiser leur relation opérationnelle. « Le niveau d’engagement contractuel peut varier d’un CVC à l’autre, mais globalement tous les CVC avancent sur un objectif commun : une collaboration renforcée avec les startups de leur portefeuille », avance Muriel Atias. Les CVC sont non seulement des investisseurs, mais aussi des ambassadeurs pour les startups au sein des groupes. « Nous facilitons les mises en relations, avec les bonnes personnes, mais en fin de compte, ce sont les différentes Business Units qui décident si elles veulent acheter la solution. Il n’y a pas de passe-droit, mais l’aide est clairement plus ciblée que quand l’investissement est indirect », détaille Lucas Rudolf.

Aujourd’hui, les CVC se sont structurés pour faire de l’investissement direct. Mais loin de s’opposer aux fonds de VC classiques, ils représentent au contraire un excellent complément. « Nous apportons des capitaux, du business et de l’expertise métier, mais nous n’avons pas vocation à mettre des tickets aussi important que certains des plus gros fonds de VC. Nous avons besoin d’eux et depuis quelques années, on constate qu’il y a de plus en plus d’alliages entre VC et CVC sur les tours de table », souligne Lucas Rudolf. « Après l’investissement indirect et la structuration de l’activité d’investissement direct, il me semble que nous sommes entrés dans une troisième phase. Une phase où nous cherchons à systématiser le co-investissement, soit avec d’autres CVC, soit avec des VC qui apportent en effet une caution technique et/ou industrielle forte », confirme Muriel Atias.