Dépression d'épuisement, pauvreté, désocialisation, divorce et suicide... entreprendre tue ? Oui et non. Ce n’est pas le fait d’entreprendre qui peut vous détruire, mais l’obstination à le faire comme vous avez décidé de le faire. Mon ami Michel vient de mourir. Il a décidé d’arrêter sa vie de galères. Je perds un partenaire professionnel de grand talent. Et un frère. Le joaillier des mots à taillé sa dernière pierre. Chacun est libre d’arrêter la partie, c’est tragique, mais pas dramatique : je sais que l’amour est plus fort que la mort. Michel est toujours là, bien vivant dans le coeur de ses ami-e-s, et de son grand amour, Sonia. Ce n’est qu’un au revoir.


La vie est pourtant bien d'une exigence tragique. La logique est implacable, sans appel. Chacun, seul, peut choisir, toujours, de tirer parti des épreuves traversées. D’y trouver des enseignements, et d’apprendre, d’ajuster, et de se diversifier : écouter son marché, trouver de nouveaux débouchés, plus accessibles, plus demandeurs. Chacun doit prendre la responsabilité de sa sécurité financière. Pas d’argent : pas d’entreprise, pas de vie. C’est aussi simple que cela.

A la croisée de la psychologie du négatif (soigner ses blessures) et de la psychologie du positif (réaliser son potentiel), la psychologie entrepreneuriale décrypte les enjeux humains chez le porteur de projet et le dirigeant d’entreprise. Faut-il être en parfaite santé pour se lancer dans l’aventure ? Surtout pas. « On a tous une fêlure, par elle entre la lumière » (Léonard Cohen) : la fameuse vision de l’entrepreneur...

Paris, bar de l’hôtel Costes, rue Saint-Honoré

Un endroit mythique au cadre superbe, ouvert à une heure où la clientèle Jet Set dort encore. Pierre et moi nous nous rencontrons. J’ai devant moi un homme athlétique, au visage marqué, effacé de prime abord, à l’accent rocailleux.

Lui, cherche un financement pour son entreprise. Je suis missionné par un fonds d’investissement pour évaluer son potentiel entrepreneurial. Je propose à Pierre de faire connaissance pour mieux comprendre ses motivations :

« Pierre, pourriez-vous me raconter l’histoire de votre vie ?

- Je suis issu d’une famille modeste de la région parisienne. À 12 ans, j’ai un grave accident : je percute le fond d’une piscine. Les pompiers ont les bons gestes, je m’en sors avec six mois de corset plâtré. À 14 ans, à cause d’entraînements trop intensifs au judo et en natation, je subis une greffe d’os aux deux épaules... de nouveau, trois mois de corset plâtré. J’en ai retiré la croyance qu’on peut se sortir de situations difficiles, même quand ça semble mal parti ! À cette époque, je rêve de devenir médecin ou avocat : "Ce n’est pas notre milieu, ce n’est pas pour nous", me disent mes parents. Alors je fugue, parfois des semaines.

- Comment faites-vous pour vous nourrir ?

- Pour subsister, je pose des collets dans la forêt... Lors d’une fugue, un homme me recueille chez lui, dans sa famille. Il me traite comme son fils. Ce n’est pas n’importe qui : il est directeur général d’une société financière. Une profonde relation d’amitié s’installe, il m’invite même à partir avec lui et ses enfants en vacances : je découvre l'Espagne. J’ai 17 ans, il me dit : "Pierre, ta vie, tu peux te la faire !" Je deviens pompier bénévole. Mon service militaire, je l’effectue chez les pompiers. En sortant, je deviens technicien dans une société de maintenance d’ascenseurs, et rapidement chef d’équipe.

- Et ensuite ?

- Vers 23 ans, j’entame des cours du soir au C.N.A.M. : j’obtiens un troisième cycle de gestion. À la même époque, je fais du triathlon longue distance catégorie "iron man" (16 heures d’efforts continus). Quand j’ai 26 ans, mon père décède d’un cancer lié à l’amiante [long silence]. Je rentre dans une société, où je développe une gamme de produits sécurité-incendie, rapidement leader. Ensuite, je suis nommé responsable commercial d’un grand groupe. À 35 ans, j’intègre une pépinière d’entreprises, j’y développe des brevets pour des produits coupe-feu écologiques. Dix-huit mois plus tard, avec les indemnités liées au décès de mon père, je crée une société qui exploite ces brevets.

- [Après quelques instants de réflexion] Pierre, est-ce que vous réalisez la cohérence extraordinaire entre votre trajectoire de vie et votre projet ? Par exemple, les pompiers, en filigrane ; les produits incendie, à la fois cause de mort et source d’innovation. Est-ce que vous mesurez tout le potentiel entrepreneurial que cela représente ?

- Je ne vois pas de quoi vous voulez parler. »

Les deux pieds dans l’humus, la tête dans les étoiles

Cette rencontre humaine, notre échange de trois heures, a permis à Pierre une prise de conscience : il s’est senti reconnu et a posé sur lui-même un regard plus tendre. Il a découvert que son existence a du sens, ce qui a renforcé son projet. La dimension humaine de l’entrepreneuriat l’a conduit à créer une association qui accompagne les jeunes dirigeants de sa région.

Relier son projet aux épreuves traversées rend à la fois humble, résilient et durablement innovant. L’entrepreneur n’est pas dans l’évitement de ses blessures. Il en tire parti. Humilité vient du mot latin humus, signifiant « terre ». Comme dit joliment Wikipedia : c’est le « trait de caractère d'un individu qui se voit de façon réaliste. »

« L'humilité s'oppose à toutes les visions déformées qui peuvent être perçues de soi-même (orgueil, égocentrisme, narcissisme, dégoût de soi), visions qui peuvent relever de la pathologie à partir d'une certaine intensité. »

« L'humilité n'est pas une qualité innée chez les humains ; il est communément considéré qu'elle s'acquiert avec le temps, le vécu et qu'elle va de pair avec une maturité affective ou spirituelle. Elle s'apparente à une prise de conscience de sa condition et de sa place au milieu des autres et de l’univers. »

Quand ma psychologie positive bloque trop longtemps (réaliser mon potentiel), c’est souvent du côté de ma psychologie négative qu’il faut chercher : soigner mes blessures.

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