Il y a un an de cela, Aline Mayard a quitté son job dans une startup parisienne pour satisfaire deux de ses passions : voyager et écrire. Aujourd'hui, elle revient sur son expérience et son aventure pour nos lecteurs. Déjà l'auteur de plusieurs billets sur les startups et le monde arabe sur Maddyness, elle a souhaité partager son vécu et sa vision.[hr]

J’ai feuilleté un ou deux guides du routard (old-fashioned mais efficace), monté mon blog, cherché des sponsors (merci Airbnb), mené ma campagne de crowdfunding et rempli mon baluchon (assez alourdi par mon équipement de geek) et suis partie sur les routes du Moyen-Orient.

Ce voyage qui devait durer trois mois aura duré  10 mois et a changé ma vie et ma conception d’une startup. Mais sûrement pas pour les raisons que vous avez en tête.

Voici les 7 leçons que j’en ai tiré:

1. Si tu as attrapé le startup bug, il y a peu de chances que tu t’en sortes

Ignorante de la scène startup arabe (quel français ne l’est pas ?), je pensais partir pour trois mois loin de "l'écosystème". Erreur ! Au bout d’une dizaine de jours, je me suis retrouvée à parler par hasard avec les fondateurs d’un incubateur libanais. Ma curiosité titillée, je n’ai plus pû m’arrêter : j’ai rencontré des entrepreneurs dans toutes les villes que j’ai visité, ai lu Wamda, le site de référence sur les startups du monde arabe, de long en large, et ai écrit des articles sur mes rencontres startupeuses pour Frenchweb et TNW, et me suis finalement installée à Beyrouth pour devenir rédactrice pour Wamda.

La leçon : Si tu t’es pris de passion pour l’univers des startups, mieux vaut l’accepter, tu ne t’en débarrassera pas facilement, autant l’incorporer dans ta vie.

2. Voyez grand, pensez international !

A l’exception de l’Egypte, les pays du Moyen-Orient représentent des petits marchés, d’autant que, dans de nombreux pays, le marché web en est encore à ses balbutiements. Cela conduit la quasi totalité des entrepreneurs à concevoir leur produit pour le marché régional voir mondial.

Contrairement à ce que certains pensent, chaque marché est différent. Il n’y a pas de langue unique de commercialisation – certains pays préfèrent l'arabe, d’autre l'anglais ou encore le français –, de monnaie unique, de système de paiement unifié, de réglementation semblable ou de zone de libre-échange. Ah, et chaque pays a sa propre culture et façon de consommer.

La leçon : mais pourquoi, oh pourquoi, n’arrive t-on pas à mieux exporter nos services sur le marché européen ou américain ? N’ayons pas peur de voir grand et de nous offrir de nouvelles possibilités.

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3. Tout le monde peut et doit être bilingue, allez, soyons dingue, trilingue.

Où que j’aille au Moyen-Orient, je ne rencontre que des locaux ou des étrangers parfaitement bilingues ou trilingues. Tous ? Non, un pays d’irréductible gaulois refuse de se lancer. Je vous rassure, les italiens, grecs et espagnols ont la même réputation.

Si des libanais ou des jordaniens arrivent à être bilingues, voir trilingues  – et ce avec un accent, souvent, presque parfait – sans jamais avoir mis les pieds aux Etats-Unis ou en Angleterre, pourquoi n’y arriverions pas, nous qui sommes à quelques heures de l’Angleterre ?

Quoi qu’on en dise, parler parfaitement une langue est un atout incomparable pour se lancer à l’étranger ou profiter des meilleures opportunités dans son pays d’origine. Il faut s’y mettre !!

La leçon : N’ayons pas honte : osons parler en public même si nous ne maîtrisons pas toutes les règles grammaticales, osons essayer prononcer les mots correctement plutôt que de nous cacher derrière un faux accent français, osons faire des listes de vocabulaire. Laissons les moqueurs se moquer.

4. Rien n’est impossible

Le Liban possède un des internet les plus mauvais du monde, l’Algérie n’a pas la 3G, la Jordanie fait face à la censure, seul 10% de la population égyptienne a un compte en banque, et dans la région, devenir un entrepreneur est encore souvent vu comme un échec. Et pourtant, les startups se multiplient et trouvent des solutions à chaque problème (pensez sites simplifiés, paiement à la livraison etc).

 La leçon : Ne trouvez plus d’excuses, lancez-vous à fond ! Rien n’est impossible à qui y croit vraiment

5. Des risques ? Et alors ?

Bombes, invasions, guerres… Beaucoup d’entrepreneurs arabes savent que les aléas de la vie peuvent détruire leur ville, les laisser sans un sou et anéantir leur marché. Pourtant ils continuent d’entreprendre. Que peuvent-ils faire d’autre ? Au pire, il faudra se relocaliser, trouver un nouveau marché voir recommencer à zéro.

La leçon : Les entrepreneurs français ont la chance de vivre dans un pays politiquement stable, où les droits de propriétés sont respectés, doté d'une certaine stabilité sociale et économique, et même d'un revenu de solidarité. Profitez-en, allez au bout de vos rêves, évaluez vos risques et prenez-les. Que risquez-vous vraiment ?

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6. Adaptons l’écosystème à nos besoins

L’écosystème arabe a des besoins différents de l’écosystème européen et ses organisations s’en ressentent : les accélérateurs accompagnent leurs startups plus longtemps, les évènements sont plus tournés vers la création d’une communauté et d'entraide et des évènements comme le Mix N’ Mentor de Wamda permettent de rencontrer des mentors.

La leçon : Arrêtons de copier la Silicon Valley ! Construisons un écosystème européen, adoptons l’anglais comme langue principale pour pouvoir travailler ensemble, trouvons-nous un média 100% européen qui nous corresponde et adaptons les accélérateurs à nos besoins et culture.

7. Le monde ne s’arrête pas à l’Europe et aux Etats-Unis

Le monde arabe compte 350 millions d’habitants, dont 100 millions de moins de 15 ans qui, comme partout dans le monde, raffolent d’internet, de smartphones et de nouveautés et qui sont en train d’entièrement repenser leur rôle dans la société. Le revenue disponible a connu une croissance de 50% ces trois dernières années, et le PIB est supérieur à celui de l’Inde ou la Russie. (Ces statistiques sont issues d’un article de C. Shroeder.)

Le taux de pénétration de l’internet de 39% y évolue très rapidement et les pratiques internet s’imposent. L’Arabie saoudite est le deuxième pays du monde en terme de quantité de vidéos visionnées (7 par jour, dont 76% sur leur mobile), Dubaï a un taux de pénétration des smartphones supérieur à celui de l’Europe (61%), et le e-commerce est en plein boom.

 La leçon : n’oubliez pas les marchés émergents, c’est peut-être là que ce situe le succès de votre startup.

Si le sujet vous intéresse, je vous recommande "Startup Rising" par Christopher M. Schroeder, le premier livre sur l’entrepreneuriat dans le monde arabe.