L’an dernier, plus de 51 000 entreprises françaises ont été placées en redressement judiciaire suite à une cessation de paiement. Principalement choisie par les dirigeants, cette procédure s’avère pourtant beaucoup moins efficace que la sauvegarde pour sortir la tête de l’eau. 

Apparue en 2006 en France, cette dernière permet aux dirigeants d’entreprise de prendre les devants avant d’être mis en cessation de paiement. Près de 15 ans après sa mise en place, elle peine encore à séduire les dirigeants. En 2018, elle totalisait seulement 4,8% des procédures préventives enclenchées selon la note d’analyse réalisée par France Digitale.  Une situation surprenante si on observe ses résultats. En effet, plus de 6 entreprises sur 10 y recourant bénéficient d’un plan de restructuration contre un peu moins de 3 sur 10 pour celles en redressement judiciaire. 

Pour expliquer ce phénomène, France Digitale s’est interrogée sur la santé des entreprises recourant à ces procédures. 

La bonne santé de l’entreprise, un critère peu impactant

La sauvegarde intervenant avant la cessation de paiement, la santé de l’entreprise pourrait être un facteur expliquant une meilleure capacité de rebond. Pour vérifier son hypothèse, France Digitale a d'abord lissé les données pour pouvoir comparer des entreprises disposant de caractéristiques équivalentes en matière d'effectifs, de taille, de budget...

Avant cet appariement, les chiffres annonçaient que 62% des entreprises entrées en sauvegarde bénéficiaient d’un plan de restructuration contre moins de 27% pour celles en redressement judiciaire, soit un écart de 35 points. 

Après lissage, ce taux monte à 64% pour les sociétés entrées en sauvegarde contre 34% pour les secondes, soit un écart de 30 points. La différence se chiffre à 5 points, ce qui ne permet pas, pour France Digitale, d’en faire un critère explicatif à lui seul. 

Loin des critères concrètement observables, d’autres, plus sous-jacents peuvent également influer sur le taux de succès de la sauvegarde. 

La confiance, clé de voûte de la sauvegarde

À la simple évocation d’un redressement judiciaire, la confiance des fournisseurs et des créanciers peut rapidement s’effriter. Or, sans ressource primaire pour fabriquer leurs produits, ces entreprises, déjà en difficulté, n’ont plus aucune chance de redresser la barre. 

Pour tester cette suggestion, France Digitale a observé des entreprises entrées en sauvegarde. Parmi elles, certaines ont été converties en redressement judiciaire par des tribunaux de commerce qui estimaient leur état financier trop fragile. L’analyse de ces deux groupes à l’issue des procédures montre un grand écart dans les résultats finaux. Les premières, non converties, ont entre 70 et 80% de chance d’obtenir un plan de restructuration (en fonction des territoires) contre 23% maximum pour les secondes. Dans certaines zones, ce taux est même nul. On observe donc un écart de 47 points minimum entre les deux situations. 

Même s’il est difficilement quantifiable, le caractère du dirigeant d’entreprise influe également sur la capacité d’une entreprise à se remettre en selle. En choisissant la sauvegarde, il aborde une posture proactive. Selon la note de France Digitale, beaucoup de responsables attendent l’extrême limite pour réagir, ce qui les conduit inévitablement à une procédure de redressement judiciaire.

La directive de l’UE, une source d’inspiration ?

En juin dernier, l’UE a pris une directive sur les régimes d’insolvabilité des entreprises poussant les Etats à se doter de procédure de restructuration préventive pour éviter la liquidation.

Le texte contient plusieurs propositions sur lesquelles la France pourrait s’appuyer pour améliorer la notoriété de la sauvegarde aux yeux des créanciers et des dirigeants d’entreprise. Parmi elles figure la mise en place de données statistiques pour suivre les performances de ces procédures dans le temps. Le développement d’outils numériques capables de détecter les circonstances susceptibles de conduire à l’insolvabilité, est encouragé. En France, la startup d’Etat “Signaux Faibles” utilise déjà l’IA et les algorithmes pour réaliser ces prédictions. 

L’Hexagone pourrait, par contre, travailler sur deux autres points : la durée des procédures et l’information. 

La directive européenne prévoit des process de 12 mois maximum contre 18 actuellement pour le redressement judiciaire comme la sauvegarde. Selon France Digitale, cette proposition peut être appliquée aux deux process ou uniquement à la sauvegarde pour la différencier de son grand frère. En effet, l’association souligne une méconnaissance de cette “nouvelle” procédure de la part des créanciers, des dirigeants mais aussi des fournisseurs. Pourtant, eux aussi sont gagnants grâce à cette procédure puisque les taux de recouvrement des créanciers avoisinent les  75% en cas de continuation de l’entreprise contre 22% en cas de liquidation. 

La sauvegarde porte bien son nom mais peine encore à s’imposer dans l’esprit des dirigeants d’entreprise. Si la France veut la promouvoir, elle doit se doter d’une nouvelle culture qui porte davantage sur l’anticipation que l’attentisme.