Stéphanie Mitrano-Méda est spécialiste de l’accompagnement et plus particulièrement du coaching des dirigeants et du mentoring d’entrepreneurs. Elle en décrypte pour Maddyness les enjeux.


Titulaire d'un Doctorat en Sciences de Gestion, Coach Executif et formatrice, elle a accompagné pendant plus de dix ans à Londres des entrepreneurs solo et des dirigeants de multinationales comme BP, VIRGIN Atlantic ou ACCENTURE avant de rentrer en france et co-fonder l’agence Merkapt ("innovation copilots"). Elle est "Transition Designer" et accompagne donc la réflexion de dirigeants pendant les périodes de changement critique et plus particulièrement les transitions humaines : devenir entrepreneur, devenir manager, constituer une équipe startup, développer des compétences de manager-coach, motiver et engager ses équipes, gérer la relation avec ses associés etc.

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#1 Le mentoring est une pratique courante assez ancienne, pourquoi est il si important pour les entrepreneurs ?

Sans faire un cours d’histoire, le mentorat est une pratique qui a démarré dans les pays anglosaxons dans les grandes entreprises à la fin du siècle dernier. Celles-ci avaient réalisé que les jeunes cadres pouvaient bénéficier d’une relation privilégiée avec un dirigeant expérimenté pour les aider dans leur développement de carrière, non pas pour développer des savoir-faire (la formation, le tutorat, le compagnonage sont là pour ça) mais pour les aider à développer des savoir-être, connaître la culture de l’entreprise, naviguer les politiques internes, et développer leur réseau.

C’est au Québec que la pratique s’est développé rapidement auprès des entrepreneurs. Le mentoring entrepreneurial (mentorat d’affaires au Québec) est donc l’accompagnement d’un entrepreneur novice (quel que soit son âge d’ailleurs) par un entrepreneur expérimenté sur une période étendue (1 an est la norme) sur la base du bénévolat. Le mentor offre un espace de réflexion au mentoré, du soutien, de l’encouragement, des idées et nouvelles perspectives, parfois de la mise en réseau, de l’écoute et partage son expérience. Le mentoré reste autonome dans ses décisions, le mentor n’est pas un expert ou un consultant, et ne prétend pas avoir toutes les réponses. [pullquote_right]La question que l’on me pose souvent : pourquoi un entrepreneur expérimenté deviendrait-il mentor ?[/pullquote_right] Le mentoring est complémentaire avec les autres formes d’accompagnement telles que le coaching, la formation, les experts, les chargés de mission des incubateurs etc.

On peut voir pourquoi le mentoring fait sens pour les entrepreneurs novices en observant les bénéfices qu’il en retire : développer des savoir-être d’entrepreneur, avoir une personne (qui n’a pas d’intérêt dans son projet) avec qui on peut échanger en toute liberté et confidentialité, se sentir moins seul dans les décisions difficiles, bénéficier de l’expérience d’un entrepreneur qui est passé par là, et étendre son réseau.

La question que l’on me pose souvent est pourquoi un entrepreneur expérimenté deviendrait-il mentor ? J’ai moi-même posé la question aux mentors que j’ai rencontrés, interviewés et formés et la réponse est triple :

  • Parce qu’ils veulent contribuer au succès des autres, de la communauté d’entrepreneurs, du tissu économique local. Et oui un entrepreneur peut être altruiste !
  • Parce qu’ils trouvent les échanges avec ces entrepreneurs novices enrichissants, stimulants et rafraichissants. Cela leur permet de rester à jour sur les problématiques actuelles et de garder leur matière grise en ébullition.
  • Parce qu’ils en retirent une certaine fierté, un statut, une reconnaissance de leur parcours et mettent en valeur leur expérience.

#2 Quels sont les facteurs clefs de succès d’une relation mentor / mentoré réussie ?

D’après mon expérience et les différents diagnostics que j’ai réalisés auprès d’organisations qui ont mis en place un programme de mentorat entrepreneurial, les clés du succès d’une relation mentorale sont liées au profil du mentor, celui du mentoré et à la compatibilité entre les membres du binôme.

Pour répondre plus clairement je citerai un extrait de mon livre blanc sur le sujet (ndlr: ci-dessous et téléchargeable sur leur blog) :

  1. Des mentors crédibles, engagés et possédant des compétences relationnelles.
  2. Des mentorés engagés, ayant besoin d’accompagnement et possédant des compétences relationnelles.
  3. Une compatibilité inter-personnelle et professionnelle du binôme.
  4. Un style de mentorat approprié (approche maïeutique)

Pour favoriser ces facteurs clés de succès, il est important que la structure qui initie et met en place le programme suive quelques règles de base telles que la création et l’animation d’un réseau professionnel d’entrepreneurs aux valeurs de solidarité et de développement personnel ; la préparation des mentors et des mentorés pour leur donner le cadre de la relation et les aider à développer les compétences relationnelles nécessaires telles que l’écoute, le questionnement, donner et recevoir du feedback ; et la coordination de la mise en relation du binôme en favorisant la compatibilité inter-personnelle (le fit humain).

#3 Y a-t-il des risques à prendre un mentor ? Que faut il surveiller ?

Si la relation est bien encadrée, il ne devrait pas avoir de risque, mais il y a quelques règles à suivre pour éviter les dysfonctionnements de la relation :

  • Le matching (mise en relation) du binôme doit prendre en compte qu’il ne doit pas y avoir de lien d’intérêt, donc il faut éviter un mentor qui soit dans une boite potentiellement en concurrence, ou qui soit potentiellement un client. Vous imaginez bien que ces 2 situations ne permettraient pas au mentoré d’être ouvert avec son mentor, et donc la relation ne sera pas très efficace.
  • Le cadre doit être clair et il faut bien préciser que le mentor ne doit pas investir dans le projet du mentoré, car il deviendrait alors un investisseur et ne serait plus neutre.
  • La confidentialité est clé et doit être respectée. La communauté d’entrepreneurs et l’organisation responsable du programme doivent s’engager à ce qu’elle soit respectée.
  • Le style du mentor doit être non intrusif, respectueux de l’entrepreneur novice, et non directif. C’est pourquoi l’organisation doit préparer voir même former les mentors afin d’assurer une style de mentorat efficace et respectueux.
  • Si la relation ne fonctionne pas, quelles que soient les raisons, les binômes doivent pouvoir se séparer de manière amiable sans conséquences pour chacun d’eux. J’ai vu des binômes qui ne fonctionnaient pas essayer d’entretenir une relation inefficace, seulement parce qu’ils ne savaient pas comment la rompre, ou parce qu’ils avaient peur des conséquences. Ces relations deviennent une perte de temps, engendrent des frustrations, et peuvent même devenir nuisibles.

#4 Le mentoring commence tout juste à se formaliser en France, comment expliques-tu ce retard ?

Le mentoring n’est pas si nouveau en France. Il y a plus de dix ans que le mentorat entrepreneurial est pratiqué, mais on ne l’appelait pas forcément mentoring. Par contre il est vrai que la pratique se formalise et le ministère de l’économie vient de signer la charte du mentorat entrepreneurial avec l’Institut du Mentorat Entrepreneurial le mois dernier à Bercy.

Le mentorat de manière informelle a toujours existé. Rechercher un modèle, ou être aider/accompagné par une personne d’expérience n’est pas nouveau. Les organismes d’accompagnement de l’entrepreneuriat s’ouvrent, découvrent et expérimentent différentes pratiques afin de trouver la bonne combinaison de services à offrir aux entrepreneurs novices. Le mentorat a fait ses preuves au Québec et la France s’en est beaucoup inspiré. Espérons seulement que cela ne soit pas un effet de mode, et que bien encadrés les programmes de mentoring se développent et perdurent.

#5 De plus en plus de réseaux, incubateurs et accélérateurs proposent des mentors pour les jeunes entreprises, quels sont leurs rôles et responsabilités, un message à leur transmettre ?

Il y a déjà des éléments de réponse dans mes réponses précédentes. Tout mon travail s’est basé sur le rôle de ces organisations tierces initiant des programmes de mentoring. Elles ont en effet un rôle important dans l’accompagnement des relations de mentorat, et elles ne doivent pas le sous-estimer. Attirer des mentors est clé, mais surtout des mentors qui partagent des valeurs altruistes et de développement personnel, qui sont prêts à s’engager et à développer eux-mêmes des compétences d’accompagnement. L’expérience n’est pas suffisante pour devenir mentor et les incubateurs, accélérateurs etc. doivent en être conscients. Poser le bon cadre pour le programme et la relation de mentorat est très important également. Mais pour vraiment aller plus loin sur le sujet je vous encourage à lire mon livre blanc que je partage volontiers afin que ces organismes puissent mettre en place rapidement les bonnes pratiques.