Beaucoup de talent et beaucoup d’encre s’emploient à décrire le déclin français. Peu s’intéressent à ce qui fait le dynamisme d’une nation : la prise de risque, soutenue par la soif d’avenir. La rédaction de Maddyness a alors invité Arnaud Delattre, capital-risqueur et fondateur de Starquest Capital à prendre la parole sur ce sujet. Une tribune inspirante qui pourrait être résumée par 4 mots : "No Risk, no future".


Pas un jour sans qu’un journal n’en parle, pas un mois sans qu’un nouvel opus décliniste ne paraisse. « La France va mal », « la France perd son rang », « la France ne sait pas où elle va », etc. Les symptômes (récession, chômage, déficit,…) sont largement décrits et leur évolution, précisément mesurée... Les causes « de premier rang » sont maintes fois évoquées : système politique impotent, blocages corporatistes, complexité législative, etc.

Mais pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Il faut bien admettre qu’en démocratie, on ne reçoit que ce que l’on demande. Or, quelle est l’attente la plus largement partagée en France, au delà des clivages politiques ou des conditions sociales ? C’est celle d’un progrès sans risque : nous voulons toujours plus, sans rien lâcher de ce qui est connu et certain. Nous refusons toute notion de prise de risque. Nous l’avons même inscrit dans notre Constitution.

Ce virus national biaise nos jugements, et nous concerne tous

Il nous conduit à faire des choix collectifs (souvent implicites) dont nous refusons les conséquences fatales.

  • Le choix du chômage, au lieu de la flexibilité qui s’adapte à la demande : nous refusons les risques liés à un changement de job ou de statut.
  • Le choix du blocage de l’ascenseur social, par la sacralisation absolue des diplômes et le refus de la seconde chance. Il « ghettoïse » la jeunesse, et interdit toute remise en cause de la hiérarchie sociale. Celle-ci se détermine dès 18 ans, sur la base des Maths.
  • Le choix absurde d’un record mondial de taux d’épargne, totalement détourné vers le financement d’une dette d’état (perçue sans risque), pour financer notre train de vie à crédit, au détriment du financement de l’économie réelle.
  • Le choix que font les medias de se livrer aux minorités de blocage, de se livrer à ceux qui disent non (et qui sont bien incapables d’en fournir des raisons factuelles), et à ceux qui crient le plus fort. Sans doute à cause d’un vieux complexe de démocratie mal digéré qui consiste à croire toute minorité, par définition, mal traitée. La démocratie devrait rester dirigée par les décisions de majorités, éclairées par les faits.

Qui sont les gagnants dans cette hypnose collective ?

  • Les castes et les réseaux qui contournent les règles du jeu pour s’octroyer des avantages sans prise de risque.
  • Ceux qui ont organisé leur protection statutaire par rapport aux risques majeurs de la vie professionnelle, chômage en tête : les politiques et les fonctionnaires.
  • Les grandes entreprises du CAC 40, souvent devenus des champions mondiaux, qui refusent de tracter les PME et de soutenir l’innovation, par peur du risque de perdre des positions, du fait de la lenteur de leur innovation interne.

Qui gagne le mieux sa vie en France ? Le gérant de hedge fund dont la vocation est d’écrêter sans cesse les risques en arbitrant sur des masses énormes de capitaux les aberrations de marché. Ces profits ne s’injecteront jamais dans le système productif. En revanche, sont peu rémunérés le chercheur innovant, sans cesse en rupture et en doute et donc en prise de risque personnelle, ou l’entrepreneur qui ouvre des voies inexplorées, et qui doit vivre avec la menace permanente de l’échec et de la stigmatisation sociale.

Qui a la parole, qui tient le micro en France ? Celui qui fauche les champs de cultures OGM sans aucune expertise scientifique, en agitant des peurs et des fantasmes ? Ou le chercheur de l’INRA dont les essais peuvent contribuer demain à nourrir 9 milliards d’êtres humains ? Celui qui explique aux épargnants pourquoi il faut mettre son épargne sur livret A, ou bien celui qui recommande d’investir dans le capital des PME prometteuses ? Celui qui saute sur chaque nouvelle rumeur de scandale sanitaire (et prépare insidieusement le terrain pour les commandes inutiles de millions de vaccins), ou bien le praticien rappelant qu’une femme meurt chaque jour en France sous les coups : un drame autrement plus concret ?

La prise de risques doit être valorisée et rémunérée

Le succès des émergents, c’est avant tout le succès de modèles collectifs qui ont décidé de bien récompenser ceux qui prennent des risques.

Enrichissez-vous a dit un jour Deng Xiao Ping. Pour accepter le risque, il faut accepter l’échec.

L’échec peut être extrêmement constructif. Les vaincus de la seconde guerre mondiale, Japon et Allemagne, sont vite devenus les champions économiques que l’on sait.

Le risque est générateur de créativité. Israël, menacée tous les jours depuis sa naissance dans son existence même, investit proportionnellement 10 à 15 fois plus dans le risque et l’innovation que les pays européens développés. Avec les succès technologiques que l’on connaît. On ne peut pas demander à tout le monde de prendre des risques. Mais on doit protéger et encourager ceux qui veulent le faire. Leurs succès individuels créeront une richesse collective hors d’atteinte sans eux. Ce qui implique des dispositifs fiscaux d’exception, même en période de disette budgétaire, parce que ce sont des investissements, et non des coûts.

Ceci implique aussi à chacun d’entre nous de changer de regard et d’attitude vis à vis du risque, et de ceux qui en prennent. Sinon ils iront en prendre ailleurs. Et de ce point de vue là, il est beaucoup plus grave de voir les jeunes talents scientifiques et managériaux quitter le France au rythme actuel, que de déplorer les riches qui s’en vont.

En anglais, « prendre un risque » se dit « to take a chance » !