Chaque année, 320 000 français créent leur entreprise. Si la création d’entreprise est déjà perçue comme un premier challenge, de nombreux obstacles se présentent sur le chemin de l'entrepreneur dans les années qui suivent. Dans une étude publiée début 2015, Bain & Company et RAISE France (fonds de dotation et d'investissement) ont cherché à identifier ces embûches, mais proposent également des leviers pour améliorer l’accompagnement des Jeunes Entreprises de Croissance, tant au niveau des mesures “classiques” de l’Etat qu’au niveau de l’écosystème. Article proposé par Astrid Laplanche.


Création, amorçage, développement: un parcours en plusieurs étapes

Le cycle de vie d’une startup peut être résumé en trois phases : la création (de 1 à 2 ans, où les efforts se concentrent sur le développement du produit, le choix du marché où se positionner, une approche par recherche et itération), l’amorçage (de 1 à 2 ans, lancement du produit ou service une fois que le marché a été défini ; les premières ventes font souvent office de test) et enfin le développement, qui débute 2 à 4 ans suite à la création, et qui est une étape critique.

Lors de la phase de développement, l’adéquation produit-marché doit être définie, et il s’agit pour l’entreprise de faire ses preuves, en générant de la croissance, clef pour réussir une seconde levée de fond et se développer à plus grande échelle.

Ensuite, il s’agit de définir en des termes précis ce qu’est l’entreprise. Plus précis que startup, le terme de Jeune Entreprise de Croissance (JEC) est aussi utilisé. Les JEC sont définies à travers l’étude comme des entreprises ayant été en phase de création puis d’amorçage, et qui commercialisent un produit abouti sur un marché défini, ayant entre 2 et 5 ans d’existence, et possédant un fort potentiel de croissance, de création de richesse et d’emploi.

Elles jouent donc un rôle clef pour le dynamisme de l’économie française, étant de plus en plus nombreuses.

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Passer le cap de 2 à 5 ans: l’épreuve de force

L’Hexagone se pose en terrain idéal pour la création d’entreprise, alliant à la fois un esprit entrepreneurial très présent (76% des Français estiment que créer son entreprise est plus valorisant que le salariat) et des leviers facilitant le financement, privés (les fonds de capital risque français sont les 2ème en Europe en termes de nombre d’entreprises soutenues) et publics (mesures fiscales pour les PME ou encore l’action de Bpifrance).

C’est ensuite que les choses se gâtent. L’étude souligne qu’une grande partie des jeune entreprises de croissance françaises ne passe pas le dernier cap des 2-5 ans. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 25% des JEC meurent avant leurs 5 ans, 50% avant leurs 6 ans !

Des entrepreneurs pas assez armés : de l’opérationnel au financement, comment procéder ?

En interrogeant plus de 500 chefs d’entreprises 5 à 10 ans, il ressort que les principales difficultés dans la phase de développement sont liées à la conjoncture, aux contraintes administratives et fiscales, et enfin aux problématiques opérationnelles.

Parmi les problématiques opérationnelles, la question des ressources humaines arrive en première position, soulignant la difficulté d’attirer des talents et de les fidéliser. En France, la part des entreprises de plus de 10 employés est de 5% seulement, contre 21% aux Etats-Unis et 18% en Allemagne. Le tissu entrepreneurial français est constitué d’une multitude de petites entreprises, qui peinent à atteindre la taille critique pour s’attaquer à l’international.

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En seconde position, les entrepreneurs citent le financement, qu’ils recherchent tous les deux ans environ ; peu d’entre eux font appel à l’emprunt bancaire, faisant face à un fort taux de refus des banques, du fait de leur faible activité en début de phase de développement, et se tournent alors vers du financement privé, qui reste cependant difficile à séduire et exigeant lors d’une deuxième levée de fonds. Rétrospectivement, lever les premiers 200 000€ semble bien facile.

Enfin, la phase de développement doit marquer la finalisation du positionnement stratégique sur le marché, souvent peu précis lors de la création de l’entreprise. Passé deux ans, il est nécessaire de valider le modèle d’affaires proposé lors de la première levée de fonds, si un second tour de table est prévu.

Rejoindre le peloton de tête des "success stories": des leviers accessibles et facilement actionnables

L’étude reste cependant optimiste: il existe des pistes et outils pour améliorer l’espérance de vie des JEC, voire même devenir l’une des success story françaises, tels Criteo, Puressentiel, A2micile, qui ont réussi à construire des croissances durables.

De manière générale, au-delà des compétences de l’équipe dirigeante (vision, gestion quotidienne, financement), l’écosystème de l’entreprise joue un rôle majeur dans sa survie.

Les organismes publics, ces gentils géants qui font encore peur

En premier lieu, on observe un meilleur taux de survie des entreprises ayant bénéficié d’aides publiques  (+11 points). Cependant, ces aides sont valables trois ans seulement ; si, au bout de cette période, l’entreprise n’a pas encore atteint un seuil de développement suffisant, les entrepreneurs peuvent être contraints d’arrêter l’aventure, n’ayant plus les moyens de vivre. “Pôle Emploi est le plus grand venture capitalist de France” conclut François Bracq, le fondateur de GivingCorner.

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Un accompagnement par les organismes publics, surtout au niveau du financement en phase de création, dont 40% des entrepreneurs interrogés ont bénéficié, permet d’améliorer de 14 points l’espérance de vie de l’entreprise.

De quoi séduire les 60% restants ? Non. Du fait d’un manque de lisibilité et de transparence, d’un manque de communication sur les procédures et les bénéfices et d’une inadéquation de l’offre pour la phase de développement de l’entreprise (nécessitant des aides plus ciblées), les entrepreneurs ne s’appuient pas sur les organismes publics, et réduisent leurs chances de passer la barre des 5 ans.

Les grandes entreprises, de jeunes mères qui ont encore à apprendre

D’un autre côté, on assiste à un développement de l’activité des grandes entreprises en faveur du développement des plus jeunes. Les JEC « modèles » ont souvent intégré à leur développement des échanges de plus en plus importants avec de grandes entreprises au fil de leur vie, et ce sous différentes formes : relations commerciales (25% des cas), activités d’investissement avec les fonds de Corporate Venture Capital (CVC, 11% des cas, comme Orange, Publicis, Schneider Electric, Total…) et incubateurs (3% des cas, Le Village du Crédit Agricole, Microsoft Ventures, etc.).

Ces relations de grande à petite entreprise présentent des bénéfices pour les deux parties : plus de succès pour les JEC, veille, dynamisation de la culture interne en s’inspirant d’approches AGILE et vision d’ensemble de la chaîne de valeur pour les grandes entreprises.

Jeunes Entreprises de Croissance

A ce niveau, des axes d’amélioration sont aussi identifiés. Plus de parité dans les relations commerciales, amélioration de la densité des CVC en France (40% des entreprises du CAC 40 ont une activité de VC), suivant l’exemple américain, ainsi qu’une meilleure structuration et organisation de ces fonds, afin de trouver la forme adaptée à chaque JEC.

Enfin, l’efficacité des incubateurs pourra être renforcée en étendant leur périmètre d’action: pourquoi ne pas profiter des compétences internes des salariés de la grande entreprise pour répondre aux questions opérationnelles des entrepreneurs? Qui du mécénat de compétence ? Par ailleurs, pour suivre l’évolution de la startup dans ses premières années, et ainsi augmenter son espérance de vie, la durée d’accompagnement doit être étendue - au-delà de la moyenne de six mois actuellement constatée.

Et, dans une phase de développement, pourquoi ne pas même aider la JEC à aller à l’international ? Un autre challenge, et pas des moindres !

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